Les psychanalystes appellent cela tuer le père. Sept ans après la mort -bien réelle- de Gnassingbé Eyadéma, son fils et successeur à la tête du Togo, Faure Gnassingbé s’applique à faire disparaître un à un tous les éléments de l’héritage paternel.
Simple rupture ou manoeuvre politique ? Les faits et gestes du numéro un togolais sont très surveillés et commentés. Dossier.
C’est un secret de Polichinelle au Togo. Le président Faure Gnassingbé va créer son propre parti politique. Il souhaite, par conséquent, dissoudre, le Rassemblement du peuple togolais (RPT), le parti paternel. Un acte significatif et radical qui, sept ans après sa disparition, effacera définitivement les traces de quarante années de règne de Gnassingbé Eyadéma. Reléguer le « père de l’indépendance » dans les livres d’histoire ?
Le combat du fils se heurte néanmoins à un certains nombre de blocages. Le congrès qui devait dissoudre le parti cinquantenaire le 28 janvier 2012 a été annulé. Raison invoquée ? Le Secrétaire général du Rassemblement du Peuple togolais, Solitoki Esso évoque la mort de Gachin Mivédor, un des membres fondateurs du parti. Mais des observateurs de la scène politique togolaise pensent que les caciques du parti s’opposent tout simplement à cette dissolution. Et selon une source proche du président togolais, ce dernier refuserait l’idée que sa nouvelle formation politique coexiste avec l’ancienne. La cause, les divisions internes au sein du RPT sont trop fortes et maintenir le vieux parti serait une erreur. Ajouter de la division à de la division, voilà qui ne placerait pas le nouveau parti sous les meilleurs auspices.
Banalisation des symbôles du régime
D’autres actes marquent ce désir d’éloignement. Déjà en 2010 lors de sa campagne électorale, Faure Gnassingbé, alors porté au pouvoir par une rocambolesque manipulation en 2005, avait mené sa campagne électorale en n’affichant aucun sigle du parti de son père. Leitmotiv à l’époque : « Lui c’est lui, moi c’est moi ». Plus frappant encore, cette volonté présidentielle detransformé les dates chères à son père et jusqu’à présent célébrées dans le faste.
Faure Gnassingbé, Chef de l’Etat Togolais
Autrefois événement annuel, la fête de la Libération Nationale (voir encadré) est aujourd’hui nettement plus intimiste… Beaucoup plus sobres également les commémorations de l’attentat de Sarakawa ou de l’attaque du 23 septembre 1986. Même l’anniversaire du décès de Gnassingbé Eyadéma se célèbre désormais en toute discrétion.
Rappelons qu’à sa mort, le gouvernement togolais avait décrété un deuil national de deux mois pendant lesquels les services publics étaient en berne. Les exemples sont légion pour illustrer le désir de Faure Gnassingbé de couper les ponts avec les anciennes pratiques du règne de son père. Le fils veut graver à son tour son nom dans les pages de l’histoire du Togo, quitte à éloigner son demi-frère qui était une menace pour son autorité.
Mais ses efforts ne semblent pas rassurer ses adversaires politiques et une partie de l’opinion, à commencer par sa propre famille politique.
Les réactions politiques
Jean-Pierre Fabre : « Monsieur Faure Gnassingbé reconnaît que son père n’a pas fait d’exploit. Il fait pire que son père »
Leader de l’Alliance nationale pour le changement (ANC) née de la scission de l’UFC, Jean-Pierre Fabre se positionne en opposant radical de Faure Gnassingbé. Pour lui, le jeune président n’a jamais rien fait pour se démarquer de son père. Au contraire.
Kafui Adjamagbo Johnson : « Le seul acte radical que doit poser Faure pour marquer la rupture, c’est accepter l’alternance »
Candidate malheureuse à l’élection présidentielle de 2010, Mme Adjamagbo Johnson est membre de la Convention des peuples démocratiques africains (CDPA). Très engagée dans la défense des droits des femmes, elle coordonne le bureau régional de l’ONG Women in Law and Development in Africa (WILDAF). Pour elle, le seul changement, c’est l’alternance politique.
Jean Kissi : «Si on laissait survivre le RPT, on aurait compris que les deux partis s’inscrivent dans deux lignes politiques différentes, et donc il y aurait renouveau »
Jean Kissi, porte-parole du Comité d’Action pour le Renouveau (CAR), une formation de l’opposition parlementaire. Ce parti a plusieurs fois collaboré avec le régime en place et est considéré comme une formation de l’opposition modérée. Pour lui, on change juste l’habillage.
« Le nouveau-né aura à souffrir des velléités des anciens membres »
De tous les actes marquant une volonté de rupture avec le régime de son père, la création d’un nouveau parti par Faure Gnassingbé fait couler beaucoup d’encre et de salive. Mais le président togolais pourra-t-il facilement créer « son » parti sans dégâts sur la scène politique togolaise ? Le nouveau parti sera-t-il crédible ?
Des explications avec Daniel Lawson-Drackey, éditorialiste et politologue togolais.
Ce n’est un secret pour personne que Faure Gnassingbé est en train de créer son parti politique. Pourra-t-il le faire sans ambages ?
Sincèrement, je crois qu’il va avoir des difficultés pour mettre en place son nouveau parti politique, parce qu’il est issu d’une formation politique héritée de son père. C’est ce parti qui l’a emmené au pouvoir il y a 7 ans. Aujourd’hui, il ne pourra pas s’en défaire aussi facilement. Soit, il recompose avec les membres de l’ancien parti, et là c’est juste un changement de nom ; soit il crée un nouveau parti avec ses amis d’aujourd’hui et ça va faire beaucoup de dégâts, aussi bien dans la nouvelle formation que dans sa famille politique d’hier.
Qui sont ses amis d’aujourd’hui et pourquoi un nouveau parti ?
Il y a pas mal de militants de l’opposition qui ont rejoint le président Faure Gnassingbé. Mais ils disent clairement ne pas être du RPT et ne soutiennent que les actions du président. Mais ce n’est pas pour autant qu’ils vont pousser le chef de l’état à s’éloigner de ses compagnons d’hier et de ses anciens mentors. Le problème qui se pose c’est que le RPT est un parti vieux, bien enraciné et assis sur l’armée togolaise.
Le jeu politique au Togo est souvent faussé par cette armée. Donc le jeune président ne pourra pas se défaire d’un parti aussi puissant. Ce parti pourrira lui-même de l’intérieur, mais on ne peut pas le pousser vers la sortie, surtout par des gens qui étaient les adversaires d’hier. Or tous ceux qui veulent voir le RPT disparaître viennent d’autres partis. Et c’est ce qui doit faire réfléchir parce que ceux qui l’ont conduit au pouvoir ne se laisseront pas débarquer aussi facilement.
Ce parti sera-t-il crédible ?
Ce nouveau parti n’a pas un avenir aussi radieux qu’on voudrait car sa création va faire des dégâts au sein de l’ancienne et de la nouvelle formation, déjà que les relations entre les amis d’aujourd’hui et ceux d’hier sont conflictuelles. Le nouveau parti sera une émanation de l’ancien. Donc les pratiques et les habitudes anciennes vont rester. Ce parti ne sera pas crédible et l’histoire togolaise le démontre. Dans les années 60 au décès de Sylvanus Olympio, ses anciens collaborateurs avaient cru en Eyadema et s’étaient ralliés à lui. Mais vous connaissez la suite de l’histoire.
Aujourd’hui le contexte est différent. Faure Gnassingbé n’est pas venu du néant. C’est un parti qui l’avait investi et ce parti existe encore. Et le nouveau-né aura à souffrir des velléités des anciens membres parce que les anciens mentors seront laissés sur le carreau et font faire la guéguerre aux membres du nouveau parti.
Le nouveau parti va-t-il redynamiser le paysage politique togolais ?
C’est possible. Parce qu’il y a des gens de bonne volonté qui n’attendent que la nouvelle formation pour se mettre dans les rangs. Ces personnes ont cru en lui et veulent être avec lui sans avoir à recevoir d’ordre des caciques de l’ancien régime. Le problème qui va se poser c’est qu’il n’y a pas eu de préparation préalable pour l’avènement du nouveau parti. Aujourd’hui, c’est vrai que ce parti va insuffler une nouvelle dynamique, mais l’effet contraire peut aussi se produire.
Marthe Faré TV5