Le Mali outragé !
A Bamako, vous avez remercié les anciens combattants maliens pour leur engagement au côté de la France lors de la seconde guerre mondiale. Vous avez reconnu qu’à cet égard la France a une dette vis-à-vis des Maliens, ou plutôt « avait » car la récente intervention militaire au Mali aurait permis de « payer » cette dette. Pendant les deux guerres mondiales, 80 000 Maliens se sont battus au côté de la France, 15 à 20 % d’entre eux sont morts |1|. Durant des années, les anciens combattants étrangers n’ont pas reçu de pension et l’histoire de ces soldats a dû attendre la sortie d’un film grand public pour être révélée au grand jour. Certes, vous n’êtes pas responsable des silences et fourberies de vos prédécesseurs. Mais la prudence, l’humilité, la fraternité et le respect dont vous avez parlé auraient pu vous pousser à éviter la formule : « Nous payons aujourd’hui notre dette à votre égard ».
Le Mali brisé !
La France a plus d’une dette à l’égard du Mali. En 1968, la France est le deuxième créancier du Mali. Entre 1968 et 1980, le stock de la dette du Mali augmente de 175 % et le service de la dette de 218 %. Au début des années 1980, le Mali connaît une crise de la dette, le FMI impose alors un plan d’ajustement structurel (PAS) qui consiste à abandonner toute politique publique visant à assurer les droits fondamentaux de la population. La France, en tant que puissance créancière, a une part de responsabilité. La souveraineté du Mali est ainsi bafouée au nom du remboursement d’une dette largement illégitime car n’ayant pas servi les intérêts de la population.
Vous avez affirmé à Bamako, que « la France (…) est aux côtés du Mali pour vous accompagner dans le redressement économique ; dans la renaissance de vos services publics, pour l’éducation, la santé, la sécurité ». Pour que le Mali puisse se « redresser » économiquement, il lui faut retrouver sa souveraineté économique. Pour que le Mali puisse faire renaître des services publics, il lui faut arrêter d’appliquer les politiques néolibérales dictées par les créanciers. Le FMI a d’ailleurs lui-même reconnu récemment s’être trompé, l’austérité engendrant la crise et non la croissance.
Afin de légitimer l’intervention française au Mali, vous avez souligné que celle-ci se faisait dans « le respect de la charte des Nations unies ». La même charte stipule que les droits humains priment sur les autres engagements pris par les États, parmi lesquels le remboursement des dettes et aussi l’application des programmes d’austérité. Ainsi la France peut, en se basant sur le droit international, reconnaître l’illégitimité des dettes réclamées au peuple malien et soutenir le non paiement de celles-ci. Voilà l’aide dont a besoin le Mali aujourd’hui : l’annulation totale de ces créances illégitimes.
Le Mali martyrisé !
La souveraineté économique du Mali et son « redressement » nécessitent que le pays puisse disposer librement de ses ressources et de ses richesses naturelles. Si vous avez expliqué que la France ne s’est pas rendue au Mali « pour servir je ne sais quel intérêt », vous n’êtes pas sans savoir que les intérêts français y sont nombreux et que la formule est peu convaincante.
Le Sahara est considéré depuis la colonisation comme un espace particulier en raison des nombreuses richesses de son sous-sol. La France y a des intérêts colossaux, notamment pour assurer son « indépendance énergétique » en assurant la sécurité de la région, puisque près de 40% du combustible des centrales françaises proviennent des sites d’Arlit et d’Imouraren (au Niger voisin) exploités par Areva.
Mais le Mali libéré ?…
Monsieur le Président, vous aviez déclaré en 2012 que « le temps de la Françafrique est révolu ». Tant que la dette et le pillage des ressources maintiendront le peuple malien dans l’extrême pauvreté, le privant de ses droits fondamentaux, le Mali ne sera pas libre. Le Mali ne sera pas non plus en paix. Vous avez beau déclarer « ne pas laisser un seul espace territorial du Mali sous le contrôle des terroristes », ils ont un terreau fertile : la pauvreté. C’est bien cela qu’il faut éradiquer et c’est en territoire politique français que cette guerre-là doit être menée.
Pauline Imbach
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Notes
|1| Bakari Kamian, Des tranchées de Verdun à l’église Saint Bernard : 80000 Combattants maliens au secours de la France (1914-18 et 1939-45), Karthala, 2001
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