Au delà d’une tentative de dénigrement d’une ethnie, un état d’esprit à combattre

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Dans le paysage médiatique togolais, le journal, “ La Dépêche” n’est pas n’importe lequel. Il s’est fait un nom, une réputation. Qu’on partage ou non sa ligne éditoriale, que sa réputation soit vertueuse ou pas, là  ne se pose pas le problème. Cet hebdomadaire assume son positionnement, qui ne date pas d’aujourd’hui, mais tire sa source depuis sa naissance dans les années 1990. “ La Dépêche “ se veut et se réclame être “LA VOIX DE SON MAÎTRE “; c’est-à-dire du pouvoir militaro RPT, qu’il n’hésite pas parfois à égratigner dans le style  » qui aime bien châtie bien ».

Au temps fort de la dictature de feu Gnassingbé Eyadèma, toutes les informations publiées par “ La Dépêche “ devaient être prises au sérieux, très au sérieux, car venant droit de l’antichambre du Palais, de Lomé 2 ou de l’État major des Forces Armées Togolaises, dont on connaît également le positionnement. “ La Dépêche” a souvent prévenu, averti, devancé… Elle a souvent dit tout haut, ce que ses actionnaires, certains de nos compatriotes hélas, ne pensent pas seulement tout bas, mais plutôt le clament impunément  entre eux, ou parfois en présence de certains fils Kotocolis… 

Ce positionnement du journal aurait pu rester respectable, s’il  ne l’amenait pas à dépasser la ligne jaune, les limites du tolérable, s’il n’allait pas jusqu’à inciter à la haine tribale, comme il vient de le faire dans sa parution du 16 juin dernier dans un article intitulé:“ La difficile cohabitation entre les Kabyès et les Cotokolis « . Aucun positionnement quel qu’il soit, ne permet à aucun citoyen, encore moins à aucun organe de presse de s’en prendre à un individu, à un groupe ethnique, sans se risquer de tomber sous le coup de la loi, encore faut-il qu’il y en ait une et qu’elle soit appliquée. Dans notre propos, nous ne nous attarderons pas sur l’auteur de l’article, ce serait nous dévier du débat que pose cette outrancière audace, et faire trop d’honneur à une journaliste qui n’a voulu que faire plaisir à ses  “ payeurs “  en relayant leur arrogance et leur exaltation de l’impunité dont ils jouissent. Il y a des actes que certains seconds couteaux posent sans réellement en mesurer la portée. Et cet article de  » La Dépêche “ est de ceux-là. Nous devons donc nous attaquer à la racine du mal.

Depuis la parution de cet article, il y a  eu certainement des réactions, face aux secousses qu’il suscite. Des réactions d’indignation ont fusé de partout. Non pas seulement des Kotocolis ou Tems, mais des hommes et des femmes – Kabyès compris- épris de liberté et soucieux de vivre dans un Togo où, aucune ethnie ne prétendra être supérieure à l’autre. L’audace de l’auteur de l’article, son assurance traduisent bien la culture de l’impunité au Togo où tout est permis aux uns et rien à d’autres. L’article de “ La Dépêche”, au-delà du fait qu’il parle des Kotocolis en des termes orduriers en les traitant de “ fainéants “ et en déformant la vérité sur la question foncière… pose un problème encore plus grave et plus pernicieux. En effet, pendant le long règne du général Eyadèma, suivi de son fils Faure, certains Kabyès, ont fini par être convaincus d’être les propriétaires du Togo . Du coup, il y en a qui se croient tout permis. Et ceux-là, on les retrouve aussi bien parmi les intellectuels que parmi les militaires officiers ou hommes de troupes, on les recrute aussi bien dans la classe moyenne que dans la couche sociale la plus défavorisée. L’auteur de l’article est dans la même logique. Au Togo aujourd’hui, il y a des Kabyès et certains de leurs proches, qui sous le couvert du pouvoir, se croient avoir droit à tout. Tout faire, tout dire, sans rien risquer… Et ceux qui disent gouverner le pays ne s’émeuvent pas, ils ne se sentent pas interpellés.

Dans un pays qui sort difficilement de plusieurs années de violences, dans un pays où la société semble être divisée en deux catégories, l’une proche des sphères du pouvoir affichant insolemment son luxe, sa richesse acquise sur le dos du peuple et l’autre, majoritaire, peinant pour réunir les moyens de son pain quotidien, dans un pays où certaines villes ne ressemblent aux villes du monde que de nom, dans un pays où le rêve semble être interdit aux citoyens et surtout aux jeunes que le sort a jeté hors du cercle du pouvoir, dans un pays qui enfin aspire et parle de réconciliation, alors que les assassins courent encore les rues, chacun doit jouer sa partition avec humilité et courage.  

Et une telle publication, venant d’un journal acquis au pouvoir ne fait qu’illustrer le double langage de ce pouvoir là, qui, à grand renfort de publicité, parle de réconciliation, crée  une Commission Vérité, Justice et Réconciliation ( CVJR ), alors que dans les faits, il ne fait rien pour se démarquer de son passé encore récent de commanditaire des violences qu’elles soient post- électorales ou non, et des frustrations dues aux injustices de ceux qui se refusent de danser au rythme de la musique du pouvoir RPT. La réconciliation devrait avoir pour socle la justice, le respect des entités ethniques du pays, quelques soient leur poids, leur religion, leur catégorie sociale.

Cette réconciliation devrait se faire entre victime et bourreau.

Dans l’histoire récente de la lutte pour la démocratie au Togo, la coexistence pacifique entre les Kotocolis -Tems-  d’Assoli et de Tchaoudjo, de Fazao, et leurs frères Kabyès, a été instrumentalisée par le pouvoir RPT. Les Cotocolis ont payé un lourd tribut…

Les victimes sont encore là, à Sokodé ou à Bafilo, où feu Ernest Gnassinbgé avait pris un malin plaisir à faire des raids ou des descentes punitives sur des populations sans armes. Les  Tems, du moins ceux qui ont survécu, portent encore les traumatismes de cette période là. Et puis, il y a les stigmates de 2005, les discours musclés des dernières élections présidentielles de 2010… À force de vouloir se remémorer de ce que, au nom de la confiscation du pouvoir, le RPT a fait subir au peuple Tem, ce peuple “ fainéant”, associés aux laisser pour compte du régime et autres frustrés se dira qu’il n’est pas encore prêt pour parler de réconciliation. Or, de paix, de réconciliation, notre pays en a besoin pour décoller, mais pas à n’importe quel prix. Et puis, pour cette réconciliation, on a besoin des « fainéants », des  » travailleurs », des « chômeurs », des « cadres », des « intelligents », des « riches », des « pauvres »… bref, de toutes les composantes de la société togolaise, même des bourreaux, des victimes et des commanditaires…

Cet article de “ La Dépêche “ pose en réalité la question de l’arrogance des uns et le tribalisme des autres, sinon des deux. Peut-être devrait-on ressusciter les associations telles que  » Différences Positives  » de M. Bona Kétéwuli et le CTR, le Comité de lutte contre le racisme et le tribalisme de Maître Agboyibor, qui lui a fait un tour à la Primature sans pouvoir faire changer de mentalité et de discours aux élus de Dieu qui gouvernent notre peuple. Cet article a un mérite, celui d’amener les tenants du pouvoir à se saisir d’un sujet: celui de l’égalité de tous les Togolais et de la recherche de leur mieux-vivre ensemble malgré leur diversité. N’est-il pas temps qu’au Togo , la maîtrise et l’usage d’une langue, quelqu’elle soit ne reste pas l’unique clé de tous les droits, de toutes les dérives?

 
Et si demain les Tchokossis de Mango traitaient les Mobas de Dapaong de on ne sait  quoi, les Ewés de Notsè, les Annas d’Atapkamé d’autres choses…Et si demain, les Tembermas s’en prenaient aux Lembas… et les Nawadas ou Lossos se permettaient de dénigrer les Kabyès… Que deviendra cette recherche du vivre ensemble à la quelle aspirent  toutes les Nations du monde, si nous dénonçons et ne combattons pas un tel état d’esprit? Cette question doit nous préoccuper. Elle doit encore plus préoccuper les gouvernants qui semblent depuis des années être plutôt tiraillés entre recherche d’une hypothétique légitimité  et quête d’autorité.

Tout Togolais doit se sentir concerné par la lutte contre toute sorte de dérive tribaliste. Et dire que ni la Haute Autorité de l’Audiovisuelle, ni les partis politiques de l’opposition n’ont publiquement condamné cet appel à la haine tribale.

À présent le sujet est connu. Il est l’illustration en grandeur nature d’un état d’esprit, car au-delà d’une tentative de dénigrement d’une ethnie, les Cotocolis, cet état d’esprit nous impose une réflexion, une dose de courage pour un combat pour un  changement de mentalité.

Bassirou AYÈVA

 Journaliste, Brème

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