Comprendre la dette du Tiers-Monde

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La crise sanitaire du Covid-19 est venue réveiller un monstre qui suce le sang de nombreux pays : la dette du tiers-monde. Il est question d’annulation massive de cette dette. Pour ma part, j’ai voulu savoir de quoi est constituée cette dette, d’où vient-elle et quelles sont ses conséquences sur la vie des Etats du Tiers-Monde.

Pour dire le vrai, les déclarations du président français à propos de la dette du Tiers-Monde, ont fait remonter dans ma mémoire des souvenirs militants. C’est la publication du livre, « Noir Silence », de François-Xavier Verschave, dénonçant la FrançAfrique, qui m’a rapproché du comité pour l’annulation de la dette du Tiers-Monde (CADTM-section France). Aujourd’hui présent et actif au niveau international avec des sections dans de nombreux pays, ce CADTM est devenu comité pour l’abolition des dettes illégitimes. Et puis, c’était les années d’études de l’histoire diplomatique à la Sorbonne.

Aux origines de la dette

Dettes illégitimes, le ton est donné. Et il faut remonter aux origines pour s’en convaincre. Et il faut toujours interroger l’histoire. A l’université, on nous a appris qu’après la seconde guerre mondiale, les pays européens se sont retrouvés dévastés et ruinés. Or, il fallait que l’Amérique aménage sa suprématie sur sa zone d’influence nouvellement conquise. Ainsi fait, en 1949, les États-Unis ont donc instauré le fameux Plan Marshall, qui accordait des prêts à ces pays alliés.

La grande Amérique ne faisait évidemment pas dans la philanthropie. L’idée, c’était de transformer ces pays européens en partenaires commerciaux privilégiés. Il fallait cela pour bâtir un camp suffisamment solide pour faire face à l’adversaire Soviétique. L’Affaire a si bien marché que les banques et les Etats se sont retrouvés avec d’énormes liquidités dans les bras.

Une banque ne peut laisser dormir des liasses d’argent. Vers qui se tourner pour faire fructifier cette manne ? Telle était la question. Et voilà que dans le même temps, des populations entières dans le vaste monde se battent pour sortir de la colonisation européenne. Quel banquier, quel Etat prébendier peut résister à la tentation de se faire de nouveaux vassaux et de nouveaux débiteurs ? La pompe est amorcée.

Un système pervers

Souvenez-vous des conditions de départ ! Certes, il fallait de nouveaux clients emprunteurs. Mais ces clients devaient devenir des vassaux émargeant dans le camp occidental. Toujours garder en mémoire les appétits suprématistes des Etats. Il se trouve qu’un pays sortant de siècle d’asservissement a des besoins économiques énormes. Là, je suis obligé de citer les économistes. Quand on est profane, gare à la gaffe. « Cette dette correspond tant à des prêts souverains (d’autres États, du FMI, de la Banque mondiale, etc.) que des financements privés (prêts bancaires, obligations placées auprès de fonds de placement, …) ». Et il fallait trouver l’habillage qui convient. On a donc appelé cela l’aide au développement. Une aide ? Pas si sûr !

Développement signifie qu’il fallait atteindre le niveau de vie des Européens et des Américains, quitte à copier à l’aveuglette. À ce niveau déjà, il y a de nombreuses choses à redire. Pour ce qui est de cette aide, elle ne va pas tarder à prendre des allures étranges.

Des chaînes par l’argent

Quand on a certains types d’amis, on n’a plus besoin d’ennemis. Quelques exemples pour comprendre. En 1949, pour obtenir son indépendance, l’Indonésie fut contrainte d’honorer la dette de l’administration coloniale néerlandaise. Il n’est pas superflu de rappeler que le colonisateur avait contracté cette dette justement pour combattre les « rebelles indépendantistes ». Vous ne rêvez pas, vous avez bien lu. Tu colonise mon pays. Pour me libérer, je dois prendre les armes. Tu vas emprunter de l’argent pour financer la répression. Et le jour où tu es battu militairement, je dois rembourser ce crédit que tu as pris pour me faire la guerre.

Un autre exemple. L’Egypte indépendante voulait des finances pour construire le barrage d’Assouan. Refus anglo-français. En réponse, l’Egypte nationalise le canal de Suez en 1956. Résultat : la fameuse crise de Suez. Là également, il n’est pas inutile de rappeler que ce canal de Suez avait été construit par des ouvriers égyptiens, au prix de lourdes pertes humaines.

L’esprit humain réussit toujours à aller là où on ne l’attend pas. Dans de nombreux cas, un mouvement indépendantiste doit se battre dans la clandestinité et sans ressources. Les nouveaux « amis » prêtent de l’argent et du matériel de guerre, et une fois l’indépendance obtenue, on fête en fanfare l’entrée de son pays dans le club des détenteurs de la dette du Tiers-Monde. Donc, rien qu’en naissant, vous devez de l’argent à quelqu’un.

Une amicale de dictateurs

Vous êtes toujours là ? Poursuivons alors ! J’entends souvent dire que l’impérialisme soutient des dictateurs. Je condamne cette fausse accusation avec la dernière énergie. Car, l’impérialiste soutient le président qui garantit le remboursement de la dette et l’équipe gouvernementale qui peut protéger la bonne marche des affaires. Si ces « affaires » ne font pas l’affaire de ses populations, le premier responsable n’est certainement pas le banquier européen.

Initialement, les fonds en question étaient souvent « destinés à la construction de grands projets d’infrastructure, comme des barrages ou des autoroutes, ou encore au développement d’une stratégie dite d’industrialisation par substitution des importations, qui vise à permettre l’essor d’une production nationale capable de remplacer les importations provenant des pays industrialisés ». Le « Consommons Burkinabè ! », ça ne date pas d’aujourd’hui. Il est bon de rêver, mais pas trop. Croire qu’un pays étranger va vous financer pour que vos produits nationaux viennent un jour concurrencer ses propres productions sur le marché international est un conte pour enfant.

De la même manière, croire qu’un banquier vous « aide » par pure bonté d’âme est un songe. Tout compte fait, on enlève les chaînes de vos pieds et de vos bras, et on vous enchaîne par le porte-monnaie. Et les mécanismes de la dette ne vont pas tarder à le faire comprendre. Résumons en disant que le remboursement de cette dette « est une catastrophe pour l’humanité, maintenant dans la plus extrême pauvreté des contrées entières possédant pourtant d’importantes richesses matérielles et humaines. Une tragédie sous-jacente, qui provoque en aval une multitude de drames insupportables. »

Rééchelonnements et ajustements

L’histoire est un repère sûr, mais elle est impitoyable. Voyons au plus près. Comment un Etat qui a emprunté pour investir pourrait-il rembourser avant que les dits investissements commencent à produire des effets positifs ? Il semble que les techniciens qui ont conseillé les Etats emprunteurs ont omis de mentionner cet écueil. Vous empruntez de l’argent à votre voisin pour mettre en route un verger. Un matin, le voisin vient vous dire de rembourser son argent, alors que vous n’avez même pas fait une première récolte.

Et comme vous ne pouvez pas, il vous propose un prêt supplémentaire pour le rembourser en attendant de vendre votre première récolte. Opération qui gonfle votre dette. Et vous devez toujours dépenser pour entretenir un verger. Il vous propose de reculer la date des premiers remboursements, mais à ce prix vous devez accepter une augmentation des taux. Initialement vous deviez lui rembourser son argent, plus 10% de la somme. Avec cette deuxième opération, vous devez maintenant rembourser la totalité de son argent, plus 20% de la somme.

Vous ne vivez pas en l’air. Ce qui se passe dans le vaste monde a des répercussions sur votre économie nationale. Un choc pétrolier survient. C’est-à-dire que les pays producteurs de pétrole en ont marre de brader leur produit. Ils se réunissent et décident d’augmenter les prix. Le pétrole, c’est le sang qui irrigue l’économie mondiale. Si ce sang devient plus cher, vous ne pourrez pas suivre le mouvement. Votre créancier survient et vous propose une « aide » qui va vous aider à passer ce cap difficile.

Donc de rééchelonnements en ajustements structurels de votre dette, vous vous appauvrissez chaque jour, tout en travaillant comme un nègre. Plus grave sur le plan social, un rééchelonnement signifie qu’on vous permet de souffler, à condition de vous débarrasser des dépenses inutiles. Style éducation, soins de santé, encadrement rural, etc… Si une famine ou une catastrophe sanitaire survient, il ne vous reste que l’aide humanitaire.

Au final, c’est ceux-là mêmes qui vous ont enfoncé dans cette situation qui volent à votre « secours ». Qu’est-ce qui vous fait croire que ce secours n’est pas aussi toxique que les aides précédentes ?
Je crois charitable pour le lecteur d’arrêter là l’exploration de ce tableau sinistre.

Sayouba Traoré
(Ecrivain-Journaliste)

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