C’est la dernière idéologie de contrebande financée à grands frais par les hommes qui nous gouvernent, conscients des impostures qui ont jalonné leurs différents parcours, et bien décidés à les effacer en payant sans mégoter les diverses opérations de propagande destinées à les « blanchir ».
Une poignée d’activistes, armés de leurs diplômes d’universitaires ou de leur statut de « journalistes internationaux », ont manifestement été appointés pour nous faire « gober » deux thèses. Premièrement, Gbagbo mentirait au monde entier en faisant croire qu’il est un anticolonialiste opposé à l’impérialisme français en Côte d’Ivoire. Deuxièmement, il mentirait au monde entier en disant qu’il est un panafricain. A l’appui de leur démonstration, ils rabâchent un certain nombre de faits, réels ou prétendus, qui semblent sortis tout droit de fiches fournies par on ne sait qui – même si l’on a quelque idée à ce sujet.
Gbagbo ne serait pas un anticolonialiste tout simplement parce qu’il aurait concédé des marchés à des entreprises françaises. De plus, il aurait lui-même avoué que la France lui avait apporté de l’aide après l’éclatement de la rébellion du 19 septembre 2002. Ces deux pauvres arguments qui ont été répétés ad nauseum ne valent pourtant pas tripette. Et on peut déjà dire, sans être prophète, qu’ils ne feront pas carrière.
Ce n’est pas Gbagbo qui a attaqué la France, c’est la France qui a attaqué Gbagbo
Gbagbo n’a pas sollicité les suffrages de ses concitoyens en leur promettant de dépouiller les Français de tout ce qu’ils possédaient en Côte d’Ivoire. Il s’est engagé sur un programme ouvertement social-démocrate, dont les principaux points étaient l’assurance maladie universelle (AMU), l’école gratuite et obligatoire, etc… Ce n’est pas Gbagbo qui a lancé les hostilités contre la France, mais c’est la France qui a fait de lui une véritable fixation et a tout mobilisé pour avoir sa peau. La question n’est donc pas de savoir si Gbagbo est « pur » dans sa « haine » contre la France, mais de déterminer avec rigueur si la France l’a combattu, de manière perfide ou directe, dès le 19 septembre 2002, et si elle a, droite dans ses bottes, mis la Côte d’Ivoire sens dessus dessous pour arriver à ses fins. L’histoire récente nous permet de dire sans risque de nous tromper que la France a, dès le premier coup de feu rebelle, mis tout son appareil idéologique d’Etat – diplomatie, médias publics, alliés régionaux, etc – au service d’une légitimation de l’insurrection lancée depuis le Burkina Faso de Blaise Compaoré. A plusieurs reprises, elle a tout fait pour empêcher que l’armée ivoirienne reprenne Bouaké. Consciente que les rebelles ne pouvaient pas prendre Abidjan militairement – ils n’y sont guère parvenus en mars-avril 2011, malgré des appuis multiformes –, elle les a insérés au cœur de l’édifice institutionnel à Abidjan avec les accords de Linas-Marcoussis. Elle a coupé la Côte d’Ivoire en deux et a été complice du refus forcené des rebelles d’appliquer ledit accord de Linas-Marcoussis, dans son volet « désarmement ». Elle est allée jusqu’à sacrifier ses propres soldats afin de renverser Gbagbo en novembre 2004, comme le suggèrent les « trous noirs » de l’enquête sur le bombardement de Bouaké. Un tel faisceau d’indices concordants rend dérisoire toute tentative de disculper la France officielle en se servant de propos circonstanciels d’un Gbagbo qui était bien sûr – et en toute responsabilité – soucieux d’améliorer ses relations avec une irascible ancienne puissance coloniale.
Une vérité fondamentale pour les Africains
La France a juré la perte de Gbagbo, c’est un fait. Quand on sait qu’il a été l’un des plus courageux adversaires d’un système de parti unique célébré à Paris durant de longues décennies ; qu’il a, dans sa thèse de doctorat, démystifié la conférence de Brazzaville, un des mythes du gaullisme triomphant ; qu’il ne s’est jamais précipité pour transmettre les procès-verbaux des Conseils de ministres à Paris ; qu’il s’est souvent appuyé sur l’expertise ivoirienne pour négocier certains contrats économiques, notamment en ce qui concerne le fameux troisième pont d’Abidjan ; quand on sait aussi que du PS à l’UMP, de nombreux dictateurs au CV bien lourd ont toujours trouvé grâce au sein de la classe dirigeante française, et que les pires dérives du régime Ouattara glissent sur la peau des médias et du personnel politique dans l’Hexagone, on est fondé à considérer qu’il a été combattu pour les mêmes raisons que Sékou Touré, Thomas Sankara et les autres nationalistes africains l’ont été. Les petites phrases allant dans un sens contraire, assemblées comme dans une sorte de puzzle menteur, ne peuvent pas éloigner les Africains de cette vérité fondamentale.
Gbagbo ne serait pas un panafricain parce qu’alors qu’il était au pouvoir, des Burkinabés ont été tués – 15 000, nous dit le documentariste Saïd Penda, au milieu de nombreuses inexactitudes. Qui peut oser affirmer qu’une politique d’Etat visait à persécuter des Burkinabés dont le nombre a augmenté dans le Sud ivoirien pendant l’ère Gbagbo en dépit de tout ? Gbagbo est bien celui qui a fait disparaître la carte de séjour instituée par Alassane Ouattara. De plus, qui a déjà vu un pays en proie à une agression menée depuis un pays voisin, souvent par des citoyens de ce pays voisin sponsorisés par leur gouvernement, ne pas se raidir et développer un sentiment compréhensible de rejet ?
Ce que le panafricanisme est, et ce qu’il n’est pas
Le panafricain n’est pas celui qui laisse ses terroirs ancestraux assiégés par des envahisseurs armés au nom de son idéal politique.
Le panafricain n’est pas celui qui fait semblant de ne pas voir que le trop fort afflux de populations vers les zones les plus urbanisées et les moins déshéritées du continent ne pose pas de vrais problèmes politiques, sociaux et environnementaux.
Le panafricanisme, ce n’est pas l’ethnicisme transfrontalier du RDR, qui n’aime que les étrangers faisant partie des groupes ethniques de son leader, qu’ils « adorent » parce qu’il est l’un des leurs.
Le panafricanisme ne peut même pas être réduit à la tradition d’accueil d’un pays. Une Nation qui participerait à tous les coups fourrés contre la stabilité d’autres nations main dans la main avec des forces extérieures au continent et qui recueillerait « généreusement » les enfants des pays ainsi défigurés ne serait absolument pas un exemple de panafricanisme, encore moins d’un prétendu « panafricanisme concret » théorisé par des fabricants de concepts grassement rémunérés.
Le panafricanisme, c’est la construction résolue d’un espace politique et économique commun pour tous les Africains. C’est la prise de conscience de ce que l’Afrique doit résoudre elle-même par le dialogue ses différends, et non inviter les anciens maîtres à arbitrer ses querelles pour mieux se poser au centre du Grand Jeu.
Ce qui est le plus risible dans l’argumentaire poussif qui tente de « tuer » le « mythe Gbagbo » au nom d’une prétendue orthodoxie idéologique panafricaine, c’est que ceux qui le tiennent défendent par ailleurs un Alassane Ouattara arrivé au pouvoir dans les fourgons de l’armée française, qui s’est empressé de remplir à nouveau le Palais présidentiel ivoirien d’innombrables conseillers techniques français dont la loyauté va d’abord à la mère-patrie, qui séjourne tous les mois en France où il dispose d’un riche patrimoine immobilier, qui se pose en instrument de Paris au sein de la CEDEAO et prolonge la voix de son maître notamment quand un conflit commence au Mali, qui multiplie quasiment par deux le coût du « troisième pont » accordé à son ami Bouygues… Ce qui est le plus grotesque, c’est de les voir soutenir Blaise Compaoré, assassin de Thomas Sankara, président du Burkina Faso depuis 27 ans, dans son entreprise de tripatouillage de la Constitution du Burkina Faso… Faut-il penser que pour eux, grands panafricanistes, un « pion de la France » caricatural est-il plus digne de louanges qu’un patriote africain qui a souvent louvoyé pour sa survie politique ?
L’Histoire n’est pas pressée. Elle jugera.
Théophile Kouamouo