Agbéyomé KODJO : Je laisse à Olympio l’arbitrage de sa conscience et de l’histoire.

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« Mais ce qui reste essentiel aujourd’hui, c’est qu’au-delà des questions de structures politiques, le peuple togolais reste massivement mobilisé dans son exigence de vérité des urnes, comme en témoigne l’ampleur de la participation à la marche de samedi dernier, qui intervenait après la publication le 28 mai 2010 du gouvernement HOUNGBO II. » Interview réalisée par Camus Ali

Lynx.info : L’OBUTS va-t-elle renaître de ces cendres après les départs tous azimuts de vos membres ?

Agbéyomé KODJO : Je vous remercie de l’intérêt que vous portez à OBUTS et à son avenir !
Je pense qu’il faut faire très attention au sens des mots. Pour pouvoir renaître de ses cendres, il faudrait d’abord qu’il y ait eu anéantissement, ce qui est très loin d’être le cas. Pour rétablir la vérité des faits, au lieu de dire départs tous azimuts, je parlerai de quelques éléments qui ont décidé, dans des circonstances précises de jouer la carte de leurs intérêts personnels au lieu de jouer celle de l’intérêt collectif du parti politique OBUTS.

Cette situation n’est pas née à n’importe quel moment de la vie du parti. C’est au moment où nous avons dû faire le choix éminemment politique de répondre favorablement ou non à l’invitation du premier ministre de participer au nouveau Gouvernement. Après un débat démocratique au bureau national, nous avons tranché à l’issue d’un vote au cours duquel chacun a pu s’exprimer. L’éthique et la cohérence sont le sceau de la ligne politique d’OBUTS arrimée à ses textes!
Aujourd’hui la vie interne du parti continue et vous pouvez compter sur moi pour renforcer sa cohésion et sa structuration interne sur l’ensemble du territoire. Nous avons réuni ce week-end les fédérations de Lomé et ses environs qui ont approuvé de nouveau les décisions et orientations prises par le Bureau National.

Ceux qui ont choisi de jouer cavalier seul sont libres de le faire et de répondre en âme et conscience devant l’histoire ! D’ailleurs la composition du nouveau Gouvernement confirme que nous avons eu raison de décliner l’offre telle qu’elle nous était présentée.

Lynx.info : On vous accuse à OBUTS de prendre des décisions solitaires. C’est ça ?

Quand vous dites « on », pourquoi ne pas expliciter clairement le sens de votre question. Vous n’ignorez pas que le pouvoir sortant a tenté une pitoyable manœuvre de déstabilisation interne de notre parti. Il avait trouvé pour cela des relais internes qui n’ont pas respecté les règles de fonctionnement du parti. Les textes du parti définissent le cadre de notre action, et il faut bien s’y référer. Nous nous sommes expliqués publiquement sur le sujet et nous avons pris des décisions adaptées à celles d’un contexte de crise, en ayant le souci de préserver l’intégrité de la ligne politique que nous avons choisie en présentant un candidat à l’élection présidentielle. Contrairement aux allégations mensongères de certains, ces décisions importantes ont été prises collégialement, ce qui est bien la preuve d’un fonctionnement démocratique.

OBUTS n’est pas ma propriété personnelle, c’est un parti démocratique qui appartient à chacun de ses membres, et pas à un quarteron de séditieux qui ont tenté sans succès de l’utiliser à leur usage exclusivement personnel. La tentative d’embarquer certains membres dans leur aventure en dit long et contraste fort avec la mobilisation interne de la quasi-totalité du parti!

Rien que ce week-end, nous nous sommes retrouvés avec les fédérations de Lomé Commune , celles du Golfe et de ses environs pour définir les contours des grandes orientations à venir. Peut-il avoir une preuve plus éclatante pour confondre nos détracteurs ?

Lynx.info : Parlons du FRAC. PERE refuse de venir aux marches parce qu’Agbéyomé est là. Y a-t-il animosité entre vous? Connaissez-vous les vrais raisons du départ de PERE ?

Le FRAC a été créé dans un contexte électoral donné pour fédérer l’opposition autour de l’UFC, et réaliser ensemble l’alternance. Le FRAC était un rassemblement auquel plusieurs partis et SURSAUT, qui pour des raisons diverses ne présentaient pas de candidat à l’élection présidentielle se sont ralliés à la dernière minute derrière la candidature de l’UFC représentée par Jean-Pierre FABRE. J’avais été à l’époque, notamment durant la campagne électorale, amené à exprimer publiquement un certain nombre de préoccupations relatives à la nécessaire clarté des engagements, dont l’histoire récente vient de confirmer qu’elles étaient légitimes.
Je voudrais rappeler deux choses à ceux qui ont la mémoire courte. Que n’ai-je pas entendu à l’époque, et de quoi n’ai-je pas été traité, lorsqu’avant le scrutin du 4 mars, j’ai interpellé publiquement à deux reprises l’UFC à travers Gilchrist OLYMPIO, mettant en évidence son silence pesant et l’ambiguïté de son positionnement politique, notamment à l’égard du candidat présenté par l’UFC Jean-Pierre FABRE, devenu candidat commun du FRAC.

Si à l’époque, ceux qui dans l’entourage de Jean-Pierre FABRE me décriaient et me clouaient au pilori avaient pris le parti de cette exigence de clarté que je revendiquais, nous ne serions pas dans la situation paradoxale ou nous sommes actuellement. C’est-à-dire à faire le constat, que le parti du véritable vainqueur de l’élection présidentielle, Jean-Pierre FABRE, dispose de sept portefeuilles ministériels au sein d’un gouvernement présidé par Faure Gnassingbé, dont la démonstration est faite aujourd’hui qu’il ne peut tirer aucune légitimité de l’élection présidentielle du 4 mars 2010 !

Aujourd’hui si le contexte électoral est dépassé, la lutte pour la vérité des urnes n’en continue pas moins. OBUTS, associé au Collectif pour la Vérité des Urnes (CVU), continue à défendre l’exigence de la vérité des urnes avec le FRAC dont il est l’allié. Comme il l’a fait sans aucune hésitation, depuis le soir du 4 mars, où il a été le premier à reconnaître la victoire de Jean-Pierre Fabre, au vu des éléments concordants qui lui étaient parvenus par le biais des observateurs dans les bureaux de vote. C’est dans cette dynamique que le CVU, mouvement citoyen, a été porté sur les fonts baptismaux afin d’œuvrer pour la vérité des urnes et des comptes au Togo.

La question reste de savoir ce que veulent faire du FRAC, Jean-Pierre FABRE et les autres chefs de partis ou associations qui le composent. Pour l’instant le FRAC n’est pas un parti politique, avec toutes les prérogatives qui en découlent.

Depuis le 4 mars au soir, nous nous sommes résolument alignés sur la volonté du peuple togolais qui aspire de tout cœur à un changement de gouvernance et de valeurs dans notre pays. De fait, nous avons été le seul parti à répondre favorablement à l’appel au soutien du FRAC lancé à toute l’opposition. Nous nous sommes comportés comme des partenaires loyaux et avons participé à la quasi-totalité des actions militantes qui ont été entreprises jusqu’ici. Nous étions aux premières loges le 23 mars lorsque nous n’avons pas été épargnés par les violences de la FOSEP à l’encontre de tous les participants à la première veillée de prières à la bougie

A mes yeux, le leader du FRAC c’est Jean-Pierre FABRE. Je ne vois pas quels griefs il pourrait nourrir à notre encontre. Il ne m’en a jamais fait état. Quant aux raisons qui motivent Dahuku PERE, pour s’exprimer de la sorte à notre égard, je vous suggère de lui poser la question directement.

Mais ce qui reste essentiel aujourd’hui, c’est qu’au-delà des questions de structures politiques, le peuple togolais reste massivement mobilisé dans son exigence de vérité des urnes, comme en témoigne l’ampleur de la participation à la marche de samedi dernier, qui intervenait après la publication le 28 mai 2010 du gouvernement HOUNGBO II.

Lynx.info : Tous les politiques ont trahi que les togolais ne croient plus en rien. OLYMPIO n’a-t-il pas raison de s’approcher du RPT ?

Vous allez vite en besogne lorsque vous semblez mettre tout le monde dans le même sac, au niveau de la trahison politique à l’égard du peuple togolais.
Je vous rappelle que durant une période de 40 ans, j’ai été le seul premier ministre en exercice à quitter EYADEMA pour incompatibilité, du fait que je voulais, déjà à l’époque, introduire un certain nombre de réformes, pour commencer à transformer en profondeur la société togolaise.
Vous n’ignorez pas ce qu’il m’en a coûté, et m’en coûte encore. Ma candidature à l’élection présidentielle du 4 mars fut donc l’aboutissement logique du combat politique pour réformer la société que j’avais commencé 8 ans plus tôt, lorsque j’ai quitté EYADEMA.
Si j’ai donc eu des divergences graves avec le président de l’époque, je n’ai pas pour autant trahi depuis lors le peuple togolais, dans l’idéal de justice et de réformes politiques, sociales, économiques auxquelles il aspire, et qui constituent le fil conducteur des propositions que je lui ai soumises durant la campagne électorale.

Quant à Gilchrist OLYMPIO, il a pris ses responsabilités. Le peuple togolais le jugera comme il se doit, et d’ailleurs il a déjà commencé à le faire.
Mais pour répondre avec précision je dirai qu’il a eu tort de se rapprocher ainsi du RPT. Il ne dispose d’aucun argument valable pour justifier son alliance avec un parti qui a été abusivement déclaré vainqueur d’une élection entachée de très graves irrégularités, comme il est indiqué dans les soixante pages du rapport définitif que vient de publier la Mission d’Observation Electorale de l’Union Européenne (MOE-UE).

Gilchrist OLYMPIO est maintenant seul devant le poids de notre lourde histoire politique chargée de tant de violences et de sacrifices faits en son nom. Il doit en avoir la mesure !
Il doit probablement avoir ses raisons pour tenter ce pari solitaire en ignorant des courants significatifs de sa propre famille politique, les autres forces de l’opposition démocratique ainsi que les aspirations profondes du peuple meurtri et dont le cri de détresse ne cesse de nous interpeller.

Lynx.info : Vous connaissez le mieux le RPT. Les ministres UFC pourront travailler efficacement pour le bonheur des togolais ?

Vous êtes un fin observateur politique et vous l’avez déjà prouvé. Il suffit d’examiner la composition du Gouvernement pour trouver la réponse à votre question. L’UFC, n’a même pas obtenu un seul des ministères régaliens. Quant au Ministère des affaires étrangères, chacun se souvient comment Léopold GNININVI, qui occupait ces mêmes fonctions avait été cornaqué et complètement mis sur la touche au point que dans les derniers mois de ses fonctions, il n’accompagnait même plus le président lors des voyages officiels.

Tous les ministères clés, qui ont besoin de réformes immédiates et profondes si l’on veut vraiment changer quelque chose au Togo, FINANCES, JUSTICE, SECURITE,…, restent entre les mains du RPT et mieux encore n’ont même pas changé de titulaire.
Enfin, pour ce qui concerne l’ordre de préséance des fonctions ministérielles, à l’exception du Ministère des affaires étrangères, qui bénéficie de la mention honorifique de ministre d’Etat, et se trouve en troisième position, le premier poste détenu par un ministre membre de l’UFC, est en douzième position sur la liste du Gouvernement.
Vous avez sous les yeux la démonstration qu’en lieu et place d’un Gouvernement de large ouverture et de grandes compétences, vous avez un Gouvernement de verrouillage au sein duquel les membres de l’UFC ne servent que de marche pied et de faire valoir au verrouillage opéré par le RPT sur la gouvernance politique du Togo.

Enfin, il y a plus grave !

Je n’ai jusqu’ici entendu aucun responsable politique togolais s’offusquer du fait qu’aucun ministre de la Défense n’ait été nommé dans ce Gouvernement. Cette situation est extrêmement grave, et au lieu de constituer une avancée comme certains le prétendent, cette décision confère à opérer un recul de plus de trente ans.
Ceci équivaut de fait, à laisser les questions de la défense nationale entre les seules mains et à l’unique discrétion du Président de la République. J’entends dénoncer cette situation avec la plus grande vigueur.
Cela cache-t-il de la part de Faure Gnassingbé des arrière-pensées inavouables ? Dans le contexte actuel de crise politique, du fait des irrégularités constatées lors du scrutin du 4 mars, le peuple togolais qui lutte pour la vérité des urnes est fondé à se poser cette question !
Rien que pour ce motif, je n’ai personnellement aucune raison de saluer l’entrée en scène de ce nouveau Gouvernement !

Lynx.info : Pourquoi OBUTS a-t-il décliné l’offre de participer au gouvernement ?

En répondant très explicitement à votre précédente question, j’apporte un éclairage qui explique les raisons de notre refus de participer à un tel Gouvernement.

J’ai dit très clairement, au Premier ministre lorsqu’il m’a reçu, ainsi qu’à l’ancien ministre de l’Administration territoriale qui l’accompagnait, qu’en raison des irrégularités constatées, notamment par la MOE-UE, nous ne pouvions pas considérer que Faure GNASSINGBE avait gagné l’élection.
Nous lui avons dit tout aussi clairement qu’à nos yeux, pour sortir de la crise politique profonde dans laquelle se trouve de ce fait notre pays aujourd’hui, seul un gouvernement de transition à terme et à mandat précis chargé d’organiser de nouvelles élections trouvait grâce à nos yeux. Gouvernement de transition auquel doivent être parties prenantes tous les partis ayant pris part à l’élection présidentielle.
Nous ne nous sommes pas contentés de répondre non au Premier ministre, nous avons largement motivé notre refus, point par point dans la longue lettre de réponse que nous lui avons adressée pour décliner son offre.

Lynx.info : Tout semble être déjà empaqueté pour cinq ans encore. Finalement les marches du FRAC n’ont pas eu raison sur le RPT. Qu’est qui a manqué au FRAC ? Que peut faire le FRAC ?

Comment pouvez-vous être aussi affirmatif ? Quand vous dites que les marches n’ont pas eu raison du RPT, vous allez un peu vite.
A la différence de 2005, ou toute velléité de résistance citoyenne avait été éradiquée en deux jours au prix d’au moins cinq cents victimes civiles, le mouvement de résistance citoyenne n’est pas éteint. Au contraire, nous avons constaté samedi dernier que la publication du nouveau Gouvernement « d’étroit verrouillage » du RPT, avait donné au mouvement populaire un regain d’ampleur et il y avait encore plus de marcheurs que d’habitude.

N’oubliez pas non plus que ce mouvement ne concerne pas que Lomé et que malgré les interdictions du pouvoir, au demeurant anticonstitutionnelles, d’organiser des marches dans les villes à l’intérieur du pays, les populations passent outre et manifestent leur désir de vérité des urnes.

Ce n’est pas parce que le Gouvernement est nommé que tout s’arrête. C’est loin d’être le cas !
Le problème aujourd’hui n’est pas que le problème du FRAC, il est le problème de toutes les filles et de tous les fils du Togo tout entier, qui au-delà du FRAC, d’OBUTS, du CVU et des autres mouvements, ont envie de faire valoir leur droit à la vérité des urnes et à la justice électorale et sociale. Pour ce qui nous concerne, nous serons indéfectiblement à leurs côtés et je pense que le FRAC également.
En revanche, il est clair que les formes de lutte citoyenne devront s’adapter et être ajustées pour être le plus efficaces possibles.

Lynx.info : Le RPT semble être très sûr de lui-même. Vous connaissez les raisons ?

En êtes-vous aussi sûr que vous l’affirmez ? Ma réponse sera très claire et compréhensible par tous. Le fait qu’il n’y ait aucun ministre de la Défense nationale dans ce gouvernement, soi-disant de « Large Ouverture », en dit long sur la tranquillité du RPT. Je ne pense pas qu’il soit aussi sûr que vous le dites.

Lynx.info : En quelques mots pouvez-vous décrire « Olympio l’homme politique » ?

La défection de Gilchrist OLYMPIO, a au moins un mérite. En décidant de s’allier au RPT, celui-ci a permis d’éclaircir considérablement l’horizon du combat politique au Togo !
Sa non-candidature à l’élection présidentielle constituait déjà un tournant, dans la mesure où elle faisait définitivement sortir le combat politique de l’élection présidentielle, de la posture d’un affrontement clan contre clan.

En ce sens le débat politique s’est davantage élargi et a permis d’intégrer beaucoup plus fortement que par le passé, les dimensions sociale et économique dans les enjeux du scrutin. Aujourd’hui, les choix opérés par Gilchrist OLYMPIO ne peuvent qu’aider à une meilleure clarification du paysage politique.
Quand les travailleurs du Togo demandent la revalorisation de leurs salaires, l’amélioration de leur pouvoir d’achat, nous sortons de la lutte des clans et nous entrons de plain-pied dans la question des choix de gouvernance nécessaires pour procéder à des réformes qui transforment la société en profondeur et concourent à améliorer, autant que faire se peut et que les ressources du pays le permettent, la condition des millions de nos compatriotes.

On retrouve toute cette dimension, dans l’exigence de vérité des urnes et des comptes, qui s’exprime chaque samedi.

Quant au personnage politique Gilchrist OLYMPIO, s’il doit finir sa longue carrière de la manière dont il vient de se conduire ; en face des compatriotes qui pendant plus de quarante ans lui ont tout donné pour soutenir son combat, certains au péril de leur vie ; je le laisse à l’arbitrage de sa conscience et de l’histoire.

Lynx.info : Merci Agbéyomé KODJO

Agbéyomé KODJO : C’est moi plutôt qui vous remercie Ali

Interview réalisée par CAMUS Ali

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