Cette déclaration a le mérite de révéler que le pouvoir d’Abidjan a conscience qu’il y a des problèmes en Côte d’Ivoire, c’est peu dire ! Quid de la nature de ces problèmes et de leurs causes ? Motus ! On ne nous dit pas non plus comment la haine a pu remplir le cœur des Ivoiriens au point que ce peuple, naguère si paisible, se retrouve dans une spirale de violences nourries à la sève de la haine. La frustration des Ivoiriens est encore plus grande lorsqu’ils ne peuvent en savoir davantage sur le sens que le Chef de l’État donne au vocable violence, sur les auteurs de ce phénomène, et surtout, sur ses victimes. En l’absence de ces précisions utiles, les propos de monsieur Ouattara ne peuvent que faire le lit de la supputation et de commentaires tendancieux. Or la crise qui secoue la Côte d’Ivoire, depuis au moins une décennie et qui a atteint son paroxysme à l’occasion de l’élection présidentielle contestée de décembre 2010, ne nous laisse pas le temps de tergiverser, pressés que nous devrions être de trouver des solutions avant que le pire n’arrive. C’est pourquoi, nous allons aider du mieux que nous pouvons le Chef de l’Etat à mieux poser la problématique de la violence qui trouble notre quiétude. Pour ce faire nous allons utiliser les paradigmes auxquels le Président Ouattara a eu recours pour s’adresser aux Ivoiriens à son retour de Paris après un séjour d’environ deux semaines.
Selon Jean-François Malherbe1 « la violence est la force déréglée qui porte atteinte à l’intégrité physique ou psychique pour mettre en cause dans un but de domination ou de destruction l’humanité de l’individu ». La typologie de la violence est riche d’enseignements en même temps qu’elle traduit la complexité du phénomène. Ainsi distingue-t-on, la violence interpersonnelle qui fait usage de la force physique, verbale ou psychologique (harcèlement), dans un milieu donné, de la violence de l’État qui s’en sert, soit pour exécuter les décisions de justice, assurer l’ordre public, soit en cas de guerre. Bien qu’elle soit légitime, selon la définition de Max Weber, la violence d’État peut dégénérer en terrorisme d’État et déboucher sur des formes plus graves comme le génocide.
Au regard de ce qui se passe en Côte d’Ivoire depuis l’instauration de la démocratie des bombes, c’est le pouvoir en place qui apparaît comme l’acteur principal des violences qui endeuillent et troublent la tranquillité des Ivoiriens. Et ce, dans le silence assourdissant des défenseurs des droits humains et de la communauté internationale. L’on a également noté la légèreté avec laquelle le secrétaire général du RDR, parti dont Alassane Ouattara est le président, exerce une violence gratuite sur les militants de l’opposition ainsi que sur des populations civiles, les menaçant de mort (en les envoyant au cimetière)2, au grand dam des senseurs d’hier, prompts à condamner le moindre rappel à l’ordre de citoyens indélicats. En voyant l’activisme du parti au pouvoir qui dispute à l’exécutif les pouvoirs régaliens, l’on se perd en conjectures. Que l’opposition réclame le dialogue républicain pour une vie politique et sociale apaisée, c’est le RHDP qui répond en lieu et place du gouvernement. Que le FPI demande la libération des prisonniers politiques injustement incarcérés depuis plus d’un an sans jugement, cela soulève le courroux du RHDP qui demande plutôt la dissolution de l’ex parti au pouvoir. Voilà autant d’exemples de violence que l’on peut qualifier de violence symbolique qui tout en étant verbale n’en constitue pas moins la première étape avant que ses auteurs ne passent à l’acte. Le FPI l’a appris à ses dépens, lui qui a déploré la mort et les agressions physiques de ses militants ainsi que la destruction de sa logistique lors de ses rassemblements à Koumassi, Yopougon, Port-Bouët et j’en passe.
Au plus fort de la crise post électorale qui aura coûté la vie à des milliers de nos compatriotes, un certain commando dit invisible, dont les prouesses ont été louées par une certaine classe politique alors retranchée à l’hôtel du Golf, a commis les pires exactions sur
1 Docteur en philosophie et en théologie de In Violence et démocratie. Cahier de recherche 2003
2 Les termes sont de monsieur Amadou Soumahoro, Secrétaire général du RDR.
les forces de l’ordre et sur les populations civiles. On se souvient que le gouvernement du Premier ministre Aké Ngbo avait organisé une cérémonie d’hommage à la mémoire des soldats tombés au champ d’honneur en début d’année 2011. Aujourd’hui encore, tous ces civils qui ont été armés et jetés dans la guerre de conquête d’Abidjan sont violemment traqués par leurs frères d’arme d’hier qui ont eu la chance d’intégrer l’armée officielle.
Au lendemain de la capture de Laurent Gbagbo, après une semaine de bombardements intenses de sa résidence officielle par l’armée française, les tenants actuels du pouvoir ont élevé au rang de principe de gouvernement la répression d’une partie des Ivoiriens. Leur tort est, soit d’être proches de l’ex président, soit d’avoir travaillé ou collaboré avec lui. Ainsi, anciens ministres, élus, fonctionnaires, universitaires et étudiants, chefs d’entreprises et salariés du privé, médecins et journalistes, militants et sympathisants du Front Populaire Ivoirien (FPI), jeunes et moins jeunes, paysans et commerçants sont l’objet de toute sorte de violences jusqu’à ce jour. Les camps de réfugiés internes sont attaqués et leurs pensionnaires massacrés par les FRCI au nez et à la barbe du pouvoir et de l’ONUCI. Les exilés politiques sont traqués jusqu’à leur dernier retranchement dans leurs divers lieux de refuge. Aussi inhumain que cela puisse paraître, les comptes bancaires d’anciens membres de gouvernement et de personnalités proches de l’ancien Président, déporté à la Cour Pénale Internationale (CPI), demeurent bloqués, empêchant leurs titulaires de subvenir à leurs besoins les plus élémentaires.
Monsieur Allassane Ouattara a-t-il conscience du nombre d’Ivoiriens qui sont victimes de la violence entretenue et perpétrée par les forces armées de son régime ? Sait-il que d’illustres personnalités ivoiriennes sont décédées en exil dans des conditions déplorables et dans l’indifférence ahurissante de son régime ? Au nom de quel principe de gouvernement et alors que la constitution l’interdit, monsieur Ouattara contraint-il des Ivoiriens à l’exil, par la menace et le chantage juridico politique ?
En termes de solutions aux « problèmes en Côte d’Ivoire », la question se pose de savoir si ces violences exercées contre une partie de la population font partie des expédients utilisés par le pouvoir pour exorciser le mal ivoirien. Dans l’affirmative, peut-on nous dire quels effets une telle méthode a produits ? Dans l’attente de la réponse à cette interrogation, il faut convenir avec le Chef de l’Etat que ce n’est pas « avec la violence que nous allons régler les problèmes en Côte d’Ivoire ». Mais une chose est de le confesser, une autre est d’agir en conséquence !
Paradoxalement, lorsque les autorités se décident à parler de violence, elles font uniquement référence au harcèlement exercé par des individus non identifiés sur les forces officielles de sécurité3 du pays depuis le début du mois d’août 2012. L’on est surpris de la réaction tardive et sélective des tenants du pouvoir qui découvrent subitement qu’il y a de la violence en Côte d’ivoire. Fallait-il attendre que la tasse de thé servie quotidiennement aux populations soit servie aux FRCI pour que les écailles tombent des yeux des dirigeants ?
C’est le lieu de rappeler que la violence met en jeu les droits fondamentaux de tous, notamment, le droit à la sûreté et à la sécurité, tels que stipulés dans l’article 3 de la
Déclaration des droits de l’homme. Tout individu, quelle que soit sa condition sociale, politique et religieuse, a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne. Ce droit n’est pas reconnu uniquement à quelques individus du fait de leur position momentanée dans l’appareil d’État. Mieux, il revient aux dirigeants de protéger lesdits droits pour tous.
Non contente d’avoir imposé à la Côte d’Ivoire une guerre absurde en guise de solution à un simple contentieux électoral, la coterie au pouvoir multiplie des actes de déréglementation et de déconstruction de notre pays. Le tribalisme, le clientélisme et l’affairisme sont érigés en principes de gouvernance. Des discours aussi irresponsables que dangereux sont tenus constamment dans le seul but d’opposer les Ivoiriens du Nord à ceux des autres régions de la Côte d’ivoire. Les planteurs ivoiriens sont massacrés et expropriés de leurs terres et des Forces Républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) : armées hétéroclite mis en place par monsieur Ouattara en mars 2011 et composée essentiellement des soldats des Forces Nouvelles (rébellion), de chasseurs traditionnels du Nord appelés Dozos et de supplétifs burkinabé. Les ex FDS y font office de figurants.
Leurs plantations au profit de ressortissants burkinabé dont le régime organise l’immigration sauvage et l’installation dans l’Ouest ivoirien.
La haine dont parle le chef de l’État est bel et bien une réalité en Côte d’Ivoire. Ce qui est nouveau c’est sa découverte en tant que substance ne disposant pas de principe actif dans la résolution des problèmes de notre pays. Pour sûr, la graine de la haine a été semée dans le cœur des Ivoiriens le jour où une certaine classe politique a décidé d’écarter un adversaire qu’il a pourtant contribué à introduire dans le système, pour défaut de nationalité ivoirienne. La catégorisation des Ivoiriens par les concepteurs de l’ivoirité a été l’élément déclencheur de ce sentiment de rejet et de mépris qui a alors envahi une partie du peuple de Côte d’Ivoire. Par la suite et sur ce terrain fertilisé par le PDCI, le Président actuel a alimenté les plants de la haine en présentant les populations du Nord, dont il serait issu, comme les oubliés du miracle ivoirien, les laissés pour compte en quelques sorte. Pour enfoncer le clou, il s’est présenté lui même comme une victime de l’ostracisme qui frappe sa communauté par ailleurs en majorité de confession musulmane.
L’effet dévastateur des actions croisées des successeurs du Président Félix Houphouët Boigny est à la hauteur de l’âpreté de la lutte fratricide que ceux-ci se sont livrée, en rivalisant de maladresses et de coups tordus. Désormais les peuples du Nord sont convaincus qu’ils ne sont pas des citoyens à part entière, par la faute des autres. Quel raccourci ! Quand des politiciens et idéologues ressortissants du Nord se sont mis à conceptualiser leur pseudo rejet (par qui ?), cela a donné naissance à une certaine charte du Nord qui se décline en une légitimation des ressentiments et de la haine savamment inoculés aux populations de cette région.
La haine est dans le cœur de ceux qui s’estiment méprisés et lésés dans leurs droits légitimes à être considérés comme citoyens au même titre que les autres. A ceux-là il convient d’ajouter ceux qui se croient dépositaires de droits divins exclusifs à gouverner la Côte d’Ivoire. Les uns comme les autres ont accumulé de vilains sentiments qu’ils n’arrivent pas à dompter, malgré le renversement du régime du président Laurent Gbagbo, il y a plus d’un an. La haine étant aveugle, elle se manifeste sans discernement et de façon irrationnelle. C’est ce qui explique cette apparente union sacrée des pseudo houphouétistes dont le seul point de convergence est la mise à mort du FPI qui ne demande qu’à exister et à exercer son droit à la gestion du pays, au même titre que les autres.
Pour sa part, le FPI de Laurent Gbagbo a démontré suffisamment son attachement aux valeurs démocratiques qui impliquent la tolérance et le recours à de moyens légaux de conquête et de gestion du pouvoir. Si les militants de ce parti ont pu légitimement être frustrés en raison du coup d’État dont ils ont été victimes, il est vain de rechercher en leur sein de la haine. Nul ne peut gouverner dans la haine et dans l’adversité permanente.
Quand un pouvoir sans partage procède à des arrestations arbitraires, au kidnapping d’opposants, au génocide sur des populations sans défense, aux assassinats, à des agressions de la presse d’opposition, à la justice de vainqueur et au mensonge d’état, il y a lieu d’en désespérer. En effet, au problème insoluble de déficit de légitimité, se greffent le manque de tact politique et l’absence de l’amour qui unit un peuple à son leader. Un tel pouvoir est condamné à pratiquer la violence pour espérer imposer son autorité méconnue, donnant ainsi raison au Président Ouattara, qui confesse que la violence est l’arme des désespérés. Pour le malheur des Ivoiriens et de la Côte d’Ivoire.
John K. Silué
Cadre financier,
Manhattan, NY- USA