Le 4 octobre, le ministère de l’économie et des finances célébrait en grande pompe le quarantième anniversaire des accords de coopération monétaire du franc CFA et du franc comorien, en présence, entre autres, des ministres des Finances des pays concernés et des gouverneurs des Banques centrales des trois zones monétaires (Afrique de l’Ouest, Afrique centrale, Comores).
Invité d’honneur, Alassane Ouattara, installé à la présidence ivoirienne grâce à l’armée française, a déclaré voir en ces accords « le symbole de la qualité et de la profondeur des liens économiques, culturels et politiques qui unissent l’Afrique à la France ». Jusque là, rien de nouveau ni de surprenant, sauf si l’on espérait qu’à l’occasion de son retour au pouvoir, la gauche française ouvrirait le débat sur cette ingérence historique de la France dans les affaires monétaires -et donc économiques- d’une quinzaine de pays d’Afrique.
Moscovici, ou la mission éducatrice de la France
C’était compter sans la capacité à nous surprendre du gouvernement, qui ne se contente pas de prolonger benoîtement certaines politiques prédatrices, mais innove fièrement dans le paternalisme de mauvais goût.
Le nouveau billet de 500 francs CFA émis le 3 novembre à l’ocasion du cinquantième anniversaire de la BCEAO.
Ainsi, le même jour, le ministre de l’économie et des finances français, Pierre Moscovici, cosignait avec Alassane Ouattara une tribune publiée dans le Figaro – un journal plus lu que d’autres dans les milieux d’affaires, diront les mauvaises langues. Ils y affirmaient leur volonté de « se tourner vers l’avenir », ce qui impliquerait notamment de « promouvoir des contrats commerciaux justes et équitables. (…) L’aide au développement doit apporter aux États africains un appui juridique et financier renforcé pour mieux négocier les contrats qui les lient aux entreprises internationales. Une initiative sera prise en ce sens lors de notre réunion ».
Dès le lendemain, des médias africains diffusaient cette info selon laquelle « Paris souhaite aider les Etats africains à négocier les contrats internationaux », avec la même générosité désintéressée que le lion apprenant à la gazelle à chercher les meilleurs points d’eau. C’est sûr que Paris a l’expérience de telles négociations : plus de cinquante ans de contrats léonins pour les entreprises françaises, privées ou publiques, ça permet d’établir un catalogue complet des « bonnes pratiques ». Pour justifier l’imposture, les deux Tartuffes affirmaient dans le même élan que « le temps de l’exploitation outrancière des réserves africaines est heureusement révolu » : ça ne coûte rien de l’affirmer, et surtout ça permet de justifier l’activisme diplomatique en faveur du maintien du pillage.
Canfin et le « savoir-faire français »
Car après tout, l’économie française a besoin des « pays en développement ». C’est ce qu’avait affirmé à Médiapart (16 juillet) le ministre délégué au développement Pascal Canfin : « Nous avons un problème de déficit commercial. Il n’est donc pas illégitime que la diplomatie française travaille à le réduire. La mauvaise façon de le faire serait, en ce qui concerne le champ dont j’ai la responsabilité, de lier les aides publiques au développement à l’obtention de marchés pour les entreprises françaises ».
L’aide liée, pourtant, ça marche bien :le rapport que la Cour des Comptes a publié fin juin explique par exemple comment, de 2001 à 2011, le versement d’un euro « d’aide » a rapporté entre 5 et 10 euros de contrats pour les entreprises françaises lorsque cela se faisait via des dispositifs ayant comme condition préalable d’avoir recours à nos vaillants entrepreneurs.
Le problème, c’est que c’est mal vu par les autres bailleurs internationaux et que le Parti socialiste s’est régulièrement insurgé contre le maintien de tels dispositifs, pendant les dix années passées dans l’opposition. Mais la suite du propos de Pascal Canfin montre que ça n’est pas un problème : « Mais si l’on peut développer notre aide dans des secteurs où il existe un savoir-faire français, comme l’assainissement ou les services urbains, (…) c’est une bonne chose ».
Cela tombe bien, dans l’ensemble du pré-carré françafricain, cinquante ans d’ingérence économique ont conduit à éviter l’émergence d’un « savoir-faire local » et à maintenir la prédominance des entreprises françaises. Surtout, que le ministre du « développement » continue de ne pas s’interroger sur les dynamiques historiques qui ont conduit à cette situation. Les trois milliards d’euros prochainement déversés en Côte d’Ivoire à la faveur de son « Contrat désendettement développement », ou C2D (Billets n°217, octobre 2012), pourront ainsi continuer à gonfler les carnets de commande parisiens.
Fabius, ministre du redressement productif en Françafrique
Laurent Fabius avait, quant à lui, expliqué début septembre son souhait de travailler à la relance des entreprises françaises… en Afrique. Ses discours prononcés lors de la XXème conférence annuelle des ambassadeurs, les 28 et 29 août, ont été l’occasion de ressortir le leit-motiv de la « diplomatie économique ». Voilà bientôt quinze ans que l’expression fait florès, puisque Jacques Chirac l’avait déjà employée au sommet Afrique-France de 1998.
Aussi décomplexé que l’était le ministre sarkozyste Alain Joyandet sur la question, Fabius veut encourager ce mélange des genres : « Nous avons besoin d’une diplomatie économique forte, active, réactive, efficace, à l’écoute de tous les acteurs économiques de « l’équipe de France ». En continuant de servir les intérêts généraux de la France, le ministère des Affaires étrangères doit devenir, aussi, le ministère des entreprises. Il doit renforcer son « réflexe économique », et les entreprises renforcer leur « réflexe diplomatie ».
Même pas d’enrobage sur les prétendus bienfaits de la croissance économique sur le développement : Fabius parle ici de l’international en général, donc sans se limiter au pré-carré traditionnel ; il lorgne même plutôt vers les marchés à conquérir dans les économies dites « émergentes ». L’enjeu, c’est l’emploi en France, dont les statistiques guident les orientations politiques bien davantage qu’une éventuelle ligne idéologique : soutenir les entreprises à l’international (ou plus exactement, les dirigeants des entreprises), ça ne peut qu’être bon pour l’emploi en France, et même pour la planète. Pas besoin de le démontrer, il suffit de l’affirmer : « La diplomatie économique – qui est aussi écologique – est la contribution directe que nous pouvons apporter à l’exigence de redressement économique. Nous faisons, vous faites déjà beaucoup et les entrepreneurs apprécient en général notre action. Mais le déficit considérable de notre commerce extérieur, juge de paix de notre compétitivité, montre que nous devons faire plus et mieux. Certes, l’administration ne remplace pas les entreprises et beaucoup d’autres ministères sont aussi concernés que nous, mais nous pouvons et devons les accompagner. Les défis de la croissance et de l’emploi se jouent, pour une part, à l’international ».
La France, puissance d’influence
Il n’y avait pas grand monde dans l’auditoire pour contredire le ministre : outre les diplomates, parmi les autres intervenants à cette conférence des ambassadeurs, le gratin de la Françafrique économique était présent. Les patrons de Total, d’Areva et de GDF-Suez faisaient par exemple partie des personnalités invitées à exposer leur point de vue, tout comme Philippe Gautier, directeur du MEDEF International, et Alexandre Vilgrain, président du CIAN (Conseil des investisseurs français en Afrique).
Quant à la table ronde sur « les stratégies à l’exportation de la filière nucléaire française », elle comptait parmi ses intervenants la ministre de l’écologie Delphine Batho… que l’on imagine mal souligner les ravages écologiques et sociaux d’Areva au Gabon, au Niger et en Centrafrique, par exemple. Il est également peu probable que la situation politique de ces pays ait été abordée dans la table ronde dédiée au continent, axée sur la thématique « L’Afrique, continent en croissance ».
De fait, les dictatures françafricaines ont comme toujours été absentes des discours du ministre des Affaires étrangères. Celui-ci a pourtant affirmé que « notre pays dispose d’une influence qui dépasse celle qui se déduirait des seules réalités matérielles. La France est bien une « puissance d’influence ». On sait dès à présent au service de quels objectifs ce gouvernement souhaite utiliser cette influence.
Survie