Voici aujourd’hui onze ans que , a disparu. Tous les efforts entrepris jusque-là, aussi bien à Abidjan qu’à Paris, n’ont toujours rien donné. Accusé sur le coup par ses adversaires, sans le moindre commencement de preuve, le président Laurent Gbagbo, aux affaires à l’époque des faits, a passé tout le temps de son règne à clamer son innocence. L’arrivée d’Alassane Ouattara, au pouvoir en avril 2011, dans les conditions que tous savons, avait suscité beaucoup d’espoirs chez les proches du journaliste disparu qui ont pensé que les choses iraient désormais plus vite avec Ouattara. Trois ans plus tard, retour à la case-départ avec les mêmes questions : Où est passé Guy-André Kieffer et qui avait intérêt à le réduire au silence ? Gbagbo ou plutôt Ouattara ? L’article qui suit, pourrait bien donner des indications sur le sujet. Ecrit par le journaliste franco-canadien, l’article met en cause un cer- tain Anthony Ward, un trader proche d’Alassane Ouattara, présenté déjà en fin 2002 comme le financier de la rébellion ivoirienne qui venait d’éclater dans le pays. Nous vous le proposons pour que chacun se fasse une religion, car la vérité n’est pas toujours du côté où on la recherche.
Cet article paru le 25 novembre 2002 sur abidjan.net et repris à l’époque par Fraternité-Matin a été celui qui, pour la première fois, évoquait la spéculation meurtrière d’Armajaro, dont le fils de Dominique Ouattara est aujourd’hui le responsable Afrique. Une information transmise le jeudi 24 octobre 2002 en soirée, fait état qu’une société britannique de négoce, récemment implantée au Ghana et en Côte d’Ivoire : ARMAJARO, a remis, ces dernières semaines, une somme importante à un groupe de personnes dans le but d’entreprendre une déstabilisation de la Côte d’Ivoire. La somme serait au minimum de cin- quante millions de dollars américains, soit environ une trentaine de milliards de francs CFA. Cette information, qui a été validée auprès de traders de cacao, des ban- quiers internationaux, des financiers et des sources politiques proches des mi- lieux d’affaires américains ra- dicaux, donne une explication plausible, très vraisemblable et hautement probable, sur l’origine de la principale source de financement de la rébellion armée du nord débutée en Septembre 2002. Cette information met en évidence les objectifs réels poursuivis par les auteurs de ce fi- nancement des rebelles dirigé par Soro Guillaume et très proche d’Alassane Ouattara ; elle permet d’expliquer en partie, de comprendre et de relier toute une série d’évènements qui ont marqué depuis plusieurs mois la vie écono- mique de la Côte d’Ivoire et notamment dans le secteur clé du cacao.
Armajaro et AIG Fund : les financiers de la déstabilisation
Armajaro : cette société de négoce, dont les bureaux sont à Londres, mais dont le siège social est basé dans un para- dis fiscal – les îles Vierges britanniques– est dirigée par Anthony Ward. L’an passé, ce négociant britannique a été l’un des principaux fournisseurs de cacao du groupe agroalimentaire américain ADM, une société présente en Côte d’Ivoire dont les intérêts sont très étroitement liés à ceux de Sifca, Sifca Coop et d’Anaproci Sa. Armajaro dispose d’un agrément d’exportateur de cacao en Côte d’Ivoire depuis peu de temps. La filiale ivoirienne d’Amajaro est associée avec Daniel Usher qui est un proche de Georges Ouegnin, lui-même ayant été l’interface entre Anthony Ward et Houphouët-Boigny lors de la guerre du cacao en 1988-1991. Daniel Usher est également très proche d’Ali Anjani, un trader de sucre, proche de Victor Nembelissini qui assurait, à l’époque où il travaillait à Equator Bank ses financements. Daniel Usher et Victor Nembelissini sont très proches d’Alassane Ouattara et d’Yves Lamblin, même si les relations entre les deux hommes sont marquées par un violent antagonisme. Au Ghana, Armajaro est dirigé par Steven White, un financier britannique expert de la gestion des fonds d’investissement spécialistes des matières premières sur les marchés à terme ainsi que des montages financiers mettant en jeu des sociétés financières offshore. L’essentiel des financements destinés aux rebelles auraient transité par la branche ghanéenne d’Amajaro. Plusieurs transferts de fonds en provenance de Londres, de l’ordre de 1,250 million de dollars (820 millions de francs CFA) à chaque fois, ont été identifiés par les Services spécialisés, ces dernières semaines. Certains de ces transferts en liquide ont été opérés et convoyés entre Londres et Accra par Monsieur Maignan, un homme d’affaires français qui, dans un passé récent, était l’homme de confiance pour les opérations financières de plusieurs dirigeants du PDCI. Armajaro a été fondée par les anciens de Phibro (Philip Bro- thers), il y a cinq ans. Armajaro, durant ces quatre dernières années, a été impli quée à plusieurs reprises dans des « étranglements de marché » sur le marché à terme de Londres en association avec plusieurs fonds de pensions (AIG Fund, Tiger Fund du fi- nancier américain Georges Soros un proche de Victor Nembelissini et d’Alassane Ouattara, African Managment Fund, un fond d’investissement diversifié opéré en partie par la banque sud-africaine Absa, dirigé par Paul Martin, un ami de Frank Kennedy d’Equator Bank et de Victor Nembelissini). Anthony Ward est le conseiller cacao de Mama Ndyaye d’AIG Fund. Les fondateurs d’Armajaro ne sont pas des inconnus en Côte d’Ivoire Ils ont été des acteurs majeurs de la guerre du cacao en 1990. A cette époque, pour limiter la sortie de cacao de Côte d’Ivoire, Anthony Ward et Derek Chambers n’avaient pas hésité à financer des troubles en pays Krou. Anthony Ward ainsi que Derek Chambers disposent d’un réseau important de relations dans le monde politique ivoirien, notamment au PDCI, ainsi que des attaches avec plusieurs responsables du RDR. Ces liens étroits se sont noués lors de la guerre du cacao et se sont renforcés avec le règlement du dossier cacao qui opposait la Côte d’Ivoire à Phibro au début des années quatre-vingt-dix. Les deux hommes entretiennent d’étroites relations avec Georges Ouegnin, qui a été leur go-between avec les autorités politiques ivoiriennes de l’époque, et avec Daniel Usher, qu’ils ont financés (SICC) et avec lequel Anthony Ward s’est associé en début d’année pour installer Amajaro en Côte d’Ivoire. Quelques années auparavant, ces mêmes traders, dans la même structure (Phibro) avaient activement participé au montage du volet financier du coup d’état contreSalvador Allende au Chili. Cette participation, couplée aux positions de Phibro sur les marchés à terme du cuivre de Londres (LME) et de New York (Comex), avait permis à ces traders d’engranger une plus-value estimée à 14 mil- liards de dollars américains. Avant d’être trader chez Phibro, Anthony Ward a appartenu au MI 5, le service secret britannique. Certains des ex-traders mé- taux de Phibro ont été, à une époque récente, lourdement impliqués dans des opérations de déstabilisation dans l’ex-Zaïre, notamment pour le contrôle de la production de coltran, un alliage métallique stratégique. Cette participation a été mise en évidence dans un rapport des Nations- Unies sur le pillage des richesses minières du Congo démocratique. (Voire aussi « Du Zaïre De Mobutu Au Congo De Kabila »). Une partie des financements pour ces opérations a transité par les banques sud-africaines Absa et Equator. Plus récemment des membres de cette équipe de traders, dont certains ont rejoint le broker américain Refco, en as- sociation avec AIG Fund, ont participé à deux tentatives de déstabilisation du Président Hugo Chavez du Venezuela. Le motif étant, cette fois, le pé- trole. AIG Fund: Ce fond d’investissement de droit américain basé à New York, spécialiste des placements sur les marchés à terme de matières premières, est une filiale du pre- mier assureur américain, AIG. Sa branche « fond d’investissement » sur les marchés de matières premières est dirigée par le sénégalais Mama Ndyaye. Cet homme est très lié aux familles Diouf, (actionnaire indirect du groupe de négoce américain ADM, premier utilisateur mondial de cacao) et Wade, ainsi qu’à plusieurs personnalités ivoiriennes dont l’actuel directeur de la CAA, Victor Nembelissini, un proche d’Alassane Ouattara. C’est également un proche d’Yves Lamblin, le président du groupe Sifca, un groupe agro-alimentaire ivoirien très endetté (130 milliards de francs CFA, après intégration de la totalité des dettes des filiales), proche de la cessation de paiement. Mama Ndyaye est également un proche du banquier français Jean-Luc Lecorre, directeur d’African Merchant Bank, principal créancier de Sifca, et membre actif du Club Jean Jaurès. Ces trois dernières années, AIG Fund a participé en association avec Armajaro, à plusieurs opérations de déstabilisation sur les marchés à terme du cacao de New York et de Londres. A la veille des attentats du Word Trade Center en sep- tembre 2001, AIG Fund contrôlait plus de 150.000 tonnes de cacao en filière sur les marchés à terme. Ce cacao a été transféré à Armajaro entre novembre et décembre 2001. L’attentat du World Trade Center ainsi que la chute du marché des actions depuis près d’un an ont entraîné de très lourdes pertes pour AIG Fund qui cherche depuis à rat- traper ces moins-values par une participation intense sur les marchés à terme du cacao.
Le mécanisme de financement des rebelles:
Selon une source américaine, confirmée par des informations concordantes en provenance des mondes du négoce, de la finance et de sources internes aux milieux radicaux américains, Armajaro a fait parvenir aux différents acteurs de la rébellion une somme de l’ordre de 50 millions de dollars américains, soit 35 milliards de francs CFA. Ce montant est corroboré par des informations qui sont remontées au Renseignement militaire ivoirien, ainsi qu’aux services maliens. Amajaro et ses associés dans l’opération disposent des moyens financiers et des motifs suffisants pour lancer une opération de déstabilisation majeure dont la principale victime est l’Etat de Côte d’Ivoire. Le mécanisme s’est peu à peu mis en place, et ce, à partir de la fin novembre 2001.
Une mécanique infernale
A l’origine de l’opération, il s’agit essentiellement d’une opération financière à très haute rentabilité, dont l’objectif final n’était pas une déstabilisation de la Côte d’Ivoire, mais l’obtention d’un gain considérable sur les marchés à terme du cacao et sur la revente des stocks de cacao physique entreposés dans les ports européens. La nécessité d’une déstabilisation de la Côte d’Ivoire s’est imposée, à partir de juillet, lorsqu’il est apparu évident aux initiateurs de l’opération cacao, Armajaro et AIG Fund, que la gestion de leurs positions sur les marchés à terme du cacao, à partir de la fin juin, nécessitait un passage à une dimension supérieure pour sauvegarder un gain potentiel s’inscrivant dans une fourchette de 500 à 800 millions de dollars américains, soit 280 à 450 milliards de francs CFA. La nécessité d’une déstabilisa- tion s’est avérée indispensable après que l’enterrement de la réforme cacao en Côte d’Ivoire soit devenu un fait acquis alors que la botanique et les prévisions de récolte sur la campagne principale 2002/2003 ont déjoué en partie les résultats escomptés par l’échec de la réforme de la filière cacao en Côte d’Ivoire. En juillet les anticipations laissaient présager une bonne récolte principale 2002/2003 (980.000 à 1 million tonnes). Cette prévision s’appuyait sur un usage en forte hausse des engrais et des produits phytosanitaires dans les plantations de cacao par les planteurs lié à une amélioration sensible du revenu paysan.
La chronologie
L’opération Amajaro débute en novembre dernier avec le transfert à Armajaro de la quasi-totalité de la position cacao d’AIG Fund. Le reliquat est transféré à ADM Etats- Unis. A partir de ce moment, Armajaro achète sur le marché à terme près de 650.000 tonnes de cacao-papier et constitue un stock de 210.000 tonnes, soit 5% de l’offre mondiale de cacao. Acheté entre 750 et 900 livres la tonne, cette position cacao est valorisée à plus de 1.400 livres la tonne, soit un gain de … 85% à la fin juin 2002. L’envol des cours sur le marché à terme a poussé les utilisateurs de cacao, les broyeurs, à réduire considérablement leur taux de couverture (stock). Ils abordent la pleine saison (octobre-décembre 2002) avec des stocks à minima. Pour obtenir une valorisation maximum des stocks, qui ont été bloqués par Armajaro jusqu’à la fin novembre afin de réduire les coûts de stockage, il faut que le cacao ivoirien de la nouvelle récolte arrive le plus tard possible sur le marché international. Ce retard doit permettre à Amajaro de réaliser une plus- value de 500 à 800 millions de dollars américains.
Les obstacles à lever
Pour parvenir à cette fin, Amajaro et AIG Fund ont opéré en plusieurs étapes. Dès novembre dernier, puis en décembre, Anthony Ward estime que la réforme cacao en Côte d’Ivoire est un obstacle majeur à son opération sur le marché à terme. Il s’agit de faire capoter la réforme. Pour arriver à cette fin, trois axes d’intervention seront retenus : Un axe institutionnel via un intense lobbying auprès de la Banque Mondiale et surtout auprès du FMI, qui en théorie n’a pas de compétence en matière agricole et d’organisation de filière ; Un axe « politique » avec des interventions soutenues par divers relais auprès du ministre des Finances ivoirien Bouhoun Bouabre et ses collaborateurs, via Victor Nembelissini. Deux axes secondaires d’intervention sont également retenus pour « casser la réforme » avec pour relais Patrick Achi, ex-délégué général au cacao sous le régime Guei et Emile Boga Doudou dont la fonction implicite est de convaincre l’épouse du Président, Simone Gbagbo, que la réforme de la filière cacao telle qu’elle est organisée va à l’encontre des intérêts des notables FPI dans sa zone d’influence (partie du pays Akan) . Un relais secondaire passe également par l’ex-Premier ministre du général Guei, Seydou Diarra. Ce dernier va intervenir via ses « petits », Patrick Achi et Edouard Messou; Un axe local par le biais de relais locaux dans la filière ivoirienne du cacao tel que l’Anaproci d’Henri Amouzou, Sifca d’Yves Lamblin, l’UNOC de Jacques Mangoua et des banquiers du cacao, tel que Jean-Luc Lecorre d’ AMB- BIAO. Cette action s’appuie également sur des personnes disposant d’un accès direct au couple présidentiel tel que Guy-Alain Gauze, ex-ministre PDCI des Matières premières, ou Illa Donwahi, P-D-G de Del- bau, franc-tireur de la filière cacao. Une réunion est organisée à Paris entre des représentants de Refco Etats-Unis (Chicago, New York), d’Amajaro et de André Souhma d’ACE. A ces deux réunions participent pour le ministère ivoirien de l’Economie et des Finances, Oussou Kouassi, tandis que Bouhoun Bouabre, reçoit la visite de l’équipe de Refco à son hôtel, le Marriott de Neuilly. Le principe de l’arrêt de la réforme de la filière cacao, donc des ventes à terme, est arrêté dès ce moment. Cette décision est prise unilatéralement par le ministre des Finances sans en référer ni au Président, ni au Premier ministre. Cette décision est habillée pour la partie ivoirienne par le transformation de la CAA en une banque de développe- ment destinée à financer les coopératives de producteurs et à fournir à ces derniers une assurance garantie prix bord champs. L’éviction, en février, du ministre de l’Agriculture de l’époque, Alphonse Douati, puis son remplacement par un proche de l’Anaproci, rend possible l’avancement du plan initié par Amajaro et AIG Fund : une désorganisation de la filière cacao. Systématiquement, les propositions en provenance de la Primature sont combattues. La mise en place des institutions nécessaires à la mise en place de la réforme sont différées et lorsqu’elles parviennent à être installées, leur contenu est dénaturés à l’exemple du FRC. Parallèlement, Victor Nembelissini, qui, jusqu’en septembre 2001, alors qu’il se trouvait aux Etats-Unis, était l’un des plus virulents critique de la politique économique ivoirienne totalement en phase avec les attaques d’Alassane Ouattara où il vilipendait la gestion FPI, arrive à la tête de la CAA. Il découvre tout l’intérêt que sa structure, la CAA, peut tirer de la mise à mal de la réforme de la filière cacao et d’une participation active à l’opération lancée par Armajaro. Il prend langue dès lors avec Paul Martin d’Absa et propose des financements, de fait à fonds perdus, à Sifca Coop et à ses satellites. En proposant un système de garantie de prix articulé sur le marché des options cacao et en prenant des positions identiques à celles prises par An- thony Ward via Refco Etats-Unis, la CAA est en me- sure de se renflouer en partie en s’appuyant sur le réseau Sifca Coop d’Henri Amouzou et sur le couple Sifca-ADM d’Yves Lamblin ainsi que Mimran/Diouf, actionnaires d’ADM. Pour réaliser cet objectif, il est nécessaire que le prix du cacao en Côte d’ivoire soit libre et qu’une réforme reposant sur des ventes à terme qui garantissent la transparence des prix soit abandonnée. Pour obtenir un appui des planteurs pour cette option, Victor Nembelissini n’hésite pas à leur faire miroiter un quasi-monopôle dans la commercialisation intérieure du cacao. L’Anaproci, le FDPCC, Henri Amouzou et San San Kouao mordent à l’hameçon, sans forcement en deviner les enjeux réels. Des éléments concordants laissent à penser que la CAA, via des fonds off-shore contrôlés par la banque sud- africaine Absa, a pris des positions sur le marché des options cacao. Ces achats d’options sur des niveaux définis par Refco et AIG Fund donnaient la certitude à la CAA de n’avoir rien à rembourser aux planteurs en raison d’un prix garanti bord champs relativement bas (650 francs cfa du kilo).
En revanche, la CAA était as- surée de conserver à son profit la totalité des gains occasionnés par ses positions sur le marché des options cacao. Cette construction donne lieu à de multiples rencontres à New York entre Bouhoun Bouabre, Zohore, Victor Nembelissini, Refco Chicago, ACE d’André Souhma. Cette construction est renforcée par le choix « d’experts » complaisants de la Banque mondiale, violemment opposés au principe d’une commercialisation intérieure et extérieure ordonnée du cacao par la Côte d’Ivoire. Parallèlement, Anthony Ward et une partie du staff dirigeant d’Amajaro multiplient les rencontres avec Henri Amouzou du FDPCC, Anaproci et Sifca Coop pour finaliser un circuit privilégié d’approvisionnement et les convaincre que la réforme de la filière cacao doit s’arrêter.
Le passage à la déstabilisation de l’Etat
Logiquement, l’opération financière Amarajo aurait du s’arrêter à ce niveau. Mais la botanique est venue déjouer en partie ce plan. Dès la fin juin 2002, il est apparu évident que la récolte principale ivoirienne serait au moins égale à la précédente, si ce n’est supérieur en raison d’une forte augmentation de l’usage des engrais entraîné par la hausse des cours du cacao. Dans ce contexte, le portage par Armajaro et AIG Fund sur les marchés à terme d’une position de 650.000 tonnes devenait aléatoire et les espoirs d’un gain mirifique (500 à 800 millions de dollars) s’éloignaient si le cacao ivoirien sortait en temps et heure à partir d’octobre. Dès la mi-juillet, Armajaro, en interne, évoquait la possibilité de dégager une somme de l’ordre de 50 à 80 millions de dollars pour « tenir le marché ». Dès cette époque, plusieurs traders, et encore récemment Sucden, estimaient plus que probable qu’Armajaro pour « sauver » 500 millions de dollars « n’hésiterait pas à entreprendre un coup ».
La révolte des « mutins »
Les réseaux d’Anthony Ward et de Mama Ndyaye ont été mis en action afin d’identifier un terreau fertile à une forte perturbation des sorties de cacao de Côte d’Ivoire (comme déjà expérimenté avec le peuple Krou dans les années 90). L’existence de déserteurs de l’armée ivoirienne au Burkina Faso, au Ghana et au Mali, doublée d’un mécontentement latent des populations du nord de la Côte d’Ivoire à l’encontre du pouvoir central, a servi de cadre à l’opération. Dès lors, un habillage politique (RDR) et revendicatif (MPCI) a pu être utilisé pour masquer les buts purement financiers poursuivis par Armajaro, AIG Fund et la CAA. Il est d’ailleurs à noter que dès la première semaine, les mutins ont abandonné de fait l’objectif d’une descente vers Abidjan pour se redéployer vers les zones de la boucle cacao et entraîner les perturbations que l’on sait dans la collecte du cacao dans la boucle principale. Ce redéploiement a eu pour effet de pratiquement assécher les sorties de fèves sur San Pedro (15.000 tonnes semaine, soit trois fois moins que la normale en pareille période). Par voie de conséquence, les cours du cacao se maintiennent au-delà des 1.400 livres la tonne. Surtout, les stocks de fèves aux mains d’Armajaro sont valorisés à leur maximum par les achats de broyeurs en mal de fèves pour la préparation des fêtes de Noël et de fin d’année. C’est ainsi qu’un investissement de 50 millions de dollars génère une plus value de l’ordre de 500 à 800 millions de dollars américains.
En conclusion
Si le gain est considérable – de 500 à 800 millions de dollars -, l’investissement consentit par Amajaro et AIG Fund est à la hauteur des gains à réaliser. Entre les coûts d’entrée sur le marché, le stockage, les appels de marges sur les marchés à terme et les financements divers, la mise initiale est de l’ordre de 2 à 2,5 milliards de dollars, soit 1.300 milliards de francs cfa. L’ampleur de la mise impose à ces promoteurs, une obligation de résultats. Peu importe qu’un Etat soit durablement déstabilisé, – il faut se souvenir que le Chili a mis cinq ans pour se remettre d’une crise d’une année -. L’opération initiée par Armajaro et AIG Fund est trop avancée pour être arrêtée. On comprend mieux les très violentes attaques lancées contre la réforme de la filière cacao et contre les personnalités qui la défendent. On comprend également les menaces répétées dont ont fait l’objet les rares personnes capables de décrypter l’opération en cours. Ce genre de manipulation, contrairement à ce que l’on pourrait penser, ne nécessite qu’un nombre très réduit de personnes parta- geant le secret. Au plus une dizaine de personnes chez Armajaro, AIG Fund, Refco, disposent des éléments complets du puzzle. Il est évident également qu’au niveau ivoirien, Victor Nembelissini a disposé de la quasi totalité des cartes et des enjeux. D’ailleurs, il avait prévu un départ définitif pour les Etats-Unis à la fin décembre de cette année. Pour le reste, des bribes d’in- formations sur l’enjeu réel ont dû être diffusées à un certain nombre d’acteurs ivoiriens, qui ont été « rémunérés » en miettes mais qui ne disposaient pas de la finalité réelle de l’opération. Ainsi, il est probable, sans toutefois en avoir la certitude, que le ministre des Finances, Bouhoun Bouabre a été impliqué dans l’opération sur la base de son âpreté au gain, mais la technicité de l’opération exclut qu’il ait été mis dans la totalité du secret. De même, son directeur de cabinet est impliqué à la marge. Il est évident qu’Henri Amouzou a plus été utilisé dans cette opération, il en est de même pour l’Anaproci qui a eu un rôle d’élément déstabi- lisateur, mais qui n’ont pas perçu la totalité des enjeux en cause. En revanche, il est a peu près certain qu’ADM, du moins les actionnaires reliés à la famille Diouf et Mimran, ainsi qu’Yves Lamblin et son banquier Afri- can Merchant Bank ( Jean-Luc Lecorre) ont été « initiés » à des degrés qui restent à définir. Les acteurs « politiques » proches du PDCI ou du RDR ne paraissent pas être des acteurs directs de cette déstabilisation de la Côte d’Ivoire. Ils ont agit plus par opportunisme en fonction des circonstances que comme des maîtres d’œuvre de l’opération. Les mutins, du moins pour les hommes impliqués dans les opérations sur le terrain en Côte d’Ivoire, paraissent ne pas avoir disposé de la totalité des cartes et semblent plus avoir été manipulés qu’être des acteurs concepteurs. Ils ont profité d’une opportunité importante de financement sans trop s’inquiéter ou s’interroger sur l’origine réelle des fonds dont ils disposaient. Néanmoins, les initiateurs de l’opération ont joué indirectement sur un terreau favorable et ont tout a été fait pour les mettre en avant de telle manière que l’arbre masque la forêt. La subtilité de l’opération montée par Armajaro et AIG Fund est telle que les acteurs et les appuis indirects ont disposé dès le début de l’opération en décembre d’une marge d’autonomie considérable. Elle a été d’autant plus grande que leurs actions sur le terrain ivoirien entraient parfaitement en phase avec les objectifs financiers poursuivis par Armajaro et AIG Fund. Il est aussi évident que des gouvernements étrangers et notamment une frange de l’Administration américaine a été mise au courant d’une partie de l’opération. Il suffit de savoir que lors des opérations précédentes de déstabilisation d’un Etat, AIG Fund a demandé un blancseing et a présenté, une partie de ses objectifs, à l’Administration américaine. Selon la même source, l’Ambassadeur de France en Côte d’Ivoire a été partiellement informé du volet financier de cette opération en début de semaine passée.
Aujourd’hui / N°778 du vendredi 2014
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