«La guerre est un acte de violence destiné à contraindre l’ennemi à accepter notre volonté. » Carl Von Clausewitz
« L’objectif recherché était l’assassinat de Kadhafi. Pas autre chose! Mais ce qui n’a pas eu lieu, c’est le service après-vente… » Ainsi fulminait Idriss Déby Itno, Président du Tchad, lors du Forum International sur la Paix et la Sécurité en Afrique tenu à Dakar les 15 et 16 Décembre 2014, devant une assistance médusée. Ces propos qui ne s’embarrassent point de scrupules diplomatiques résument bien ce qu’est devenu la Libye : une Somalie-bis aux portes du Sahara !
Et trois ans après l’exécution de Mouammar Kadhafi par l’OTAN et les forces spéciales du Qatar, elle implose de partout.
Le Fezzan, la Cyrénaïque et la Tripolitaine agissent de plus en plus en entités autonomes. L’Etat central issu de la réunification des trois régions en 1951 par les Britanniques en Royaume-Uni de Libye (United Kingdom of Libya)[1] n’est plus qu’un vague souvenir. Les milices islamiques et tribales règnent en seigneurs absolus. Du coté de l’Europe et des Etats-Unis, on fait profil bas. La Libye ne faisant plus partie de l’agenda politique et médiatique international, on disserte à présent sur la Syrie et l’Etat Islamique du Levant (EIL).
Les causes du chaos et de la terreur en Libye sont essentiellement de trois ordres: la faillite de la campagne armée de l’OTAN avec l’aval de l’ONU, l’implication personnelle du Président français Nicolas Sarkozy et enfin, la transformation de l’Etat libyen en sanctuaire pour jihadistes et criminels islamistes.
« L’OTAN Global » et l’échec de sa mission civilisatrice en Libye
L’agression militaire de l’Organisation pour le Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) contre la Jamahiriya Arabe Libyenne de Mouammar Kadhafi fut avant tout le fait d’un projet de civilisation impérialiste dont les raisons remontent bien loin notamment pendant la guerre froide. En 1981 déjà, dans un rapport confidentiel adressé au Président étasunien Ronald Reagan et au directeur de la CIA, William Casey, le renversement de Kadhafi, est qualifié d’une urgence stratégique et politique. Raison? «La politique antioccidentale de Kadhafi sert les intérêts soviétiques… L’Urss se procure des devises substantielles grâce à ses ventes massives d’armes à la Libye…Un fournisseur (La Libye) important dont le pétrole peu sulfureux et de faible densité serait difficile à remplacer…La Libye se livre à des activités clandestines dans les pays d’Afrique noire…A moins d’un assassinat, Kadhafi resterait probablement au pouvoir pendant de nombreuses années…».[2] On s’aperçoit ainsi que l’expédition militaire de 2011 (sous mandat de l’ONU) n’est que l’aboutissement d’un continuum historique qui prend son origine dès l’arrivée au pouvoir de Kadhafi le 1er septembre 1969.
Pour les Etats-Unis et ses alliés de l’OTAN, la campagne libyenne devait permettre d’atteindre quatre objectifs stratégiques majeurs: Instaurer une économie capitaliste de type néo-américain[3] dont l’axe central reste le contrôle privé du pétrole, gaz, ressources en eau (nationalisés par Kadhafi depuis les années 1970); établir un centre opérationnel pour l’Africom (Commandement militaire de l’OTAN pour l’Afrique) dans ses missions secrètes en Afrique; mettre en place un régime docile et corvéable à souhait (Kadhafi était jugé trop imprévisible et insoumis); et enfin, exclure la Chine et la Russie qui étaient très actifs dans les secteurs pétrolier, gazier et militaire aux cotés de Kadhafi.[4] Ceci explique pourquoi aux premières heures de la guerre en mars 2011, les travailleurs chinois en Libye sont d’ailleurs pris pour cible par les islamistes et leurs alliés de l’OTAN. Ce qui conduira Pékin a déployé la plus grande opération humanitaire hors de son territoire pour évacuer plus de 35.000 chinois qui travaillaient dans les secteurs du pétrole et des travaux publics grâce à une batterie d’avions et de navires militaires impressionnants.[5]
Pour atteindre les objectifs énoncés plus haut, l’OTAN va recruter plus de 20 000 islamistes venus d’Afghanistan.
S’y grefferont des dizaines forces spéciales du Qatar, de la France et de la Grande-Bretagne déguisés en rebelles libyens du Conseil National de Transition (CNT). Cette internationale du crime a permis à l’OTAN de renverser la Jamahiriya Arabe Libyenne et mettre la main sur les fonds souverains libyens évalués à plus de 200 milliards de dollars[6] et domiciliés à Wall-Street, à la City et au Bahreïn (importante place financière du monde arabe) en majeure partie.
Un laconique communiqué signé conjointement par les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne affirmait il ya quelques mois «qu’il n’ya pas de solution militaire à la crise libyenne.»[7] ! Or ces pays sont les principaux responsables du chaos dans ce pays et feignent de découvrir la terreur qui y règne!
Par ailleurs, le plan de sortie de crise de l’Union Africaine, rejeté par l’OTAN envisageait une issue pacifique à la crise libyenne. Mais l’Union Africaine ne disposant d’aucune force armée digne de nom et tributaire sur le plan budgétaire des Occidentaux, fut reléguée au second plan dans le dossier libyen.
Or le plan de l’UA prévoyait trois points importants: un cessez-le-feu immédiat entre belligérants, un dialogue politique inclusif des différentes composantes de la société libyenne (suivie d’une transition sans Kadhafi) et enfin l’instauration d’une gouvernance démocratique issue d’élections libres et transparentes sous supervision internationale.[8] Les Etats-Unis et ses vassaux occidentaux se sont arrogés le monopole des initiatives politiques et diplomatiques sur la Libye avec le succès que l’on connait.
Enfin, l’échec de l’OTAN en Libye c’est l’histoire d’un carnage humain sans précédent. Entre le 19 mars 2011 (début des frappes de l’OTAN) et le 20 octobre 2011 (assassinat de Kadhafi et ses proches), pas moins de 10 000 frappes aériennes, soit près de 26 000 sorties d’avions en 7 mois de conflit et plus 50 000 morts du coté des Libyens.[9] Des populations affreusement mutilées et décimées à jamais au nom d’une fumeuse responsabilité de protéger civils !
La responsabilité personnelle de Sarkozy dans la tragédie libyenne
La guerre en Libye fut avant tout une initiative française. Celle du Président français Nicolas Sarkozy et son conseiller occulte, Bernard Henri-Levy. Pour des considérations à la fois de politique intérieure (financements occultes de l’UMP) et de politique étrangère (retour en 2007 dans le commandement intégré de l’OTAN), Sarkozy a fait montre d’un zèle particulièrement révoltant dans le dossier libyen.
Sur le plan intérieur, le bellicisme du Président français tient surtout à sa volonté de rattraper l’échec de sa diplomatie incapables de prévoir les insurrections populaires qui ont conduit à la chute de ses alliés Ben Ali et Hosni Moubarak respectivement le 14 janvier et 10 février 2011.
Par ailleurs, selon le site d’informations Mediapart[10], plus de 50 millions de dollars en provenance de Tripoli auraient servi à financer la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007. Soupçons au demeurant corroborés par les propos du fils du Guide libyen, Saïf Al-Islam, qui déclarait à Euronews le 16 mars 2011 : « Tout d’abord, il faut que Sarkozy rende l’argent qu’il a accepté de la Libye pour financer sa campagne électorale. Nous avons tous les détails, les comptes bancaires, les documents, et les opérations de transfert…»[11]. Donc, traqué par la justice française, Sarkozy aurait décidé d’en finir avec Kadhafi et ses proches afin de taire à jamais tous les témoins gênants du financement illicite de sa campagne.
Enfin, l’implication active et personnelle du Chef de l’Etat français dans le renversement de la Jamahiriya Arabe Libyenne s’explique aussi par l’alignement atlantiste de Paris sur les vues de Washington depuis son retour dans le commandement intégré en 2007. Ce retour signa par la même occasion, la fin de l’indépendance de la politique étrangère française dont les grands axes stratégiques avaient été élaborés par le Général De Gaulle au sortir de la seconde guerre mondiale.
Ainsi l’opération militaire française « Odyssée de l’Aube » lancée le 19 mars 2011 contre l’Etat libyen et abondamment dénoncé par ses alliés de l’OTAN (L’Allemagne, la Turquie, l’Espagne et la Pologne) qui s’estimaient pas suffisamment associés au festin, traduit combien Sarkozy avait fait de la question libyenne une affaire personnelle dont dépendait sa survie politique en France.[12]
Un pays livré à l’anarchie et devenu le sanctuaire des terroristes islamistes
Les conséquences de cette folie criminelle de Nicolas Sarkozy et ses alliés de l’OTAN sont innommables : plus de 50 000 morts, des villes entièrement rasées comme Syrte, des infrastructures sociales détruites et rendues impraticables. Un pays qui agonise de partout. Par ailleurs, il n’est pas un jour sans crimes crapuleux, vols, rapts et autres viols pratiqués sur des citoyens sans défense.
Parallèlement à l’effondrement de l’Etat central, des hiérarchies parallèles se sont constituées et contrôlent d’importantes portions du pays dans l’impunité totale. Ces structures criminelles constituées de milices et autres brigades islamiques tirent ainsi leur « légitimité » de la guerre de 2011 contre le Guide Mouammar Kadhafi. De fait, elles concurrencent les institutions étatiques (police, armée, administrations) et se sont installées dans le jeu politique libyen grâce à l’imposant arsenal militaire qu’elles ont reçu notamment des autorités françaises.
Une typologie sommaire des forces en présence fait apparaitre grosso modo : Les milices de Misrata avec ses 20 000 hommes, celles de Zenten (Ouest de Tripoli) qui détiennent le fils de Mouammar Kadhafi, Seif El Islam, Ansar Charia ainsi que la Brigade des Martyrs du 17 février contrôlée par le général libyen Khalifa Haftar. Ces différentes légions islamistes financées et pilotées par l’OTAN sont intégrées parmi les forces de l’Etat Islamique qui combattent en Irak et en Syrie. Ajoutons à cela, les milices du Sud, de l’ethnie touboue, basées près du Tchad et du Niger ainsi la Résistance Verte constituée d’anciens soldats proches de Kadhafi qui essaient de reprendre le pouvoir et perpétuer les idéaux du Guide libyen.[13]
Aujourd’hui, plus de 100 000 miliciens selon plusieurs experts, se partagent les dépouilles de l’Etat libyen en se livrant au pillage et à la terreur. Cet état d’insécurité permanente a même contraint le gouvernement et le parlement à trouver refuge à l’Est du pays. En septembre dernier, les parlementaires avaient même fui sur un ferry grec amarré dans le port de Tobrouk![14]
En guise d’épilogue, la Libye n’existe plus que de nom et chaque jour qui passe, elle sombre dans l’anarchie et le chaos. Ses principales institutions politiques (gouvernement, parlement, police, armée, justice) sont inexistantes et déficientes. Ce qui en fait une Somalie-bis au coeur du Sahara qui menace la stabilité des Etats voisins comme la Centrafrique, le Tchad, le Niger, l’Algérie et surtout le Mali. Cette tragédie africaine qui a consacré le triomphe d’une imposture humanitaire faite de mensonges et d’assassinats politiques de l’OTAN et ses supplétifs du Qatar, de l’Arabie Saoudite, relance l’urgence d’une nécessité de lutter contre l’impérialisme sous toutes ses formes et réaliser l’unité politique et militaire de l’Afrique.
Olivier FADO DOSSOU