Depuis cette date la procédure de la CPI s’est déroulée rigoureusement :
–5 décembre 2011 : Audience d’identification (au cours de laquelle, d’ailleurs, le président à pris date devant les uns et les autres : « nous irons jusqu’au bout » !),
-18 juin 2012 : premier report de l’Audience de confirmation des charges,
-13 aout 2012 : deuxième report de l’Audience de confirmation des charges,
–19 au 28 février 2013 : Audience de confirmation qui s’est déroulée sur huit séances,
-31 mars 2013 : date limite de dépôt des dernières observations écrites.
La décision des juges de la Chambre Préliminaire I devant être rendue dans les soixante jours, la date du 3 juin 2013 était donc une date butoir attendue par tous dans la crainte ou l’espérance. Pour notre part, spectateur attentif des audiences de février, il était clair que le dossier juridique étant vide, comme l’avait magistralement démontré la défense du président, toute décision de confirmation des charges ne pourrait qu’être le signe d’une position politique qui serait intenable à terme au regard de la situation que cela créerait dans un avenir proche en Côte d’Ivoire.
En effet, tout au long des débats de février l’accusation qui avait, dès l’ouverture de la première séance, déclaré haut et fort détenir tous les éléments permettant la confirmation des charges pesant sur le président Gbagbo, avait décrit minutieusement sa théorie du « Plan Commun » qui faisait du président « un coupable évident ».
Cette « démonstration » ayant été systématiquement mise en pièce par la défense, il restait aux juges à dire le Droit ou a se révéler comme les supplétifs d’un Ordre politique obscur. Dans l’un ou l’autre cas la décision des juges aurait permis de clarifier les choses : la CPI était, soit une Cour « indépendante », soit « une Chambre d’enregistrement » de certains pouvoirs à la volonté hégémonique.
La décision est tombée en cette fin de journée du 3 juin 2013, à la limite extrême du délai imparti, comme pour montrer à l’évidence l’irrésolution du tribunal. Après tout ce long processus, des mois d’enquêtes, des dizaines d’heures d’audience et plus de soixante jours de réflexion, la Cour, désunie par la position « dissidente » de sa présidente, au lieu de recaler le dossier vide du Procureur, lui offre une session de rattrapage (décidément, avec le « rattrapage ethnique » d’ADO, cela commence à faire beaucoup !).
J’ai lu attentivement les dizaines de pages de la Décision et de l’Annexe présentant la position dissidente de Madame de Gurmendi. Je laisse le soin à notre défense d’analyser et de tirer toutes les conséquences qui s’imposent sur le plan juridique mais je pense, et cela sera sans doute le cas de millions de personnes, sur le continent africain d’abord, mais dans le reste du monde aussi, que trop, c’est trop !
Le président Gbagbo s’est battu toute sa vie pour défendre la démocratie. Il a été élu en 2000, après une période de transition militaire de sinistre mémoire pour les ivoiriens, il a dès son élection recherché le consensus national, il a été attaqué, en septembre 2002 par ceux là même qui ont été imposés à la Côte d’Ivoire en avril 2011, il a subi toutes les épreuves physiques et morales de Korhogo à La Haye, il a montré au monde entier sa force de conviction et son sens du devoir, et voilà qu’au terme ( !?) d’un douloureux processus où, malgré un acharnement du Procureur à la limite de la forfaiture (les vidéos kenyanes par exemple), une Cour de Justice est incapable de prendre une décision « juste » et perd son âme dans une démarche de fuite en avant, qui va s’avérer être une mortelle randonnée.
Après le camouflet du cas kenyan, avec l’élection d’Uhuru Kenyatta à la tête de son pays, après la position exprimée par les Chefs d’Etats africains au Cinquantenaire de l’Union Africaine, cette manœuvre dilatoire va, sans doute, achever de discréditer la CPI. (même si, formellement, le Statut de Rome prévoit l’éventualité d’une telle décision, son application dans le cas présent est singulièrement équivoque).
Ce 3 juin marque, pour tous les ivoiriens et ivoiriennes attachés à l’Etat de Droit et qui se battent, chacun avec ses moyens, pour un retour à la justice, à la paix sociale et au développement en Côte d’Ivoire, un tournant décisif dans cette lutte qui a pu paraitre souvent inégale et parfois déprimante. La victoire est au bout du chemin, elle est désormais possible. Pour cela il faut redoubler d’effort et de vigilance.
En effet comment, en quelques mois, l’accusation, qui se prévalait pendant l’Audience de février, d’un dossier « accablant », va-t-elle bien fournir les preuves qu’elle n’a pas su apporter en près de deux ans d’enquêtes ? Par quel « miracle » le dossier du Procureur, qui s’est avéré être ce que nous dénoncions tous les jours, un copier-coller de rapports d’ONG et de coupures de presse sans valeur juridique, pourrait-il se muer en un document irréfutable ?
Je peux en témoigner ici : le président Gbagbo n’a jamais douté car il mène un combat juste. Il m’a seulement souvent répété qu’il fallait être patient, lui qui, enfermé, devrait être le premier « impatient ». Je mesure aujourd’hui, une fois encore, la justesse de son jugement et la rigueur de son engagement, qui est de ne jamais dévier de l’objectif dès lors qu’il a été identifié.
Il nous reste, à chacun d’entre nous, qui n’avons pas cessé de croire en l’avenir, à exiger la libération du président Gbagbo pour qu’il participe activement à la Réconciliation nationale et au Renouveau du pays. Il faut rendre le président Gbagbo à la Côte d’Ivoire et rendre aux ivoiriens et ivoiriennes le choix de leur destin dans un véritable processus démocratique.
Trop, c’est trop !
Bernard Houdin
Conseiller Spécial du président Laurent Gbagbo
Représentant du Porte-parole pour l’Europe et l’Amérique