Il est au pouvoir depuis 5 ans et vient d’être réélu dans la plus grande contestation, avec un score qu’il dit lui-même «inattendu», 60,82%, à la tête du Togo, petit pays de l’Afrique de l’Ouest que son père a dirigé pendant 40 ans et dont il prend la relève dans le sang et les massacres. Faure Gnassingbé est relativement à bout de souffle. Il loupe deux grands rendez-vous internationaux, le sommet de l’Organisation des Nations Unies, ONU, et celui de la Francophonie. Son acolyte de tous les temps, Pascal Bodjona, ministre de l’administration territoriale est mis à mal par des accusations de presse et sa notoriété se fragilise. Au kpatchagate, s’ajoutent une multitude de scandales économiques tous azimuts et l’échec de sa coalition avec une partie de l’opposition augmentent son insomnie. Où va le Togo, que devient son chef, que représente-t-il dans le concert des Nations? L’heure de la vérité.
«Le président Sarkozy a un calendrier trop chargé, on verra bien», la réponse est courte; c’est celle donnée à la présidence togolaise qui souhaitait, pour cet automne, une visite officielle et une visite d’Etat à Paris. Le malaise diplomatique entre les deux pays est maximal, ni Lomé, ni Paris ne veulent reconnaître la situation et jouent au ping-pong du désamour diplomatique. «L’exclusion de Eric BOSC en dit long et la riposte française aussi…» se réjouit discrètement Kofi Yamgnane lors d’un entretien à Paris avec Tribune d’Afrique. L’Allemagne revoit habilement sa coopération, les Etats-Unis sont déçus d’un jeune président auquel ils avaient cru au départ, la Grande Bretagne se met à l’écart, le Secrétaire général de la Francophonie est embarrassé par l’absence inattendue du président togolais au sommet de la francophonie, le Bénin prend la douche froide des irrévérences diplomatiques de Lomé dans l’affaire François Boko, un ancien ministre dissident togolais que le régime souhaite voir loin de Cotonou alors qu’il était en mission officielle au Bénin… Et ce n’est pas seulement la diplomatie togolaise qui est malade, son économie est aussi gangrenée par la corruption, le népotisme, le banditisme financier et les approximations économiques, la gestion calamiteuse des inondations, etc. Et face à cette situation, le président est quasi-absent, dépense son énergie ailleurs ou fait parler de lui dans les journaux locaux, entre procès et négociation… Autopsie d’une République au bord de l’embourbement.
Montreux et New York ratés
Montreux, 22 octobre 2010, une multitude de délégations sont déjà reçues à l’Aéroport de Lausanne et conduites dans des hôtels chics de la cité touristique helvétique. A la salle 1 de presse, au QG des médias, le commissaire général du sommet vient d’achever un point de presse. Il annonce dans la foulée des délégations qui devraient venir. Le Togo n’y est pas cité. L’envoyé spécial de Tribune d’Afrique, présent à la conférence de presse s’en étonne et pose la question, «Nous n’avons pas eu l’annonce de la délégation togolaise…», confie ouvertement le commissaire général. Quelques heures après, le ministre Pascal Bodjona confirme l’information par téléphone, avec un ex-dignitaire du régime qui s’en inquiétait aussi. «Le ministre d’Etat y sera». Parmi les pays francophones de l’Afrique de l’Ouest, le Togo apparaît avec la délégation la plus minable. «Ce pays n’est pas comme les autres» s’en moque un cadre de la francophonie, «il faut s’attendre à tout avec Lomé», conclut un ministre d’une délégation de l’Afrique centrale. Quelques semaines plus tôt, Faure s’abstient de sa participation au sommet de l’ONU, à New York. Complexé, le Togo devient le grand absent des rencontres internationales.
Haro diplomatique sur Lomé
Solitoki Esso est le ministre d’Etat en charge des réformes administratives et de la fonction publique. Il cumule son poste avec celui du secrétaire général du RPT, Rassemblement du Peuple Togolais, parti au pouvoir, ce qui n’est pas prohibé… ce matin, il a l’air bien en courroux après un entretien à bâtons rompus avec l’ambassadeur de l’Allemagne au Togo. Le diplomate s’en va, presque fier, quelques cartables entre les mains et disparaît aussitôt de la cour du ministère. Il a été direct avec le ministre, «la coopération allemande restera prudente, nous sommes un peu perturbés par les derniers revirements et embarrassés par les manifestations de l’opposition», langage diplomatique à demi-mot. L’Allemagne est l’un des rares pays d’Europe avec la Grande- Bretagne à ne rien comprendre de l’ambigüité qu’incarne la situation togolaise. Comment comprendre qu’en même temps que le gouvernement, par son porte parole de toujours, Pascal Bodjona chante les rénovations d’un «pouvoir nouveau et crédible», l’opposition soit à une énième manifestation de rue? Dilemme. Et pour régler d’un coup de chef la situation, le ministre de l’administration et son collègue de la sécurité ne trouvent pas mieux que les représailles. Gendarmes et policiers à la trousse des manifestants pourtant légitimes. La République bananière sonne son glas. Dans cette situation, de source diplomatique, l’Allemagne révise sa coopération. Berlin qui fut l’un des principaux artisans de l’avènement de la démocratie au Togo veut persister sur la voie de la pression afin de restaurer l’Etat de droit. Les valeurs républicaines, la bonne gouvernance, le respect des droits fondamentaux et l’essor économique sont les priorités de l’Allemagne au Togo. Ce pays que le régime qualifie souvent d’hostile en a fait les frais avec l’incendie de son centre culturel, Institut Goethe en avril 2005 et les relations souvent tendues que les autorités togolaises, hostiles à toute contradiction diplomatique, entretiennent avec l’Ambassade.
A l’Ambassade de la Grande-Bretagne basée à Accra, on est perplexe… «Le Togo n’est pas une priorité particulière compte tenu de son passé historique avec la France mais nous suivons la situation de très près» confie à Tribune d’Afrique, à Londres un chevronné spécialiste de l’Afrique, en service aux affaires étrangères. «Pour nous, la situation ne cesse de s’emballer» ajoute l’intéressé. Son pays qui ne dispose à Lomé que d’un consulat prend de plus en plus de distance par rapport à la situation qui prévaut au Togo, des élections dites régulières mais une situation sans cesse indégonflable. «Cela pose un problème de légitimité» murmure-t-on au ministère britannique des affaires étrangères même si l’on préfère rester à l’écart.
A la cellule Afrique de Sarkozy, on commence par se frotter les mains. «Si une solution sincère et durable n’est pas trouvée, la situation ne pourra pas s’améliorer à long terme» clame-t-on au Quai d’Orsay. Nicolas Sarkozy avait pris personnellement ses distances par rapport au Togo au lendemain de l’intronisation militaire de Faure Gnassingbé en s’opposant à ce qu’il avait appelé, «la politique voyou» en Afrique et peut aujourd’hui se donner raison. Depuis sa nomination, Bernard Kouchener, ministre français des affaires étrangères a toujours pris sa distance. «Bernard est à gauche après tout, il mesure ses rapprochements» s’écrie l’un de ses conseillers. Malgré les récentes confirmations des intérêts de Sarkozy au Togo, notamment au Port de Lomé où son ami de tous les temps, Vincent Bolloré a repris le contrôle de la manutention et la moderniser, Paris évite le piège. «Les collaborateurs du président togolais sont aussi assez suspects, il doit faire le ménage, déboulonner les incompétents et relancer le pays, en concert avec l’opposition» s’époumone, à raison un proche de Claude Guéant, Secrétaire général de l’Elysée.
Les Etats-Unis, eux-aussi, ne se sont pas mis à l’écart. Si l’ambassade américaine à Lomé a été des premières à s’inquiéter des procédures électorales, à prendre ses distances vis-à-vis d’une gestion hasardeuse et chaotique, le peu de proximité que Washington entretenait avec le Togo pour contrer les trafiquants de drogue s’étouffe pour trois raisons. La première, la lutte contre la cocaïne ne porte pas de grands fruits et il y a, même au sein du pouvoir, une tendance évidente à protéger certains trafiquants réels ou supposés. La seconde, c’est la gestion sans cesse hasardeuse. Barack Obama est venu en prônant la bonne gouvernance, Faure ne l’écoute qu’avec une seule oreille. Les crimes économiques se multipliant à gogo, avec l’affairisme mafieux au sommet de l’Etat. La troisième raison, ce sont les déclarations ignobles du président de l’Assemblée Nationale du Togo. Abass Bonfoh confiait dans une interview officielle à Tribune d’Afrique que «… Georges Bush devrait être poursuivi pour ses crimes en Afghanistan, en Iraq et ailleurs…» et le département d’Etat a mal pris ces déclarations qu’un spécialiste de la politique américaine s’est empressé de qualifier «d’inconséquentes».
Délinquance économique
«La gestion des sociétés d’Etat ne répond à aucune norme, je le disais au président, il faisait la sourde oreille, je ne sais plus où nous allons» c’est un ancien ministre de Faure Gnassingbé qui s’inquiète. Dans une discussion avec Tribune d’Afrique dans un Bar au cœur de Bruxelles, fin octobre dernier, cet ancien ministre s’en remet à Dieu. «Regardez à Togo Télécom, Faure protège les brigands depuis plusieurs années». Il en veut pour preuve la gestion opaque de Togo Telecom et Togocellulaire. Il justifie la longévité des directeurs généraux de la Caisse Nationale de la Sécurité Sociale, CNSS et de la Lonato, loterie nationale du Togo, «le premier a décaissé près de 8 milliards des réserves de la retraite pour acheter au président Eyadema un avion» dit-il avant de conclure, «qui peut-on laisser aller découvrir ce trou?». Selon lui, Faure doit régulariser la situation avant de pouvoir le changer. A cette allure, les retraites ne sont pas aussi assurées à long terme, il y a de quoi s’inquiéter. La Direction générale des Impôts s’oppose à tout audit externe depuis plusieurs années et la gestion des sociétés d’Etat ne répond à aucune norme. La société de phosphate a déjà changé de noms plusieurs fois en cinq ans, et a connu au moins trois directeurs généraux, tous catastrophiques gestionnaires qui ont contribué, par des achats douteux de machines et des détournements flagrants, à reléguer la société. Ferdinand Maganawè, professeur d’université qui a fait quelques mois à la tête de la société a laissé des traces indélébiles… Colossales factures impayées, achats de machine au Brésil et qui ne sont jamais livrées, commandes de pneumatiques pour les machines d’extraction au Maroc qui tardent depuis une année ; bref, des commandes fictives opérées le plus souvent avec la complicité de membres du Conseil d’Administration. Le choix de ces membres pose un problème de crédibilité. Le plus souvent, les dignitaires du régime s’accumulent dans les Conseils d’Administration des sociétés d’Etat pour se remplir, sous les yeux du chef de l’Etat leurs comptes à travers le monde… Jusqu’où ira le «mangement»? S’interroge notre ancien ministre. En attendant, lui-même se paie les hôtels de luxe dans les capitales européennes avec ses derniers détournements. Au pays de Faure, les détourneurs sont des rois…
Perspectives rabougries et déperdition d’Etat?
Il n’aura que difficilement de bonnes perspectives. Le primordial problème étant celui de la légitimité. Les scrutins étant vraisemblablement truqués, l’opposition poursuivie et réduite au néant, la crise ne prendra pas fin. Soit Faure Gnassingbé ouvre honnêtement la voie du dialogue avec l’opposition et partage conséquemment un pouvoir que la dynastie qu’il incarne s’est arrogé hors toute loi. Dans ce cas, les principaux leaders du Frac, Front Républicain pour l’Alternance et le Changement devraient entrer au gouvernement avec des postes de souveraineté mais surtout une primature constitutionnellement renforcée et confiée à Jean Pierre Fabre, leader de l’opposition togolaise. Soit Faure persiste dans l’aveuglement où le poussent ses amis qui veulent de moins en moins son bien, et dans ce cas, il va dans le mur, pour soit ne pas être réélu en 2015 ou être chassé par une révolte sociale et populaire avant la fin de son mandat. La troisième dont tout le monde évite de parler, est une prise de pouvoir par l’armée. Ce moyen de renversement des régimes est à la mode en Afrique et malgré l’ «ethnicisation» de l’armée togolaise, ce n’est pas écarté. «Tout peut arriver et si Faure ne fait rien pour sauver le pays, il en sera responsable» s’en remet Kofi Yamgnane.
MAX SAVI Carmel, Londres