On savait aussi que le « père de l’indépendance ivoirienne » ne portait pas Sankara dans son cœur
Après des années de blocage judiciaire, l’enquête sur l’assassinat de Thomas Sankara pourrait connaître une avancée décisive. Près de vingt-huit ans après la mort, lors d’un coup d’Etat, de ce capitaine révolutionnaire, la recherche de la vérité pourrait conduire la Cour pénale internationale (CPI) à enfin entendre le président déchu Blaise Compaoré.
La Cour pénale internationale (CPI) n’est pas indifférente à l’évolution de l’affaire Thomas Sankara dont le corps a été exhumé au Burkina Faso. Le ministre sénégalais de la Justice, Me Sidiki Kaba, s’est prononcé sur cette affaire en sa qualité de président de l’Assemblée des Etats parties de la CPI. Ce, pour dire qu’« au niveau de la justice pénale internationale, c’est le principe d’égalité des poursuites. Quel que soit le niveau de responsabilité d’un personnage, s’il est impliqué dans des crimes de masse, il va comparaître devant la justice. Si des faits tangibles et probants lui sont reprochés, cela peut conduire à son arrestation. Mais pour le cas de Compaoré, il appartiendra à des juges libres et indépendants de mesurer la responsabilité de ses actes, si jamais son pays le décidait ». Me Sidiki Kaba s’exprimer à l’ouverture de la rencontre sur les meilleures pratiques en termes de plaidoyer et de mobilisation pour la CPI.
Au lendemain de l’exhumation des corps de Thomas Sankara et de douze de ses compagnons assassinés à la suite du coup d’Etat de 1987, l’implication présumée de l’ancien président déchu, Blaise Compaoré, refait à nouveau surface. Et nous reviennent en mémoire les propos de l’ancien chef de guerre libérien Prince Johnson sur l’assassinat de Thomas Sankara. C’était le 19 août 2014 à Monrovia, devant les membres de la Commission vérité et réconciliation.
Acteur de premier plan dans la guerre civile qui a ensanglanté son pays de 1989 à 2003, le récit de l’ancien chef de guerre et compagnon de Charles Taylor a secoué le landerneau politique africain. On retient de sa déposition que son aventure a débuté en 1985, avec le coup d’Etat raté du jeune général Thomas Quiwankpa dont il était l’aide de camp. Ayant échoué dans sa tentative de renverser le président Samuel Doe dont il avait contribué à installer au pouvoir en 1980, ce dernier fait exécuter le général Quiwankpa. C’est ainsi qu’avec une poignée de fidèles, Prince Johnson s’enfuit pour d’autres cieux, notamment la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso.
Les chemins de Prince Johnson et de Charles Taylor se croisent alors à Ouagadougou. Ils ont une cause commune : renverser le président Samuel Doe. Les autres Libériens sont mis au courant du projet. Ils rejoignent leurs chefs au Burkina. Prince Johnson : « On était à la recherche d’une base d’entraînement au Burkina Faso. On nous a dit qu’il fallait se débarrasser de Thomas Sankara pour pouvoir y installer notre base. C’est ainsi que nous avons aidé ceux qui ont renversé l’ancien président burkinabè ».
Qui est donc ce « on » qui leur a demandé de participer à l’assassinat de Sankara ? La réponse semble se trouver vers la fin des propos de Prince. Il dit en effet : « …C’est ainsi que nous avons aidé ceux qui ont renversé l’ancien président burkinabè. » Ceux qui ont renversé Sankara sont connus dès le soir du 15 octobre 1987.
Mais pour certains, ce bout de phrase n’est pas suffisant pour se faire une idée sur l’identité du commanditaire de l’assassinat de Sankara et de ses fidèles compagnons. Il faut encore des précisions. Deux mois après, soit le 27 octobre 2014, sur les ondes de RFI, Johnson cite explicitement les noms de ceux qui ont exigé leur participation dans l’assassinat de Sankara.
Mais avant de révéler les noms de ces personnes, il demande au journaliste qui l’interroge la permission de s’acquitter d’un devoir : rendre hommage au président Sankara. Pour Johnson, « Sankara était un homme exceptionnel, aimé par son peuple et par le monde extérieur. » Puis il enchaîne : « La seule option pour notre formation, rester au Burkina puis aller en Libye, était de répondre positivement à la requête de Blaise, c’est-à-dire se débarrasser de Thomas Sankara qui était contre notre présence au Burkina. »
Désormais, un nom s’affiche sur le fameux « on ». Ces révélations mettent directement en cause l’ancien président ivoirien Félix Houphouët-Boigny, dans le coup d’Etat du 15 octobre 1987 : « Il voulait la chute de Sankara pour que nous puissions suivre notre formation et retourner au Liberia pour tuer Doe, parce que Samuel Doe a tué son beau-fils William Tolbert Junior…»
Blaise et Houphouët-Boigny seraient donc les commanditaires de l’assassinat de Sankara ?
On savait que le courant ne passait plus entre Blaise et Sankara, vers la fin de la révolution. On savait aussi que le « père de l’indépendance ivoirienne » ne portait pas Sankara dans son cœur. A la mort de Sankara, les opinions africaines ne s’étaient pas embarrassées de scrupule pour désigner Blaise et son parrain ivoirien comme les chefs d’orchestre de l’assassinat du capitaine. Mais jusque-là, aucune voix officielle ne les avait mis directement en cause.
Cette fois-ci, un acteur a parlé. Pour Johnson, l’assassinat de Sankara est lié à la question libérienne. Houphouët en voulait à Samuel Doe pour deux raisons. Celui-ci a non seulement renversé et tué son ami le président William Tolbert qui lui aurait offert de vastes champs de plantation au Liberia, mais aussi parce que Doe a fait exécuter le fils de son ami qui est aussi son beau-fils. Adolphus Tolbert était marié à Désirée Delafosse, filleule d’Houphouët-Boigny. Adolphus avait participé au coup d’Etat raté du général Thomas Quiwonkpa en 1985. Houphouët tient à se venger de Samuel Doe et récupérer ses biens confisqués. Pour cela, il ne peut compter sur Sankara qui refuse d’aider les exilés libériens chargés de la mission.
Mais son numéro deux n’est pas de son avis. C’est une aubaine pour le « Vieux ». Faire une pierre deux coups : se débarrasser du sergent de Monrovia et surtout du capitaine de Ouaga qui l’agace au plus haut point.
Pour l’ancien chef de guerre Prince Johnson, le contexte sécuritaire se prêtait au renversement du président Sankara car, dit-il, « Sankara n’était plus qu’un chef cérémonial, c’est Blaise Compaoré qui contrôlait tout, les casernes et la garde présidentielle. Donc il était très facile de s’infiltrer ». Seulement, si Blaise contrôlait toutes les casernes du Burkina, on se demande pourquoi il aurait encore besoin de recourir aux mercenaires pour exécuter son coup. La vérité est qu’il avait la main sur le camp de Pô, mais n’était pas sûr de la réaction des autres camps militaires.
Après s’être acquitté de leur tâche dans le coup d’Etat du 15 octobre 1987, les Libériens vont avoir leur base au Burkina, puis en Libye où ils iront parfaire leur formation avant de lancer leur attaque contre le Liberia en décembre 1989. C’est le début de la guerre civile au Liberia qui ne prendra fin qu’en 2003. Elle a fait des dizaines de milliers de morts et provoqué des centaines de milliers de déplacés dans les pays de la région ouest-africaine.
C’est du Liberia qu’une autre guerre civile sera préparée et déclenchée, celle de la Sierra Leone avec les tristement célèbres soldats du RUF de Foday Sanko qui amputent les membres de leurs victimes. Sanko est mort dans sa cellule à Freetown et Charles Taylor est traduit pour crime contre l’humanité devant le Tribunal spécial pour la Sierra Leone qui siège à La Hayes aux Pays-Bas. Houphouët-Boigny est lui mort de sa belle mort, emportant dans sa tombe la vérité sur les circonstances de la mort du jeune capitaine Sankara. Mais Blaise Compaoré est bien vivant, en exil en… Côte d’Ivoire. Ironie de l’Histoire.
Alors on comprend mieux les propos du président de l’Assemblée des Etats parties de la CPI le sénégalais Sidiki Kaba, quant à une probable future arrestation de l’ex-président Compaoré que tout accuse d’avoir les mains ensanglantées du sang de son « meilleur ami » Thomas Sankara.
Louis Mar
Times24.info