Six anciens responsables ou conseillers de la présidence de la République sous son règne ont été placés en garde à vue dans ce dossier, dont Claude Guéant, Xavier Musca et Emmanuelle Mignon.
L’affaire des sondages de l’Elysée vient de rattraper brusquement Nicolas Sarkozy. Six anciens responsables ou conseillers de la présidence de la République sous son règne ont été placés en garde à vue dans ce dossier, dont Claude Guéant, Xavier Musca et Emmanuelle Mignon. Les gardes à vue ont été levées dans la soirée, mercredi.
Ouverte fin 2012 pour des faits de «détournement de fonds publics» et de «favoritisme», l’enquête judiciaire est d’autant plus embarrassante qu’elle couvre tout le quinquennat de Nicolas Sarkozy. A peine arrivé à l’Elysée, ce dernier a fait des sondages un des pivots de sa politique. Des études qui lui permettent à la fois à prendre le pouls continu de l’opinion et d’affiner en permanence ses discours. Entre 2007 et 2012, Sarkozy a fait ainsi procéder à des centaines de sondages, tous commandés et payés par l’Elysée sans le moindre appel d’offres. Plus de dix millions d’euros de dépenses pourraient être entachées d’illégalité, selon le calcul des policiers de la Brigade de répression de la délinquance économique (BRDE).
Le premier à en bénéficier n’est autre que Patrick Buisson, ancien conseiller maurrassien voué aux gémonies pour avoir enregistré le président Sarkozy à son insu. Pendant trois ans, Buisson a touché plus de 3 millions d’euros à travers sa société Publifact pour ses activités de «conseils, reporting, commentaires sur l’évolution de l’opinion publique». Autre sondeur en vogue à profiter du pactole, Pierre Giacometti, qui a récupéré de son côté plus de 2,5 millions d’euros entre 2008 et 2012, via sa société Giacometti-Péron. Ces grands professionnels distillent des études d’opinions qui vont bien au-delà des préoccupations quotidiennes de la France profonde. Des sondages sont ainsi réalisés sur Manuel Valls et François Hollande, mais aussi sur l’hypothèse du mariage de Nicolas avec Carla ou la grossesse de Rachida Dati. Le tout, bien sûr, aux frais du contribuable. Problème : les communicants de l’Elysée se sont assis sur le code des marchés publics, les contrats ayant été distribués à quelques happy few sans aucune mise en concurrence. En tout, neuf cabinets d’études triés sur le volet ont ainsi été sollicités durant le quinquennat.
«Favoritisme»
La Cour des comptes est la première à lever le lièvre en 2009, signalant un contrat signé le 1er juin 2007 entre Patrick Buisson et Emmanuelle Mignon, alors directrice de cabinet de Nicolas Sarkozy. L’organe de contrôle souligne sans ambages qu’«aucune des possibilités offertes par le Code des marchés public n’ont été appliquées». Autre étrangeté : certaines études facturées à l’Elysée ont également fait l’objet de publications payantes dans la presse, laissant entrevoir des soupçons de double facturation. Se basant sur le rapport de la Cour des comptes, l’association Anticor porte plainte en février 2010 pour «favoritisme» au parquet de Paris. Le début d’une bataille procédurale de plus de trois ans, avec une seule question en toile de fond : l’immunité dont jouit le Président de la République durant son mandat s’applique-t-elle aussi aux membres de son cabinet? Non, finira par répondre la Cour de cassation en décembre 2012. Dans un arrêt qui fait depuis jurisprudence, les hauts magistrats soulignent qu’«aucune disposition constitutionnelle, légale ou conventionnelle ne prévoit l’immunité ou l’irresponsabilité pénale des membres du cabinet du président de la République».
Un mois plus tard, les juges du pôle financier obtiennent enfin un réquisitoire supplétif étendant leur enquête à des faits de «favoritisme, détournement de fonds publics» et «complicité et recel de ces délits». Depuis, les investigations ont été étendues à l’ensemble des contrats de conseils ou de sondages commandés durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Mais semblent bien délicates à mener. En voulant récupérer les archives de l’Elysée pour la période 2007-2012, les juges ont ainsi découvert qu’elles s’étaient mystérieusement volatilisées. Une disparition qui a conduit le parquet à ouvrir une enquête distincte pour «détournement et destruction de biens publics». L’affaire des sondages ne fait donc que commencer.
[MAJ] Les gardes à vue ont été levées mercredi soir.
Emmanuel FANSTEN