«Les terroristes sont bloqués, cette fois nous ne leur avons pas laissé de couloir de sortie. Ils ont le choix de se rendre ou d’être tués», déclare l’interlocuteur de RIA Novosti. Cette précision est intéressante et constitue peut-être un fait nouveau. Au cours des semaines écoulées, des sources gouvernementales ou pro-gouvernementales ont annoncé à plusieurs reprises le «nettoyage» de Daraya. Pour être démenties ensuite par de nouveaux combats. C’est que la guérilla urbaine se base sur la fluidité des combattants, leur capacité à échapper à l’adversaire, et à s’infiltrer à nouveau dans les quartiers dont ils ont été chassés. C’est le cas dans certains secteurs d’Alep. L’armée syrienne a-t-elle réussi à «ceinturer» Daraya de façon étanche ? C’est toute la question, à laquelle la source militaire répond par l’affirmative.
D’autres précisions intéressantes : les rebelles pris ainsi dans la nasse seraient «1.000 à 1.500». Compte tenu de plusieurs centaines de pertes subies ces dernières semaines, le chiffre nous parait vraisemblable. Nous estimions les forces insurgées à plusieurs milliers autour de la capitale. Un millier de rebelles à Daraya, principal abcès de fixation de l’insurrection dans le secteur de Damas, avec la Ghouta à l’Est et au Nord de la ville, ça donne en effet un ordre de grandeur global, éloigné des estimations catastrophistes de certains sites pro-gouvernementaux, qui évoquaient des dizaines de milliers de combattants.
On peut également croire l’informateur de l’agence russe quand il dit que les documents saisis sur les cadavres d’activistes indiquent assez souvent une origine étrangère : Turquie, Libye, Afghanistan. La source militaire précise encore que les insurgés disposent d’armements et de moyens de communication modernes, «de fabrication américaine et israélienne».
Dans son édition du 20 janvier, l’agence officielle Sana rendait compte des combats en cours, donnant les noms de plusieurs rebelles abattus, dont celui du chef du «conseil militaire» d’une brigade rebelle. Nombre d’activistes ont été tué lors de la prise de la mairie de Daraya. Sana rendait compte également d’opérations dans le secteur de la Goutha, à l’autre bout de Damas, notamment dans les villes de Douma et de Harasta, foyers endémiques de l’insurrection armée.
Fabius entre francs mensonges et dénégations embarrassées
Et pendant ce temps-là (dimanche), le chef de « notre » diplomatie, Laurent Fabius, pérorait chez Jean-Pierre Elkabbach pour Europe 1, Le Parisien et I-Télé, réaffirmant la détermination de la France à lutter, de façon «implacable» , contre ce mal absolu qu’est le terrorisme islamique. tout en continuant à soutenir l’opposition armée – et islamiste – en Syrie.
Mais là encore, la langue de bois fabiusienne a été prise plusieurs fois en défaut à l’antenne :
-D’abord, Fabius, interrogé sur la « rumeur », colportée ces derniers jours par le quotidien Le Monde, de l’utilisation par l’armée syrienne de gaz de combat «non léthaux» à Homs, Fabius donc a dû reconnaître qu’après vérification par les services français compétents, ceux-ci lui avaient dit que cette accusation était infondée en l’état. Dont acte. Le Monde, désormais quotidien de référence en matière de désinformation à but atlantiste, a donc répandu un bobard de plus.
-Après cet aveu, des dénégations éclairantes. D’abord le ministre des Affaires étrangères (à l’intérêt de la France) a tenu à affirmer que Bachar al-Assad «ne regagne pas de terrain». On ne sait si Elkabbach et ses collègues avaient entendu parler des événements de Daraya, ou des difficultés de l’insurrection en général, face à l’armée syrienne et aux Kurdes. Mais pour que Fabius ait crû devoir apporter ce genre de démenti, c’est qu’il y a justement quelque chose à démentir – ou plutôt à nier.
Ensuite, le ministre, qui a annoncé une énième réunion de l’opposition syrienne à Paris, lundi 28 janvier, a eu droit une remarque désobligeante d’Elkabbach, qui s’interrogeait carrément sur la « ringardise » et même le caractère «fantoche» de la Coalition nationale syrienne couvée par le Qatar et intronisée, en novembre dernier, par Hollande et ses amis les monarques du Golfe « seule représentante du peuple syrien» . Fabius s’est cabré sous l’outrage : «Qui a dit cela ?», s’est-il indigné. Avant de préciser aux auditeurs que les hommes de cette Coalition, payée par le Qatar et dirigée de fait par les Frères musulmans, étaient «des gens extrêmement bien». Nous voilà rassurés. Enfin, pas tant que ça : à notre avis, pour qu’un Elkabbach, pourtant d’un conformisme atlantiste sans failles, ait osé faire pareille remarque à Fabius, c’est vraiment que le roi est nu, et que l’opposition sous perfusion occidentale est totalement décrédibilisée !
Et puis, normal, Laurent Fabius a «franchement menti». À propos du Front al-Nosra, émanation désormais bien connue d’al-Qaïda en Syrie. Un groupuscule «ultra-minoritaire», selon Fabius, d’importation irakienne et donc non représentatif de la valeureuse et démocratique résistance syrienne et même complètement étranger à celle-ci a assuré le continuateur d’Alain Juppé. Là, on se demande de qui se moque le triste patron du Quai d’Orsay : on ne compte plus les articles, reportages et analyses, y compris dans la «grande» presse française – le Journal du Dimanche, hier -, sur la montée en puissance d’al-Nosra dans le conflit syrien : son sigle est cité à propos d’Alep, de Damas, d’Idleb, de Deraa, de Deir Ezzor, alors que dans le même temps l’occurrence de l’acronyme ASL a presque disparu des pages syriennes de Yahoo et de l’AFP !
Ajoutons que Le Figaro.fr confirme que les armes et même les tenues des preneurs d’otages du site gazier d’In Amenas venaient directement de la Libye « libérée » par les amis de M. Fabius. Un équipement, précise le Figaro, fourni dans un premier temps par le Qatar, interlocuteur arabe n°1 de Hollande, Fabius et de l’essentiel de la classe politique française. Mon dieu, que le rôle de ministre atlantiste peut devenir « compliqué », à la longue !
L’inquiétude réconfortante de L’Orient Le Jour
D’ailleurs, ces fous de dieu sont tellement «ultra-minoritaires», que le grand quotidien libanais – « de référence » lui aussi – L’Orient Le Jour – aussi hostile au gouvernement Bachar que ses confrères du Monde et de Libération – s’interroge gravement, ce 21 janvier : «Les islamistes djihadistes ont-ils sauvé Bachar al-Assad ?» En gros, le quotidien pro-occidental, pro-Hariri et pro-opposition syrienne constate qu’al-Qaïda est en train, par al-Nosra interposé, de dénaturer la rébellion «authentique» du peuple syrien et donne des arguments à Bachar, ce au moment où, au Mali et en Algérie, l’Occident est confronté assez directement à la réalité du danger islamiste.
Et le chroniqueur Nagib Aoun d’enchaîner les questions, qui semblent autant de révisions déchirantes sur le dossier syrien : «La Turquie et même les pays du Golfe, comme le Qatar et l’Arabie séoudite, peuvent-ils aller plus loin dans leur appui à la rébellion, sunnite par essence, alors que les salafistes, eux-mêmes, sont pris de vitesse par les plus extrémistes d’entre eux ?» Poser la question, c’est y répondre, par la négative, même si l’on conteste le caractère intrinsèquement sunnite de cette rébellion, qui est d’abord djihadiste et sous influence étrangère.
On ne peut en revanche qu’approuver Nagib Aoun quand il ajoute : «La presse officielle à Damas a beau jeu d’ironiser, aujourd’hui, sur l’engagement des Occidentaux contre les islamistes en Afrique alors qu’ils soutiennent en même temps une rébellion syrienne «phagocytée par Al-Qaïda» aux dires des thuriféraires du régime baasiste». Oui, la presse syrienne a »beau jeu« , et elle n’est pas la seule à se poser et à poser des questions gênantes aujourd’hui.
Bien sûr, Nagib Aoun, un peu comme Fabius, s’accroche à la fiction fondatrice d’une «révolte citoyenne», dans «la continuité du printemps arabe» . Et, bien sûr, il accuse le régime syrien d’avoir, par sa résistance même, fait le jeu des combattants islamistes qui, eux mêmes, font le jeu de Damas. On se console dialectiquement comme on peut : nous, nous disons que la «révolution» en Syrie est une des plus inauthentiques qui soit, car elle a très tôt basculé dans le terrorisme d’inspiration sectaire et fanatique, et elle a tout de suite été récupérée, instrumentalisée et assistée de toutes les façons par les adversaires géopolitique de la Syrie, de l’Iran et de la Russie. Des acteurs internationaux qui se moquent bien de la démocratie syrienne, faut-il (encore) le préciser ?
Nagib Aoun comme Laurent Fabius refusent de renoncer à leur rêve devenu morne et sanglant cauchemar, au moins pour les Syriens. Le chef de l’atlantiste et donc incohérente diplomatie «hollandaise» devra sur la Syrie tôt ou tard manger son chapeau à défaut de pouvoir retourner sa veste. Il essaie de se sortir de cette impasse par la méthode Coué et autres dénis de réalité. Une réalité de plus en plus aveuglante, même à travers les lunettes fumées de Paris, Londres, Bruxelles ou Washington. Fabius le dogmatique risque bien de devenir Laurent, le pathétique.
Louis Denghien