La Cour pénale internationale (CPI) « ne va pas dire le droit, mais joue plutôt le rôle d’un habillage judiciaire » dans le procès conjoint de l’ancien chef d’Etat ivoirien Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé, l’ex-leader des « Jeunes patriotes », accusés de « crimes contre l’humanité », a soutenu lundi Guy Labertit, membre du Parti Socialiste français et proche de l’ex-président, dans un entretien à Alerte Info.
Vous qui êtes l’un des rares amis du président Laurent Gbagbo, qui lui rendez visite régulièrement et qui suivez le procès, comment juger-vous la CPI?
Si on reprend tout l’historique, je dirai de l’affaire du procureur contre Laurent Gbagbo que tous les jalons qui ont été posés tendent à montrer que la CPI ne va pas vraiment dire le droit, mais joue plutôt le rôle d’un habillage judiciaire, d’un problème politique.
Pourquoi je dis cela ? D’abord, M. Gbagbo a été conduit à La Haye dans des conditions parfaitement illégales depuis son pays. Second point, lors de la première audience de confirmation des charges, deux juges étaient contre. La logique aurait été que les poursuites soient suspendues mais il y a eu une procédure assez particulière visant à donner un sursis à madame le procureur pour faire un complément d’enquête, qui était quand même engagée depuis 18 mois.
Suite à ce complément d’enquête, il y a une décision confirmant les charges qui a été prise sans que se soit tenue l’audience et le juge allemand qui a changé de position a démissionné de la CPI 18 jours après le prononcé de la décision. Ce qui laisse penser qu’il n’a pas véritablement été en capacité d’analyser le millier de pages des nouveaux éléments de madame Bensouda et d’ailleurs, la juge belge a gardé les mêmes positions.
Un autre détail qui est tout à fait étrange c’est qu’un juge allemand, une fois de plus, a été remplacé au tout dernier moment, quasiment quatre jours avant l’ouverture du procès, par un juge italien, M. Taffuser, qui depuis a été promu à la tête de la Chambre. Ce qui est quand même inédit puisque celui qui était prévu pour être le président est devenu un simple juge.
Tous ces faits relèvent d’une signification politique évidente qui montre que finalement les démarches de la CPI ressortent plus du règlement de compte politique que de la volonté de juger sur la base des faits réels.
Malgré tout, le procès a commencé, depuis janvier vous avez suivi les passages des cinq premiers témoins, quelle est votre analyse ?
J’ai suivi, j’étais présent aux audiences le 29 janvier, et je dirais que la façon dont se développe ce procès conforte cette idée que la CPI ne dit pas le droit.
D’abord, je dois dire que j’ai été effaré par les quatre premiers témoins, par le niveau d’expression et l’imprécision dans leurs formulations. Ce qui me frappait surtout c’était de voir comment le substitut du procureur était obsédé par cette volonté de dire qu’il y avait un plan et visiblement tous les dires des témoins n’allaient pas du tout dans ce sens-là.
Or, on sait très bien que le complément d’enquête qui a été accordé à Mme Bensouda demandait expressément que soit apporté des preuves de ce plan et visiblement les premiers témoins n’apportent aucune preuve. Je reconnais avoir été amusé, même si c’est tragi-comique, par l’entêtement d’un témoin à ne pas vouloir dire que Guillaume Soro, actuel président de l’Assemblée nationale, figurait sur une vidéo puisqu’il répétait obstinément que c’était un montage des prévenus.
Vous parlez de quatre témoins alors qu’il y en a un cinquième.
Je me suis permis de faire le distinguo puisqu’il y a eu une suspension. Nous avons eu un 5e témoin qui était un témoin à charge, il est connu sous le pseudonyme de Sam l’Africain. Je pense qu’on a atteint le sommet puisque c’était un témoin à charge qui pour toute âme sensée aurait pensé que c’était un témoin à décharge. Puisque visiblement il était très mal à l’aise devant la volonté du substitut du procureur de développer un témoignage à charge.
Plus le procureur s’est acharné à vouloir qu’il donne des éléments en défaveur des prévenus et plus il obtenait des réponses inverses. A la fin, les rapports qui ont existé entre le procureur et la défense sont devenus suffisamment tendus à tel point que le juge qui est assez partial ne voulait pas un contre interrogatoire direct mais les acteurs le lui ont finalement imposé. Ce juge a même été contraint de dire au substitut du procureur qu’il s’adressait à la défense selon des méthodes incorrectes dans une chambre.
Pensez-vous que le témoignage de Sam l’Africain peut être considéré comme un tournant décisif de ce procès ?
Je ne sais s’il est décisif, mais c’est le premier tournant parce que quand l’accusation présente un témoin à charge et que celui-ci prend la défense des prévenus, c’est quand même assez singulier. C’est tout à fait inédit je crois que c’est effectivement important.
Il était considéré comme un des témoins clés, je ne sais pas quels seront les autres témoins clés, même si le substitut du procureur a innocemment prononcé leurs noms alors que les micros étaient ouverts.
Finalement, on finit par se demander si ce n’est pas à dessein, pour que ces témoins qui sont à charge se désistent, leur identité étant connue. Ou au contraire, disent la vérité et que cette vérité, puisqu’ils ont prêté serment, soit à la décharge des prévenus.
Justement à propos des témoins dont les noms ont été dévoilés par erreur par la CPI, est-ce que vous avez été surpris d’entendre des noms comme ceux des généraux Mangou et Kassaraté ?
Surpris ? Pas véritablement puisque ce sont des personnes qui ont occupé de très hauts postes sous la présidence de M. Gbagbo. Ils étaient quand même chef d’Etat-major et commandant de la gendarmerie. Quand on sait qu’aujourd’hui ils sont ambassadeurs du régime de M. Ouattara, il n’y a pas véritablement de surprise de voir qu’ils vont témoigner à charge. Puisqu’ils ont été en quelque sorte récompensés par des nominations qui je crois, marquent assez un certain opportunisme politique au service de la République.
Est-ce que leur témoignage ne viendra pas bouleverser celui de Sam l’Africain ?
Moi ce qui me sidère un tout petit peu dans la démarche du substitut du procureur, c’est son attachement à certains mots que le témoin Sam l’Africain disait n’être que des mots pour ambiancer.
C’est sidérant qu’un ancien chef d’Etat soit emprisonné depuis bientôt cinq ans et que l’une des clés de l’accusation soit le slogan « On gagne ou en gagne », qui est une chanson tout à fait commune qui fut même reprise par l’épouse de l’actuel président Ouattara dans une vidéo. Et c’est là le drame, les hautes personnalités de cette Cour ne connaissent rien à ce qu’est la Côte d’Ivoire. Ils sont en train de juger, ils pérorent sur un pays qu’ils ne connaissent absolument pas aussi bien politiquement, sociologiquement et culturellement.
Ils ne connaissent pas ou ils sont de mauvaise foi ?
Je pense qu’il y a une part de méconnaissance parce que tous leurs propos vont dans le sens des idées reçues, on pourrait donner des exemples à propos des victimes, etc.
Vous avez par exemple une avocate italienne qui est à la tête de la défense des victimes. Pour elle, il n’y a des victimes que Dioula. Ils parlent d’ethnie en parlant de Dioula ce qui est déjà un contre-sens, on ne va pas leur demander d’être anthropologue.
On ose mettre Laurent Gbagbo, ethnie : Bété. On est dans un système de justice international, mais on revient à l’ère coloniale où il fallait exprimer ce qu’on appelait à l’époque les races. Vous imaginez ! Un système de justice qui se veut l’émanation du Conseil de sécurité de l’ONU ose mentionner à propos d’un chef d’Etat l’ethnie d’origine. Est-ce qu’on va mettre M. Le Drian, ministre de la Défense, breton ?
La CPI est un condensé d’idées reçues, de préjugés qui sont intolérables et qui la disqualifient d’emblée. C’est d’ailleurs étrange de voir que finalement, les principaux accusés de cette cour sont exclusivement africains. Et pour moi, elle est par essence nulle et non avenue dès l’instant où les grandes puissances de ce monde comme les Etats-Unis, la Russie, la Chine ne la reconnaisse pas.
La CPI vient d’annoncer la condamnation de Jean–pierre Bemba, ancien vice-président de la République démocratique du Congo qui est jugé aussi à La Haye. Ce ne sont pas des affaires similaires, mais quelle est votre appréciation ?
Vous savez, ce sont des cas différents mais il y a une unité une convergence. Ce qui est ahurissant, c’est que M. Bemba quel que soit ses actes, ses options et sa philosophie politiques, n’est pas jugé par rapport à ce qui s’est passé en RDC, mais par rapport à des faits qui concernaient la République Centrafricaine.
Alors qu’à cette époque le président de la Centrafrique qui aurait pu être mis en cause était bien vivant. C’était M. Ange-Félix Patassé, et personne ne l’a poursuivi.
Parce que si M. Bemba comparaissait devant la CPI par rapport à des faits qui se sont passés au Congo, M. Kabila (président de la RDC) devrait aussi passer pour les mêmes faits, parce que les responsabilités, maintenant on avance le chiffre de plus d’un million de morts, sont largement partagées.
Il y a eu deux poids deux mesures mais pourquoi M. Bemba ?
Parce qu’il était une des alternatives au régime Kabila. Après l’assassinat de Laurent Désiré Kabila, le père, on est allé chercher le fils qui était un général d’opérette à 29 ans.
Ce qui est étrange, c’est que cet homme qui est quand même assez moyennement connu, 15 jours après se retrouve à Washington à Bruxelles et achève par une escale à Paris, ça semble un plan assez bien conçu.
J’avoue avoir dit à un des membres du cabinet du ministre des Affaires Étrangères l’affaire que vous montez autour de Kabila est une usine à gaz, sa légitimité sera toujours contestée et ce conseiller de ministre m’a dit +et alors qui veux-tu qu’on mette, Bemba ?+. Je crois que ça résume un tout petit peu ce qui historiquement est en train de se passer.
David Youant, avec DEK
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