«Au Portugal, je gagnais 1000 € par mois. Une fois l’appartement et les courses payés, il ne me restait plus rien. En Angola, je gagne trois fois plus et mes charges sont payées par l’entreprise. J’ai enfin mon indépendance économique et pas question pour le moment de rentrer au pays!» Tania est une Portugaise de 30 ans. Ingénieur en construction civile, elle vit depuis un an à Luanda, la capitale de l’Angola.
C’est une amie de la faculté, partie depuis quatre ans, qui a fait passer son CV. «Mon travail est plus intéressant ici où tout est à faire, l’intégration est facile car il y a beaucoup de Portugais et le contact avec les Angolais est simple…Le plus difficile c’est d’être séparée de mon ami et de ma famille», confie la dynamique jeune femme.
100 000 Portugais en Angola
Comme Tania, de plus en plus de Portugais quittent leur pays en crise pour s’envoler vers l’Angola, ancienne colonie d’Afrique australe en plein développement. Deuxième producteur de pétrole du continent, le pays a affiché une croissance moyenne de 10 % sur la dernière décennie. De quoi attirer de nombreux Portugais à la recherche de meilleures conditions de vie.
Jeunes diplômés, famille avec enfants, seniors expérimentés, ils seraient près de 100 000 aujourd’hui en Angola, ce qui en fait une des premières communautés étrangères dans le pays avec les Chinois.
Entre 2006 et 2009, le nombre de visas pour Luanda a bondi de 156 à 23 787 selon l’Observatoire de l’émigration portugais. Et depuis l’an dernier, l’ancienne colonie est le troisième pays d’origine des revenus envoyés par les migrants, derrière la France et la Suisse. Certains restaurants sont devenus de véritables chasses gardées de la communauté expatriée quand les panneaux des sociétés de construction portugaises fleurissent dans le pays.
Des relations renforcées
En apparence, ce retour massif du Portugal en Angola se fait en douceur. Les deux pays partagent une longue histoire commune – de l’arrivée des explorateurs Portugais au XVe siècle à l’indépendance de l’Angola en 1975 –, la même langue et une proximité culturelle. Luanda a hérité de l’époque coloniale une société métissée qui perdure aujourd’hui.
Surtout, les anciens colonisateurs et colonisés ne cessent de renforcer leurs relations dans tous les domaines : multiplication des visites croisées des membres des deux gouvernements, accord pour faciliter l’obtention des visas et augmentation croissante des échanges économiques.
L’Angola achète au Portugal les biens de consommation qui lui font défaut et assure sa reconstruction après vingt-sept ans de guerre civile, finançant le tout avec les recettes du pétrole. Le Portugal décroche de juteux contrats commerciaux et investit dans un marché en pleine expansion, tout en promettant un transfert de compétence.
Concurrence portugaise en Angola
Reste qu’il est difficile de savoir qui profite le plus de la situation. «Le flux migratoire en provenance du Portugal est composé de personnes bien plus qualifiées que par le passé, explique l’économiste angolais Vicente Pinto de Andrade. Il doit être encouragé pour augmenter le capital humain de notre pays et assurer son développement.»
Un avis réfuté par nombre d’Angolais, dont un autre économiste, Alves da Rocha, qui accuse le Portugal d’exporter ses chômeurs en Angola. «Les relations avec le Portugal vont aggraver le niveau du chômage en Angola, pourtant déjà important, nos cadres nationaux ayant du mal à trouver un emploi face à la concurrence portugaise», défend-il.
L’Angola est partout au Portugal
Un risque dont a conscience l’Angola, qui entend bien tirer son épingle du jeu. «Jusqu’à présent, le Portugal était en quelque sorte le grand frère de l’Angola. Aujourd’hui, le petit frère a grandi et il commence à donner des leçons au Portugal», souligne Teresa, Portugaise de 50 ans, contrôleur de gestion dans une entreprise angolaise depuis deux ans.
Pour preuve, entre 2002 et 2009, les investissements angolais au Portugal sont passés de 1,6 à 116 millions d’euros selon l’Agence portugaise pour l’investissement et le commerce extérieur. Immobilier, hôpitaux, grands hôtels, luxe, banques et pétrole, l’Angola est désormais partout au Portugal. Au point que beaucoup accusent Luanda de profiter de la crise pour racheter le pays. Certains parlent même d’une colonisation à l’envers.
Estalle Maussion (à Luanda)