Le Togo est passé dans la nuit de ce 25 mars 2024 à la Vè République. D’un régime semi-présidentiel adopté le 14 octobre 1992 par référendum par 98% des Togolais, ce régime bicaméral avait subi à en croire le député Gerry Taama pas moins de 25 modifications avant qu’il ne soit finalement abandonné hier nuit pour un régime parlementaire.
Du régime parlementaire
Le régime parlementaire utilisé en Inde (qui en fait un très bon usage), au Royaume de Belgique, en Angleterre, en Italie, en Hollande a cette spécificité d’être souvent l’objet de marchandages politiciens, d’intrigues, de corruptions où on cherche à avoir une large majorité gouvernementale quitte à soudoyer de petits partis politiques pour qu’ils accordent leurs cautions contre des strapontins et des prébendes. Le gouvernement peut à moindre incident être révoqué et le pays bloqué de longues semaines voire de longs mois. C’est l’instabilité politique qui prédomine. L’inconvénient second est que le parti majoritaire peut tout à fait ignorer les intérêts des partis minoritaires accordant ainsi au parti majoritaire trop de pouvoir. Ce qui s’assimile à un parti unique avec son système dominant.
L’exemple que je connais le plus que je vais citer est celui de la Belgique royaume dans lequel est usité ce type de régime et qui par des jeux politiciens connaît souvent de longs mois de blocages, le pays étant resté pendant un an sans gouvernement. Et pourtant avec l’ancrage démocratique et des institutions fortes les Belges ne sentaient même pas, en dehors des partis politiques eux-mêmes ce blocage. Tout roulait comme si de rien n’était.
L’avantage de ce type de régime est l’ancrage de la démocratie à la base avec une représentation et une responsabilité plus dégagées des élus, un gouvernement responsable devant le parlement et qui peut être déchu à tout moment par une motion de censure. Le Premier ministre ou Président du conseil des ministres est chef de la majorité et à la fois chef du gouvernement qui peut dissoudre quand cela ne l’arrange pas le parlement pour des élections anticipées.
Mauvais timing
Le futur chef de l’État qui ne jouera qu’un rôle honorifique de représentation du pays, de l’unité et de l’intégrité territoriale sera choisi par les deux chambres c’est-à-dire le parlement et le sénat. Au Togo nous n’avons encore aucune expérience du sénat, nous n’en savons absolument rien. C’était comme l’élection municipale que notre pays a connu en 2019 avec toutes les ratées, tous les couacs actuels que nous connaissons. Il aurait fallu en faire l’expérience pendant 5 à 10 ans afin de voir tous les avantages et inconvénients du sénat, au besoin l’adapter avant d’intégrer le pays dans un régime parlementaire. Ce faisant la démocratie deviendra un réflexe dans nos habitudes, ce qui consolidera les institutions dont les rôles seront bien assumés.
Le texte adopté dans la nuit du 25 mars n’est connu de personne comme si cela s’est fait à huis-clos. Dès lors toute la problématique tourne autour de la pérennité et de la longévité du Président actuel sur le trône et n’explique pas en quoi le régime parlementaire est nécessaire dans l’état actuel de notre démocratie, il y avait une absence totale de communication autour de l’idée. Ce qui désavantage la majorité présidentielle actuelle car elle apporte de l’eau au moulin à l’opposition qui depuis les élections présidentielles de février 2020 a été complètement carbonisée et n’avait plus de mots d’ordre rassembleur. Le passage à la Vè République vient donner des éléments de langage nécessaires à l’opposition pour une campagne électorale réussie. Car sa campagne peut se bâtir sur le refus de l’alternance politique et la confiscation du pouvoir. Et ce sera audible à la veille d’un double scrutin législatif et régional.
Avec ces changements qui s’opèrent à trois semaines d’un scrutin crucial, on peut sans grande surprise s’attendre à un changement de majorité, ce qui va compliquer la tâche à l’actuelle majorité, le régime parlementaire étant la conclusion d’accords de gouvernement entre plusieurs partis politiques aussi minoritaires soient-ils.
L’histoire politique des nations a toujours démontré qu’il est imprudent de procéder à des changements majeurs à la veille des élections. Le risque est grand de se faire désavoué, le peuple ayant horreur des bousculements de ses habitudes. Et dans le cas d’espèce le seul langage véhiculé et qui est perceptible dans la population est celui de la longévité de l’actuel Chef de l’État Faure Gnassingbé au pouvoir. Et pour l’instant cela passe mal dans l’opinion. La stratégie aurait voulu qu’on attende la fin des élections législatives et régionales, mettre le turbo sur 2025 avec la IVè République et au besoin procéder à un basculement constitutionnel. Rien ne pressait. Mais hélas !
Tout n’est néanmoins pas encore perdu. La Cour constitutionnelle peut désavouer ce changement de régime par son inconstitutionnalité en se basant sur l’article 144 de la constitution changée et le Chef de l’État peut demander une deuxième lecture du texte par le parlement. On espère, on espère !