Dans toute communauté humaine, le renouvellement de la classe des aînés commence dès l’adolescence de la classe « montante ». En effet, l’adolescent remet en question les valeurs qui lui ont été transmises, s’oppose dans une certaine mesure aux aînés, etc. En même temps, son attitude doit rencontrer chez les aînés le désir de préparer la relève et de transmettre le témoin ; cela se manifestait dans certaines sociétés traditionnelles par l’initiation progressive aux rôles d’aînés dans l’intégration aux différentes classes d’âge.
Pourquoi n’assistons-nous pas à une dynamique semblable en matière politique en Afrique et spécialement dans les pays francophones ?
Il y a une soixantaine d’années on a vu venir au pouvoir, les grands noms de la lutte anticoloniale, et spécialement ceux qu’on pouvait qualifier de modérés, qui avaient accepté de cheminer avec la France de De Gaulle jusqu’en 1960, contrairement à un Sékou TOURE qui dès 1958 avait exigé l’autodétermination de son pays. Quoi qu’il en soit, ces « grands hommes » de la politique africaine, ont mis en place un système de gouvernance très particulier avec des partis qui en fait n’en était pas. En effet, comme l’affirme Victor TOPANOU, à propos du Bénin, « ils ne furent jamais de véritables partis politiques, entendus comme des associations d’hommes et de femmes qui se réunissent autour d’un corpus d’idées et dont la finalité est la conquête, la gestion et la conservation du pouvoir politique. Ils n’ont été que des entreprises personnelles à caractère politique dont la finalité est de contrôler une partie du corps électoral afin de prendre part à la gestion du pouvoir politique et espérer ainsi prendre sa part du gâteau. C’est pourquoi, dans les partis politiques béninois, le Président est un président à vie ; il ne change jamais.»
Du coup, l’image des pouvoirs en place, pouvoirs autocratiques installés à vie, ne pouvait plus passer dans les années 80-90, années du Vent de l’Est avec la chute du mur de Berlin : le Discours de la Baule du 20 juin 1990 l ’a vigoureusement rappelé aux chefs d’Etat africains. C’est alors que les Africains ont fait une trouvaille géniale au service de la non-alternance : les élections, un outil qui est normalement au fondement de l’alternance. Il a suffi de mettre en place au fil des années un système bien huilé de truquage, de le faire accepter par les organismes interafricains et la communauté internationale, et le tour est joué : les élections 2 sont devenues une garantie pour la non-alternance politique en Afrique et surtout dans les pays francophones. Quel paradoxe et quel désastre ! Comment les citoyens togolais peuvent-ils encore attendre le changement social par le biais des élections ? Or notre pays est l’exemple même de la dynamique que nous venons de présenter : aucune alternance électorale en plus de 50 ans ; élections truquées d’un bout à l’autre du processus ; partis politiques avec des leaders qui ne cessent de l’être qu’au jour de leur mort, etc. Pour qui veut observer les pratiques et les fonctionnements antidémocratiques, le Togo est un vrai laboratoire dans ce domaine. Autre élément de la non-alternance, les réseaux plus ou moins maffieux, à base de corruption et de détournements à grande échelle, destinés à permettre à une minorité de s’accaparer des richesses du pays.
Pour cela on n’a pas besoin de grands hommes et donc le renouvellement de la classe politique n’est pas à l’ordre du jour. En effet, le système exige surtout la stabilité politique : il suffit de démontrer que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, avec des données truquées et fausses, à propos de toutes les ressources agricoles et minières, des performances économiques et sociales. Les citoyens mal informés, désinformés, sont réduits au silence à la moindre velléité de protestation contre la misère où ils vivent à cause de ce système dans lequel les crimes économiques riment avec les violations des droits de l’Homme. C’est dans ce cadre que s’inscrit la persécution que subissent les hommes de presse qui s’efforcent de dénoncer ce système. La fameuse plainte contre Ferdinand AYITE, Directeur de L’Alternative ne relèverait-elle pas d’une telle logique ?
Tout le peuple togolais espère parvenir à la vérité au bout de la procédure de citation directe qui, initialement fixée au 12 août, a été reportée au 19 août et puis renvoyée au 16 septembre 2020. Finalement, le non renouvellement de la classe politique, la répression des libertés d’expression et de manifestation, créent chez les citoyens désabusés un découragement tel qu’on a l’impression que, par leur apathie, ils sont eux-mêmes les meilleurs artisans de la nonalternance. Depuis les années 1970, il y a cependant un élément constant, qu’on peut observer facilement dans le laboratoire-Togo, c’est le rôle de l’armée qui a donné un appui constant au système anti-démocratique. Les membres de ce corps servent à l’instauration du climat de terreur qui explique en grande partie le manque d’engagement des citoyens. Mais surtout, personne n’ose révéler à quel point une partie de ce corps bénéficie des retombées économiques du système mis en place, la non transparence est de mise dans ce domaine.
Mais, pourquoi, ne pourrions-nous pas, nous Togolais, être enfin fiers de nos militaires, comme derniers remparts de la démocratie, derniers protecteurs des citoyens persécutés par un pouvoir injuste, prêts à donner leur vie pour la justice, l’équité et le règne de la probité dans tous les secteurs de la vie de la Nation ? Pourquoi garderions-nous en mémoire ceux qui ont molesté des citoyens, ceux qui ont tué des enfants, poursuivis les citoyens à travers les rues pour les tabasser ?
3 Nous voulons qu’on nous montre des images de militaires défenseurs de la veuve et de l’orphelin, défenseurs des citoyens, des faibles et des institutions justes avec lesquelles nous voulons vivre. Est-ce vraiment impossible ? Est-ce trop demander ?
Et tous ces jeunes (hommes et femmes) recrutés chaque année, pour quelques années d’une carrière militaire dont la plupart ne peuvent guère tirer gloire, pourquoi ne les forme-t-on pas dans cette armée à devenir des citoyens compétents, des agriculteurs modernes, des artisans chevronnés, des ingénieurs, de bons scientifiques, des mécaniciens, des menuisiers, des plombiers, des soignants infirmiers et autres ? Ils pourraient alors participer pleinement au développement de notre pays. Au lieu de cela, ils sont admis à la retraite aux alentours de la quarantaine, avec des charges de famille et donc obligés de trouver des ressources complémentaires. On prétend (ou euxmêmes prétendent) qu’ils sont des anciens combattants (de quelle guerre ?) mais au fond, ils n’ont aucune qualification particulière. Par conséquent, ils n’ont d’autre choix que de devenir des agents de sécurité pétris dans les mauvaises habitudes acquises au cours de leur vie militaire. Et pourtant tous ces hommes et femmes des forces de l’ordre, de sécurité et de défense sont des concitoyens et donc nos frères et sœurs capables de beaucoup de choses positives et créatrices. Le labo anti-démocratique ne peut-il pas devenir un vrai labo de démocratie pour le continent africain du XXI è siècle ?
Au moment où nous terminons cette tribune, l’annonce se confirme : le 18 août 2020, dans la soirée les militaires Maliens ont poussé IBK à démissionner de sa fonction de président de la République du Mali. Alors, les chœurs des pleureuses se sont élevés : France, CEDEAO, UE, ONU, etc. ont commencé à se lamenter parce qu’il y a eu un coup d’Etat. Pourquoi ne les a-ton pas entendu pleurer sur les souffrances du peuple malien ? En particulier lorsque les manifestations du M5 ont commencé c’est au secours d’IBK qu’ils ont volé ! Alors, il ne faut pas qu’on s’étonne que les peuples d’Afrique, excédés de mourir de faim sous la dure houlette de pouvoirs toujours soutenus par ceux qui sont contre les coups d’Etat, rêvent d’un militaire justicier dont l’image est pour eux Jerry John RAWLINGS du Ghana.
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Lomé, le 21 août 2020