Il a été accueilli pompeusement par des populations et sympathisants mobilisés autour de son domicile de banlieue loméenne. Dans un pompeux discours très attendu, il n’a pas été clair, il a gardé tout le mystère sur son avenir politique et son positionnement sur l’échiquier national. L’ancien secrétaire national aux affaires politiques du Rpt, (système au pouvoir) a préféré « rendre grâce à Dieu », hommage à son épouse et remercier ses soutiens notamment la presse togolaise. Il ne dira pas grand-chose de l’affaire qui l’a amené en prison… Une affaire d’escroquerie basique, à la nigérienne, dans laquelle sont impliqués quelques ivoiriens, un autre sulfureux homme d’affaire togolais, Bertin Agba (encore détenu) et la victime, Abbas Youssef qui, par les mystères qui entourent le « coup » a lui-même du mal à se défendre. Il aurait investi 25 milliards de cfa, soit 50 millions de dollars environ dans un piège à lui tendu par divers complices, une vaste affaire aux contours toujours obscurs.
Abdou Assouma a plaidé le dossier « vide ».
Septuagénaire ou presque, cet homme est un patriarche pour le système qui dirige le Togo depuis un demi-siècle. Musulman, originaire du Nord du pays, ce magistrat à la fois compétent et manipulateur a une influence quasi paternaliste sur Faure Gnassingbé. Il préside depuis plusieurs années la Cour constitutionnelle du Togo, organe suprême en matière électorale. Rappelons que les prochaines élections municipales et législatives sont prévues dans les prochaines semaines au Togo. C’est donc par lui qu’arrive la libération. Il a avancé trois grands axes d’argumentation dans un document de 27 pages adressé au chef de l’Etat. Primo, la vacuité du dossier ou la difficulté de la justice à y trouver des éléments favorisant une culpabilisation. Secondo, tous les flous qui entourent le dossier et le fait que les « vrais » coupables, à l’exception de Agba, sont en fuite pour la plupart et à l’instant même, des mandats d’arrêts internationaux ont été discrètement émis contre eux par le juge d’instruction du 4e cabinet en charge du dossier. Tertio et pour finir, la libération du principal acteur de la machination et l’impression d’acharnement que donnent certains proches du chef de l’Etat dans cette affaire pour inculper de force Pascal Bodjona. Après que le « cerveau » présumé de l’escroquerie, le français Loïc Le Floch-Prigent, ait été libéré, la problématique du maintien en prison de pascal Bodjona a été évoquée auprès du chef de l’Etat par le patron de la Cour constitutionnelle. Les avocats de l’ancien ministre avaient introduit une demande de liberté provisoire sur laquelle la justice s’est aussitôt basée, sur instruction du chef de l’Etat pour libérer cet ex puissant qui, au cours de cette affaire, aurait bu honte et humiliation jusqu’à la lie. Désormais, il est libre et le débat va bon train sur les dessous de sa libération, la pression locale évoquant un compromis avec le système au pouvoir. Cette hypothèse est totalement fausse, nous y reviendrons dans la dernière partie de cet article.
Ce qui a joué en faveur de la libération
Plusieurs éléments ont plaidé pour la libération de l’ancien ministre d’Etat. D’abord, le contexte flou de son arrestation. A la suite d’un long acharnement de la justice et dans un imbroglio général où sa culpabilité n’a pu être démontrée, il a été interpellé et mis aux arrêts dans des conditions très vite qualifiées de « politiques » par plusieurs chancelleries dans divers rapports. Cet état de choses était une pression permanente sur le président Faure Gnassingbé dont la popularité n’a cessé de chuter. Ensuite, le dossier est vide. Il est apparu, plusieurs mois après son arrestation, impossible d’apporter la moindre preuve évidente de sa culpabilité et la justice a erré sans en venir à bout de ce qui était vite devenu une mission politicienne dont les dessous sont directement gérés par le chef de l’Etat Faure Gnassingbé lui-même. Enfin, après la libération de loick LE Flock Prigent, il ne pouvait pas en être autrement pour Pascal Bodjona. La victime de cette scabreuse affaire, Abbas Youssef avait affirmé dans diverses interviews que l’ex pétrolier français était le principal cerveau. Après qu’il a été libéré, il était devenu insoutenable de garder en prison un ancien ministre dont le degré d’implication, même s’il venait à être démontré, serait infirme selon plusieurs sources. Cette situation de confusion a vite présenté l’intéressé comme une victime d’injustice et a suscité une énorme mobilisation nationale, notamment auprès des organisations de défense de droits de l’homme et de nombreux avocats proches de l’opposition. Au fil des mois, au fil des semaines, des défaillances aigues ont été constatées dans le processus judiciaires et des vices de procédures se sont multipliés. La situation était devenue insoutenable et face à l’incapacité de la justice de pouvoir condamner Bodjona, faute de preuves suffisantes, Faure Gnassingbé a cédé dans la foulée en ordonnant lui-même sa libération par une justice à sa solde, en bonne épicerie de canton.
Perspectives et avenir
Une chose est sure, Pascal Bodjona n’a pas eu un accord avec le gouvernement pour être libéré. « L’intéressé n’aurait pas voulu d’une compromission alors qu’il est certain de son innocence » a confié à notre rédaction l’un de ses avocats. Bodjona lui-même clame depuis le début de cette affaire son innocence et a promis se « défendre et faire manifester la vérité ». Selon plusieurs sources proches de Faure Gnassingbé, » le chef de l’Etat était lui-même embarrassé par la situation » car la justice avait du mal à justifier le maintien en prison de son ancien ministre. En effet, craignant une montée de popularité pour celui qui a contribué à le maintenir au pouvoir et à lui obtenir des victoires « suspectes » à la suite deux élections présidentielles massivement fraudées, le chef de l’Etat togolais a mis son ancien directeur de cabinet dans les filets de la justice, une justice qu’il télécommande à distance. A bout de souffle et en manque d’éléments, il a ordonné sa libération, estimant, par l’humiliation, l’avoir réduit au silence. Pascal Bodjona n’aura pas le choix, il ne pourra pas rebondir politiquement tant qu’il est du côté du pouvoir et il n’aura pas le courage « risqué » d’annoncer un rapprochement avec l’opposition. Faure Gnassingbé, foncièrement rancunier ne lui fera pas non plus appel comme l’ont voulu faire croire certains journaux locaux, pour l’aider pour les prochaines élections. « Nul n’a le monopole de la fraude » chuchote-t-on dans l’entourage du président togolais, au plus bas de sa côté, à en croire la grande fronde qui mine tous les secteurs. Un entourage très hostile à Bodjona qui aura du mal à y revenir et s’il ne prend aucune initiative politique d’envergure pour s’imposer dans le débat, il devrait se contenter de l’isolement et du silence. Ils sont encore trop nombreux dans l’ombre du chef de l’Etat à vouloir sa peau. Avenir ? Pascal Bodjona n’en a plus vraiment dans ce système qu’il a contribué à élever et au sein duquel il compte plus d’ennemis que d’amis. Ne l’ayant pas innocenté et l’ayant maintenu sous contrôle judiciaire, la justice a toujours un œil sur lui et cet état de choses pèse comme une épée de Damoclès sur lui. Il en est conscient et devrait s’adapter rapidement. En attendant, propriétaire d’une chaine de télé et d’une radio dans la capitale togolaise, Bodjona devrait faire du management de ses médias sa principale occupation. Pour l’instant, il ne demande plus qu’à « profiter de sa liberté avec ses proches et sa famille ».
Sonia Cica NDIR