L’ordre vient toujours de l’Elysée. Le décideur, c’est le président de la République
Dans « Les tueurs de la République », Vincent Nouzille s’intéresse à un cellule du service Action de la DGSE. En charge d’opérations dites « spéciales », clandestines et toujours menées dans l’intérêt de la France, celle-ci a été sollicitée par tous les présidents de la Ve République. Interview de l’auteur.
Planet : Comment avez-vous écrit ce livre ?
Vincent Nouzille : « Ce livre, c’est le fruit d’un long travail d’enquête. Cela fait près de dix ans que je travaille sur les services secrets et notamment sur les relations entre la France et les Etats-Unis. J’ai d’ailleurs écrit deux livres sur ce sujet. Il y a deux-trois ans, j’ai eu envie de m’intéresser aux ‘guerres secrètes’ menées par la France. Pour montrer que la lutte contre le terrorisme n’est pas toujours officielle.
Planet : Vous parlez dans votre livre ‘d’opérations spéciales’. Qu’est-ce que c’est ?
Vincent Nouzille : Elles regroupent toutes les opérations qui sont menées de manière clandestine par les services secrets à l’étranger pour obtenir des renseignements, punir ou prévenir d’éventuelles attaques. Il y a trois principales raisons qui motivent ce type d’opérations. Il peut s’agir de défendre l’influence de la France dans ses anciennes colonies. En d’autres termes, défendre le pré-carré de la France, notamment au Moyen-Orient, en Afrique noire et en Afrique du nord. Il peut aussi s’agir d’une riposte après qu’une attaque de type attentat a visé le pays. La riposte est généralement officieuse dans un premier temps puis après, et en cas d’échec, officielle. C’est ce qui s’est passé après l’attentat du Drakkar en 1983 à Beyrouth dans lequel 58 soldats français ont été tués. François Mitterrand, qui était alors président, avait décidé de répliquer clandestinement en organisant un attentat visant à détruire l’ambassade d’Iran au Liban. L’iran était en effet considéré comme le commanditaire de l’attaque du Drakkar. Mais l’opération commandée par le chef de l’Etat a échoué. Aussi, ce dernier a voulu passer à la phase 2 en bombardant des positions chiites pro-iraniennes. C’était alors une frappe militaire signée. On n’était plus dans la clandestinité.
Enfin, l’autre raison qui peut motiver le déclenchement d’opérations spéciales est la lutte contre le terrorisme où qu’il soit. Il ne s’agit pas forcément de légitime défense comme dans le cas précédent mais plutôt d’entraves, de sabotages et parfois même d’élimination de chefs terroristes. Avant, quand le terrorisme était ‘sponsorisé’ par des Etats comme la Syrie, la Lybie et l’Iran, il y avait une possibilité de négocier. Mais depuis les années 2000 et l’apparition d’Al Qaïda, ce n’est plus vraiment possible. Sauf quand il y a des otages.
Il y a deux équipes en France qui sont capables d’intervenir pour ce type d’opération : le service Action de la DGSE et l’Etat-major des armées. Dans le premier cas, c’est toujours de manière clandestine tandis que dans le second c’est semi-clandestin.
Planet : Ces opérations ont-elles toujours lieu à l’étranger ?
Vincent Nouzille : Oui, car la juridiction française ne permet pas d’éliminer des gens sur notre territoire. On les arrête et on les livre ensuite à la justice et aux services secrets mais on ne les tue pas. A l’étranger, les choses sont différentes. C’est comme si tous les coups étaient permis. Les pays dans lesquelles ces opérations ont lieu ferment souvent les yeux car ce sont des alliés ou bien parce qu’ils ne contrôlent pas tout leur territoire. C’est d’ailleurs beaucoup plus compliqué dans les pays dits ‘développés’ car la police y est plus présente et plus efficace. Aussi, le risque que les agents se fassent démasquer est plus grand.
Nous en avons eu en exemple avec ce qui s’est passé en Espagne en 2002. Deux agents membres de la cellule tueurs de la DGSE ont été arrêtés parce qu’ils étaient en possession d’armes de guerre. Ils ont même été en prison car les autorités espagnoles pensaient qu’ils étaient trafiquants d’armes ! Il a ensuite fallu que le gouvernement français fasse pression pour les faire sortir.
Planet : Qui décide de ces opérations ?
Vincent Nouzille : L’ordre vient toujours de l’Elysée. Le décideur, c’est le président de la République. Au cours de mes recherches, je me suis aperçu que sur l’ensemble des présidents de la Ve République, depuis le Général de Gaulle et la guerre d’Algérie, François Hollande est de loin le président qui assume le plus de prendre ce type de décision. Avant lui, François Mitterrand ne voulait pas trop savoir tandis que Jacques Chirac était très prudent, voire craintif. C’était même le moins enclin de tous à assumer ces opérations spéciales. Nicolas Sarkozy a quant à lui commencé à assumer à la fin de son mandant, vers 2010, quand des prises d’otages ont eu lieu au Mali et au Niger. De son côté, François Hollande se montre très déterminé et assume de manière carrée, voire musclée, ses décisions devant le patron de la DGSE et l’Etat-major. C’est d’ailleurs assez surprenant. Comme si derrière sa mollesse apparente se cachait une fermeté pour les décisions relatives à la guerre. Souvenez-vous, il n’a pas tremblé au moment d’annoncer l’opération Serval.
Arrive-t-il parfois que ces opérations spéciales dégénèrent ?
Vincent Nouzille : Oui, cela arrive parfois. Il y a ainsi eu le raid mené en janvier 2013 en Somalie pour libérer un agent de la DGSE qui était otage depuis trois ans. Un véritable échec puisque l’otage et deux soldats ont été tués, mais aussi parce qu’il y a eu beaucoup de victimes chez les civiles. C’est ce que l’on appelle des dommages collatéraux…On était alors complètement hors des clous en termes de légalité. Mais il y avait quand même une certaine forme de légitime défense car il s’agissait d’une riposte. D’une manière générale, il ne faut pas non plus oublier que ces opérations interviennent souvent en marge de guerres déclarées et reconnues par l’ONU. De ce point de vue là, elles respectent, en quelque sorte, la légalité internationale… »
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