Togo . Libération d’Agbéyomé KODJO…pantomime d’une justice servile !

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Togo – La mise en cause de l’ancien Premier Ministre dans une sombre affaire d’incendie de marchés devait être son chant du cygne et son incarcération sonner le glas de ses ambitions politiques. La libération de Agbéyomé KODJO, le 25 février ]dernier et les premières saillies sur ses conditions de détention, rouvrent la polémique sur l’instrumentalisation de la justice togolaise et la permanente génuflexion du droit devant le pouvoir.

Au Togo, le stratagème de l’exhibition d’un homme politique devant les tribunaux relève presque d’une grotesque opération de lynchage. Agbéyomé KODJO n’en est pas à son premier face-à-face avec les barbouzes du système judiciaire togolais, l’homme n’en revient toujours pas des 41 jours qu’il vient de passer en détention. Plus d’un mois à ferrailler avec les incohérences, les contradictions et surtout le harcèlement d’un appareil qui ne prend même plus la précaution de camoufler sa véritable nature : casser de l’opposant et ramper devant les oukases du pouvoir…L’ancien Premier Ministre, aujourd’hui à la tête de l’Organisation pour bâtir dans l’union un Togo solidaire (OBUTS), n’a pourtant eu de cesse de clamer son innocence et de dénoncer le coup monté, le bras armé judiciaire des autorités togolaises a une feuille de route et le portrait-robot du coupable désigné est prêt. « Devant Dieu, devant les hommes, en conscience et en vérité, je ne suis, ni de près, ni de loin, mêlé à l’incendie des marchés », a tenu à rappeler un homme déterminé, au lendemain de sa libération. Ces propos sont ceux qu’il a constamment assenés devant ses accusateurs tout le long de son incarcération. En face, le processus est irréversible, un peu à l’image d’un rouleau compresseur sans interrupteur…Les avocats de la défense, eux, ont leur regard des mauvais jours ; même après la mise en liberté de leur client, ils ont encore en travers de la gorge l’amère pilule des contorsions infligées au droit tout le long de la procédure. « C’est à désespérer de la justice togolaise », lâche l’un d’eux, pourtant coutumier des mauvais tours du système judiciaire de son pays.

Casser de l’opposant et ramper devant les oukases du pouvoir

Vacuité des dossiers, improvisation des interpellations ou violation des droits de la défense, tout y passe pour accélérer la criminalisation d’empêcheurs de tourner en rond. Le capharnaüm de la prolongation procédurière sert les également les desseins de cette justice aux ordres. Ici, l’exaspération des accusés et de leurs conseils est balayée d’un revers de la main et le feuilleton d’une descente aux enfers peut se poursuivre dans des tribunaux sevrés de la substance du droit. Dans le rôle d’un chef d’orchestre de circonstance Essolissam Poyodi, un Procureur de la République qui s’emmêle les pinceaux et dégaine d’improbables preuves comme des armes de destruction massive : « l’information se poursuit actuellement en toute sérénité par l’interrogatoire au fond des inculpés », se contente-t-il de rappeler face au tollé suscité par la rafle des opposants…une sorte de verdict avant l’heure pour qui connaît les pratiques en vigueur. Une « information » qui aura coûté presque un mois et demie de détention à Agbéyomé KODJO, présenté à cor et à cri comme le cerveau de l’incendie des marchés. D’autres malheureux croupissent encore dans les cellules de la gendarmerie sans savoir quels lendemains l’appareil leur réserve. Et comme pour compléter le tableau d’une institution judiciaire décrédibilisée, le statut d’inculpé équivaut, dans le contexte, à un ticket première classe pour une variété de supplices : « c’est la honte, ce qui se passe là-bas », raconte l’ancien Premier Ministre, en précisant avoir été l’objet de tortures physiques et morales. Commentaire du Procureur de la République : « vous parlez de gens qui ont été torturés moralement et physiquement. Là, vraiment, je ne sais que vous dire, mais il ne faut pas avoir honte de le dire : certains agents, pour peu de choses s’énervent et pensent qu’il faut insulter, qu’il faut dire ceci ou cela… » De la part du personnage, le propos est presque une reconnaissance de la réalité de traitements dégradants infligés aux détenus dans le cadre de la procédure. Quelques mois plus tôt, dans le cadre d’une affaire de coup d’Etat et impliquant des membres de la famille présidentielle, des actes de torture avaient été évoqués en plein procès. La Commission nationale des droits de l’homme (CNDH), mise sur le coup avait conclu à la réalité de ces actes. Après avoir, en vain tenté de dénaturer le rapport de la CNDH, et menacé son président (aujourd’hui exilé en France), le pouvoir a dû se résoudre à voir étaler dans la presse, les prouesses de ses « techniciens du supplice ». Les auteurs pourtant connus de ces actes et cités par d’anciens détenus courent toujours les rues, démentant l’empressement proclamé du procureur à « s’occuper de ces situations »

Rôle de tondeuse et de filtre politique

A coup de procès politique et de mises en cause arbitraire d’opposants, la justice togolaise a remplacé « le couperet des anciennes solutions radicales », selon le mot d’un leader politique, aujourd’hui retiré des affaires. Lui aussi s’est frotté aux rugosités de l’appareil judiciaire togolais. Il n’hésite pas à confirmer le rôle de tondeuse et de filtre politique qui lui est assigné. « J’imagine très bien, ce par quoi Agbéyomé KODJO a dû passer ; derrière ce déploiement de brimades et d’humiliations, c’est le pouvoir qui tire les ficelles et désigne les cibles », analyse-t-il. La scénarisation de l’enquête, les interpellations, les inculpations et même la solennité des procès, n’ont d’autres buts, selon lui que d’exécuter une mission de mise à l’écart ou de règlement de comptes politiques. La mayonnaise a pris avec de nombreuses victimes, aujourd’hui désabusées et brisées par la violence des coups reçus. Par ailleurs gangrenée par une corruption congénitale, la justice togolaise reste empêtrée dans la fange de son incapacité à se libérer de cette ténébreuse fonctionnalité. L’ancien Premier ministre, lui est d’une autre carrure. C’est la deuxième fois qu’il affronte la machine. Comme à l’issue de leur première rencontre, la tonalité du discours est ferme « je me battrai pour un Togo libre, un Togo juste, je me battrai jusqu’à la dernière goutte de mon sang », annonce-t-il dans la foulée de sa libération. Dopé par l’adversité et la subordination du judiciaire au politique ?

Franck Essénam EKON

 

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