En plus, Sankara est un héros positif, très éloigné des Ubu- Roi tels Mobutu, Amin Dada et Duvalier dont le cinéma mondial abreuve la jeunesse africaine
Le documentaire Capitaine Thomas Sankara de Christophe Cupelin a été programmé à ce FESPACO 2015. Et l’accueil enthousiaste du public témoigne d’un désir de voir le cinéma porter ce mythe. Sankara est l’image manquante parmi les héros africains dans ce cinéma.
Il y a quelque chose de changé au Burkina depuis l’insurrection populaire. Ce qui était inimaginable il y a quelques mois s’est fait : le film Capitaine Sankara de Christophe Cupelin est dans la programmation du FESPACO. Une première, car depuis 27 ans il y a eu une omerta sur cet homme d’Etat dans les médias publics d’Etat et au FESPACO.
Cela est un paradoxe parce que Sankara est depuis longtemps un mythe en Afrique et au Burkina, où il s’est développé une véritable iconographie du jeune révolutionnaire, et cela même dans le reste du monde. Des posters, des t-shirts, des films d’extraits de discours à l’ONU ou à l’OUA qui sont stockés dans les téléphones et autres.
D’emblée héros de la jeunesse africaine, les cinéastes du continent semblent cependant passer à côté de ce personnage qui a cru fortement au 7e art comme outil de conscientisation et de développement. C’est d’ailleurs lui qui s’est fait un VRP de luxe du FESPACO et l’a ouvert à la diaspora afro-caribéenne et afro-américaine.
Après Thomas Sankara de Balufu Bakupa Kanyinda et quelques documentaires d’Européens, il n’y a quasiment rien. En fiction, si l’on met de côté Twaga de Cédrix Ido, qui se situe dans la période de la révolution d’août et qui parle bien de Sankara même s’il n’en a pas l’air, il n’y a rien.
Pourtant Sankara est un personnage de cinéma par excellence. En lui, il y a la jeunesse, la passion, le côté étoile filante de cette vie brève et surtout un destin de personnage de tragédie. La vie de Sankara associe un personnage exceptionnel et une dramaturgie forte. Il suffit de braquer la caméra sur une telle existence pour avoir un film intéressant.
En plus, Sankara est un héros positif, très éloigné des Ubu- Roi tels Mobutu, Amin Dada et Duvalier dont le cinéma mondial abreuve la jeunesse africaine.
Il y a donc un désir de cinéma sur Sankara dans la jeunesse africaine. Et la réception qu’a eue le documentaire de Christophe Cupelin illustre ce fait. Car, quoique riche d’archives photo, télévisuelles et de coupures, ce documentaire n’apporte pas d’inédits.
Mais il restitue bien la personnalité multiple de ce jeune capitaine qui rêvait de changer son pays et le monde. Et montre le bilan phénoménal de ces réalisations en quatre ans : construction d’écoles, de dispensaires et de retenues d’eau, plantations d’arbres.
Il engage des actions d’envergure pour l’autosuffisance alimentaire et l’égalité des sexes. En quatre ans, il entame les douze travaux d’Hercule pour offrir à son peuple plus de dignité et de bonheur. Le temps a forci le capital de sympathie du pays pour cet officier qui rêvait de faire de ce pays pauvre une nation modèle pour le monde.
Dans la salle surchauffée du ciné Neerwaya, chaque citation, chaque geste, chaque action du capitaine Sankara déclenche une salve d’applaudissements. Quand son tombeur, Blaise Compaoré, apparaît, ce sont des huées et des quolibets qui fusent.
Cet homme représente pour la jeunesse africaine ce que l’Afrique avait de meilleur. Et la jeunesse burkinabè pressent qu’avec Sankara son pays aurait eu un autre destin. Nous disons bien Sankara et non la Révolution d’août. Car il était le seul convaincu qu’une autre façon de faire la politique était possible.
Dans le paysage politique burkinabè et même africain, il paraît un extraterrestre dont le moule a été brisé après sa conception. La preuve : l’insurrection populaire d’octobre 2014 a chassé Blaise Compaoré, le tombeur de Sankara ; malheureusement, il n’y a aucune figure d’envergure pour porter le rêve de changement.
La vie de Sankara est un matériau qui devrait plaire aux cinéastes africains. Le personnage est flamboyant, sa vie est fulgurante, son destin tragique et en plus il y a une demande du public pour un tel cinéma. Alors, qu’attendent les cinéastes pour s’en emparer ?
Les films, qu’ils soient des documentaires ou des fictions, devraient porter les grandes utopies et montrer aussi la face la plus lumineuse de l’histoire du continent. Pour redonner à la jeunesse perdue une image plus belle de l’Afrique !
Saïdou Alcény Barry