Le jour tant attendu est arrivé : Gilchrist Olympio (GO) est enfin élu président de la République du Togo. Lors de sa campagne présidentielle, il adopta le 13, ce chiffre magico-symbolique fondateur du clan Gnassingbé. Il invite à évaluer le nouveau pouvoir sur ses treize premiers jours au cours desquels il dit que les signes de la rupture seront très perceptibles, ne serait-ce qu’au niveau des symboles. Mais en adoptant le 13, d’aucuns se demandent déjà où se trouve la rupture. Dans le Togo post-gnassingbé, on n’est pas à une contradiction près.
Depuis treize jours qu’il est au pouvoir, on remarque qu’il n’y a pas de passation de pouvoir entre Faure le sortant et le nouvel élu qui ne manifeste d’ailleurs aucune préoccupation quant à cette situation anormale. Aucun discours inaugural à la nation, pas de nomination de Premier ministre, ni de membres de gouvernement. Sa fille est rentrée des Etats-Unis pour occuper le poste de directrice de la Présidence et son cousin de Belgique pour prendre en charge le portefeuille de l’Information, en fait de la Propagande et du Contrôle de la pensée. Un décret présidentiel, le deuxième (PR 2010 002 du 13 février 2010) institue treize jours de festivité sur toute l’étendue du territoire, le 13 janvier érigé en fête nationale avec ses ambigüités ainsi que le 27 avril. GO élève aussi sa date de naissance au même rang.
Les décisions de rupture significatives attendues depuis plus quarante ans sont reportées à plus tard, pour ne pas dire aux calendes grecques, « afin de se donner le temps pour mieux les étudier dans le but d’éviter des conséquences désastreuses pour nos chères populations » selon le communiqué justificateur diffusé par le ministère de la Propagande et du Contrôle de la pensée (MPCP) qui fonctionne exactement comme à l’apogée du régime Eyadéma, d’autant qu’on a affaire aux mêmes agents à la seule différence que les Robert Montoya français qui régentaient ce département sont remplacés pas des Robert Montoya belges. Lesquels avec l’aide d’astucieux ingénieurs indiens et chinois ont mis au point des « cerveaumatons » capables de détecter la pensée et les rêves des individus. Ainsi, ceux qui pensent que GO est un « dromadaire » ou un « homme creux », les fumeurs de cigarettes Gamel, et les caricaturistes qui flanquent son visage vaginal de nez phalliques, sont envoyés dans de nouveaux camps Agombio ou Kazabua pour y méditer les bienfaits de l’alternance et y subir une rééducation si la diète noire les a épargnés.
Pendant ce temps, GO lui-même est heureux comme un bébé qui vient de prendre son biberon. Il est dans un état extatique qui donne l’impression qu’il est en plein orgasme, paradant fièrement dans les rues de Lomé, allant d’une préfecture à l’autre, d’un défilé militaire à l’autre (13 défilés quotidiens !), après avoir troqué son grand boubou jaunâtre (ou couleur pelage dromadaire) contre un treillis flambant neuf.
Son premier décret n° PR 2010 001 du 13 février 2010 n’a-t-il pas été de se faire incorporer intempestivement dans les FAT et de s’octroyer le grade de général d’armée cinq étoiles ? Et de quadrupler par la même occasion la solde des militaires, qui, ainsi alléchés, ferment les yeux sur les écarts du nouveau président élu ? Dans une de ses rares conférences de presse arrachée au forceps par des journalistes téméraires, qui a duré deux heures treize, il tient ce langage dromadaire, fidèlement retranscrit : « Moi-même, j’aime les parades militaires. Vous voyez ! Passer les troupes en revue c’est comme faire l’amour avec les militaires. Vous voyez ! J’adore les militaires. Je ne peux pas leur faire du mal. Vous voyez ! N’est-ce pas ça la réconciliation nationale, n’est-ce pas ? Quand je travaillais au FMI, j’allais au travail en treillis. Vous voyez, n’est-ce pas ? Quand moi-même j’enseignais dans les universités en Occident, j’étais aussi en uniforme militaire et les étudiants me respectaient beaucoup. Vous voyez, n’est-ce pas ? J’ai l’âme militaire. Je suis un soldat né. Je suis un combattant né, n’est-ce pas ? C’est dommage, le général Eyadéma, mon bien-aimé prédécesseur, n’a jamais voulu me rencontrer, sinon lui et moi serions de très bons amis. Vous voyez ! Nous avons perdu beaucoup de temps pour rien, n’est-ce pas ? Quand je travaillais au FMI, on m’a dit de ne pas dissoudre l’Assemblée nationale si j’arrive au pouvoir. Je vais suivre ce conseil. Voyez-vous, n’est-ce pas ? Comme les élections coûtent beaucoup d’argent, voyez-vous, nous allons faire des économies. Nous n’allons plus organiser des élections dans ce pays au nom de la rigueur économique.
Le RPT majoritaire à l’Assemblée ne me dérange pas, n’est-ce pas, voyez-vous ? Mais nous allons dissoudre la Commission Vérité Justice et Réconciliation au nom même de la réconciliation, vous voyez ? Si mon père a été assassiné c’est parce qu’il n’a pas voulu écouter les conseils lui demandant de fuir ou de se cacher. Mon père est têtu, c’est pourquoi il a été tué. C’est sa faute à lui, n’est-ce pas ? Ce n’est pas la faute du regretté Eyadéma ou des Français, vous voyez ? Moi-même à Soudou, on a voulu m’assassiner et on a assassiné des proches à moi. C’est ma faute parce que je n’ai pas voulu écouter les conseils me dissuadant de faire cette tournée. Donc Soudou c’est ma faute, vous voyez. Donc, n’est-ce pas, la Commission Réconciliation ne sert à rien, on va la dissoudre purement et simplement. Il faut réconcilier les Togolais, n’est-ce pas ? vous voyez, voyez-vous ? On dit que j’ai un esprit revanchard, vous voyez qu’on s’est trompés sur moi, voyez-vous, n’est-ce pas ? Il faut laisser le CAR là où il est avec quatre députés qui lui vont bien. Vous savez que le CAR, c’est une petite voiture de trois places, n’est-ce pas ? (rires dans la salle). Il n’y a pas même de place pour le quatrième passager qui demande à venir chez nous, vous voyez ? (rires encore. Ecœuré, un journaliste ramasse ses affaires et tente de s’en aller, mais il est rattrapé et ramené manu militari par les agents du MPCP). Les élections à un tour c’est bon non, vous voyez ! Le découpage électoral c’est très bien aussi comme ça, n’est-ce pas ? Je ne vais pas toucher à rien du tout, le RPT a fait du bon travail, on doit le remercier, voyez-vous. C’est pourquoi nous festoyons depuis cinq jours maintenant et ça va continuer encore, n’est-ce pas ? S’il n’y a plus de bœufs au Togo, on ira les chercher au Burkina, au Niger, au Mali. S’il en manque dans ces pays, on ira les chercher en Argentine voire en Inde. Voyez-vous, il faut que les vaches sacrées servent à quelque chose, n’est-ce pas ? Je m’appelle Gilchrist et comme mon homo je dois pardonner, c’est dans la bible, n’est-ce pas ? Alors fêtons, buvons et « agapons ». Mais avant je vais libérer Kpatcha qui est un garçon bien et gentil, voyez-vous. Vous savez qu’il est beau-frère à moi, n’est-ce pas ? Je vais demander à Djovi Gally de faire le nécessaire pour qu’il soit à nos côtés demain pour fêter avec nous, n’est-ce pas ? Vous voyez, c’est mon programme en trois points, fêter, boire et « agaper » en attendant que ma fille qui dirige les services de la présidence me trouve un gouvernement dans les treize prochains mois, n’est-ce pas ? ».
Néanmoins, malgré ces propos rassurants, l’accession de GO au pouvoir n’a pas rassuré les agents RPT qui contrôlent les régies financières du pays. Nombreux sont ceux parmi eux qui ont pris la poudre d’escampette. Au port de Lomé par exemple, ils ont saccagé les locaux, emportant tout ce qui peut être emporté. A l’inspection des Douances, des Impôts, à Togo Télécom, à la SAZOF, etc., ils ont même barbouillé les lieux de matière fécale en quantité industrielle avec des mots de bienvenue au « nouveau président élu dont on s’en fout ». Les bureaux du Casef sont vidés de leur personnel et du mobilier, et les compensations diverses (compétences humaines et mobilisations financières) apportées par la diaspora n’ont pas suffi à faire fonctionner l’appareil de l’Etat grippé. Devant ces comportements et agissements qui lui sont rapportés, le nouveau président élu s’emmure dans un silence et un calme olympiens qui s’assimilent à la démission totale. Les chancelleries de la place sont aux abois qui invitent en vain le nouveau président à cesser ces festivités irresponsables et à s’atteler à la reconstruction du pays livré au désordre, à la corruption et à la prédation où les « venus de la diaspora » sont en compétition avec les anciens agents du système RPT.
Champion des coups tordus, GO incite des « jeunes UFC » stipendiés à aller faire du coup de poing en ville. On a ainsi mis sur le compte des extrémistes erpétistes l’incendie du siège de l’UFC à Lom-Nava alors que ce sont ces « jeunes UFC » zélés et grisés par la victoire de leur chef qui en sont les auteurs. Ils sont en train de battre à plate couture les milices du RPT et aussi les AGO (Amis de Gilchrist Olympio) tentés par la violence milicienne. C’est quotidiennement que GO briefe ces « jeunes » dans des échanges qui n’ont rien réconciliant que l’ennemi à mater n’est pas le RPT et ses démembrements, mais l’UFC de Lom-Nava et ses alliés réels ou putatifs. C’est que l’UFC de Tokoin-Protestant s’est imperceptiblement rapprochée du RPT, et GO n’est plus « l’opposant historique » proclamé et revendiqué. Depuis le décès d’Eyadéma en février 2005, GO a été littéralement « envoûté » par toutes sortes de sortilèges du clan Gnassingbé et retourné au profit de Faure qui « n’est pas comme son père ». Il a toujours projeté travailler avec lui dans un deal dont les lignes ont été ouvertes dès le 24 avril 2005 à Abuja et poursuivies à Sant’Egidio, à Paris, à Accra, à Ouagadougou à travers des accords aussi bidon les uns que les autres. Les hommes de confiance de GO ne sont plus, contrairement à ce qu’on pense, les Amerding, les Dupuy, les Lawson ou les Anthony, mais des individus venus fraîchement des rangs du RPT comme Abass Kaboua ou Djovi Gally, la nouvelle coqueluche de la « Résidence de la chance » rebaptisée « Résidence du malheur » ou « Maison du dromadaire », ou comme Pascal Bodjona, après avoir été Pitang Tchalla ou Robert Dussey avec lequel il a gardé des contacts téléphoniques réguliers. Faure et GO de leur côté se téléphonent régulièrement et le premier ne manque pas de descendre secrètement chez le second dans son cocon ouaté du XVIème arrondissement lors de ses nombreuses escapades secrètes à Rome ou à Paris pour soigner un cancer de la gorge ou un sida fraîchement découverts.
Outre que GO se dit « militaire dans l’âme », il s’est toujours aussi senti une âme de chef d’Etat en exercice et fonctionne psychologiquement comme tel. Ce qui l’amène à emprunter la voie de la mythomanie quand par exemple il fait accroire à qui veut l’entendre qu’il était mis au même rang que les chefs d’Etat venus à Accra pour l’investiture de John Atta Mills en janvier dernier ou qu’il était inclus dans la délégation américaine de Barack Obama en visite officielle au Ghana en juillet. A force de côtoyer sans précaution ni retenue les caciques du RPT, GO est devenu leur pygmalion. Les Togolais ont cru avoir élu un président de la République nouveau et capable, mais il se trouve que celui-ci est une extension à peine polie qui a adopté les manières et les méthodes de faire, de parler, et de penser la politique du RPT, avec les mêmes tics de langage d’Eyadéma. Ils se rendent compte amèrement qu’ils ont été trompés sur la marchandise, mais ils pensent toutefois prendre leur revanche lors de la présidentielle de 2015. Celle-ci n’aura pas lieu parce que supprimée par le nouveau maître des lieux : et la boucle est bouclée, et le rêve d’une véritable alternance enseveli d’autant que la fin du vieux dromadaire fatigué n’est pas pour bientôt.
Est-ce que tout ceci relève-t-il de la réalité ou de la fiction ? Songeons quand même un peu à ce que pourraient être les tout premiers jours de prise de pouvoir de Gilchrist Olympio qui, tout psychorigide qu’il est, préfère l’improvisation, le hasard, l’accessoire et l’ignorance totale des dossiers majeurs, le tout caché par des brindilles d’arrogance, de vantardise et d’égoïsme manifestes.
Comi M. Toulabor
Bordeaux, le 29 août 2009