J’ai bien écrit, dans On joue la comédie « église jolie ! jolie ! ». Mais les comédiens de la Troupe nationale togolaise, jouant les primitifs, ceux qui ont créé ( joué pour la première fois) la pièce en 1977, à Lagos, au Festival mondial des Arts et de la culture négro-africains, dans leur propension à l’autonymie que j’aimais et encourageais, car ce sont eux aussi des créateurs comme moi, prononçaient « églidje zoli ! zoli ! ». Ma phrase était : « Merci papa qui fabriquez…église jolie jolie… ». La leur était. « Meloussi papa qui fabrouqué eglidje zoli ! zoli ! ». Cette traduction en français « petit nègre » augmentait la distance et faisait éclater l’humour. Évidemment, le public riait à gorge déployée, sauf celui devant lequel nous avons joué une fois à Angers en 1979, tendu, presque ankylosé par le problème de l’apartheid en Afrique du Sud.
Une église jolie !jolie !, jolie ! j’en ai vu une un jour sur l’Île de Gorée au Sénégal, comme je l’ai écrit dans Le Médicament à quelques pas seulement des forts portugais et hollandais, non loin de ce que l’on appelle la « Porte du non-retour » , par laquelle les hommes enchaînés passaient l’un après l’autre , le front forcément courbé, n’ayant pas d’autre choix que d’aller là où les négriers armés les conduisaient ou de se jeter à la mer pour mourir noyés. Elle est vraiment belle, cette église et les prières qui y étaient dites avant le départ de la cargaison humaine vers le nouveau monde, ne pouvaient que contribuer au développement de ce commerce qui a enrichi les négriers et partant tout l’Occident.
Ce que j’écris en riant, un historien des missions, Ype Schaaf, l’écrit très sérieusement
« Par ailleurs, les produits d’exportation les plus intéressants ne sont plus l’ivoire ou même l’argent, mais les esclaves. Et bien que voler des êtres humains soit en contradiction avec le message chrétien, le monastère de Luanda est propriétaire de 12000 esclaves. Lorsque commence le commerce des esclaves entre l’Angola et le Brésil, où se développent de nouvelles plantations, un siège en pierre est construit sur le quai de Luanda, afin que l’évêque puisse, assis, donner sa bénédiction à ceux qui partent. Entre 1536 et1836, à peu près 5000 esclaves passent chaque année par le port de Luanda. Les Hollandais se battent avec les Portugais pour les meilleures places de ce marché. Ils sont calvinistes, de sorte qu’un évêque d’Angola se plaint en 1619 au pape des livres hérétiques que les marchands hollandais répandent parmi les païens á partir du fort de Padro de Pinda. »
Si je voulais continuer à rire, je poserais la question de savoir si cette bénédiction de l’évêque, après être répandue en flots sur les négriers, rejaillissait, par quelques petites gouttes sur les esclaves qui ne mouraient pas pendant la traversée et arrivaient à bon port pour être revendus, autant que possible bien portants et à de bons prix aux propriétaires des plantations de canne à sucre, de coton entre autres produits.
Mais, je veux poser la question sérieuse de savoir si, de tous temps, les hommes d’église ont autorité pour tout bénir, les cargaisons d’esclaves aussi bien que les pouvoirs oppresseurs de pauvres, de populations affamées croupissant dans la misère.
J’ai trouvé cette phrase dans un livre et il me plaît de la méditer avec mes lecteurs.
« Nous insultons les pauvres, prêche Grégoire en pleine église,…nous augmentons la violence que nous leur faisons ….Quel est le soldat qui se contente de sa solde ? Quel est le magistrat qui ne s’adonne à la rapine ? (Hom.63). Les pauvres sont les frères de Dieu.( Hon.4) .
C’est bien sûr, une citation tirée de l’homélie d’un évêque de 1347 qu’Olivier Clément nous livre ici. En ce qui me concerne, j’en tire la conclusion que si « les pauvres sont les frères de Dieu », la pire des insultes ( la pire des violences )que l’homme puisse faire á l’homme est celle faite aux gens sans défense, sans moyens…ceux qui n’ont rien.
Je voudrais, à ce propos, revenir à la description des monuments, des sculptures de Munich qui doivent nous faire méditer. Non loin de celle dont j’ai parlé dans mon dernier article intitulé « Le retour de Klatcha a », près de la place de La Croix Rouge ( Rotkreuzplatz ), en est érigée une autre représentant une figure christique : au bord d’un puits, comme le lieu où Jésus rencontra la femme samaritaine et lui prêcha la bonne nouvelle, lui promettant de lui donner l’eau de la vie éternelle qui ne tarit jamais ( Jean 4 : 1 à 42), un moine, les pieds nus, le crâne tonsuré, assis en amazone sur un âne, brandissant une croix, la capuche au dos, portée comme une charge, c’est-à-dire une responsabilité…image ou icône de d’humilité, de simplicité, de pauvreté… (St. Winthir-Brunnen, œuvre réalisée par Ursula Rudolf Wachter en 1955 ). On ne peut évidemment pas exiger de tous nos hommes religieux de se conformer à l’image de ce moine en bronze chromé vert, mais nous n’avons aucun doute en ce qui concerne le message qu’il véhicule et il ne viendrait à l’idée de personne d’imaginer que la croix ainsi brandie par lui servirait à bénir les grands et les puissants de ce monde, marchands d’esclaves ou de canons, détenteurs de pouvoir totalitaire…Cette croix est celle de l’homme battu, écrasé par le sort, l’homme qui souffre, gémit, croule, tombe aux mains des brigands, comme celui de la parabole du Bon Samaritain, évoquée dans la dernière lettre pastorale des Evêques du Togo, adressée au peuple et aux gouvernants togolais en avril.
Mon ami Alain Ricard (paix à son âme) a écrit dans son livre ultime : « Quand le Pape François dit : Finito il Carnevale, en refusant d’enfiler les chaussures rouges de la noblesse romaine, il touche juste ! »
L’acte ainsi posé par le Pape actuel est fort et significatif, aussi fort que la leçon de l’image du moine de la Rotkreuzplatz de Munich : ce n’est pas à l’imitation des grands et des nobles que doivent nous conduire nos pieds, encore moins à leur secours, à leur gloire, à la consolidation de leur domination sur la masse, mais au service des humbles et des pauvres et pour qu’ils s’identifient à nous, nous devons nous identifier à eux. Le faste trompeur du carnaval, c’est-à-dire le trompe-l’œil n’est pas seulement à mettre de côté, mais doit être dénoncé, comme une insulte à l’intelligence de l’homme simple et humble. Je parlais d’Alain Ricard, mon ami depuis plus de quarante ans (« quarante ans de dialogue », disait-il), depuis qu’il était devenu mon professeur, puis mon directeur de thèse, puis mon ami. La première fois que j’ai discuté avec lui religion, lui catholique qui voulait le demeurer et qui l’est demeuré jusqu’á la mort, mais n’en remettait pas moins en cause certaines pratiques et certains dogmes, il m’a avoué, déjà dans les années 70 que ce qui le gênait dans la religion catholique, c’était la richesse. Est-ce pour cela que, même dans son ultime livre, il écrit : « Pour le bourgeois de la fin du XXe siècle, catégorie à laquelle j’appartiens, la religion semble avoir disparu de la palette des références intellectuelles et morales »
Le Pape François, sans chaussures rouges fait un pas de plus que Jean-Paul II qui déclarait déjà, en 1994 : « …des expressions telles que « Souverain Pontife » » Sainteté », « Saint-Père » n’ont que peu d’importance ».
Faut-il rappeler qu’avant les papes, chaque empereur romain païen portait déjà le titre de « pontifex maximus » et que Constantin, considéré par certains comme un grand bienfaiteur et le protecteur du christianisme, le treizième apôtre, n’était pas du tout un saint, comme l’écrit le philosophe Frédéric Lenoir, dans un ouvrage dans lequel il passe en revue les différentes christologies qui se sont affrontées, parfois très farouchement au cours de l’histoire?
Pourtant, Constantin, (le treizième apôtre) n’a rien d’un enfant de cœur ni d’une âme charitable. Roi guerrier, voire sanguinaire, impitoyable envers ses ennemis, il a notamment fait assassiner son fils aîné, Crispus, puis son épouse Faustia, ébouillantée dans son bain pour des raisons qui nous sont inconnues. Les Pères de l’Eglise qui l’ont rapporté, notamment Eusèbe de Césarée, se sont abstenus de toute allusion aux passages les plus tumultueux de sa vie, ainsi qu’à la cruauté dont il a su faire montre. »
Je ne m’étendrai pas en comparaisons avec notre temps et en allusions à certaines cruautés dont sont capables des hommes de pouvoir dans le monde, en Afrique et dans notre pays pour ne pas provoquer une polémique inutile.
Dans la dédicace que m’a faite Ricard de son livre, comme il fait pour chacune de ses parutions depuis 1971, il a daigné m’écrire : « Nestor m’a fait visiter quelques-unes des pièces de notre demeure commune… ». Quelle est cette demeure commune à Ricard et moi, adversaires de toutes les exclusions, qu’elles soient religieuses ou pseudo-nationalistes ? Ces pièces que nous avons visitées ensemble ne sont pas seulement celles de la théologie, celles du magistère et des dogmes, différents chez le catholique qu’il était et chez le protestant que je suis, né dans une famille pagano-chrétienne, d’abord baptisé catholique, puis devenu, par choix personnel, membre des Assemblées de Dieu. Ce sont aussi les pièces de l’engagement social et politique envers les plus pauvres, les déshérités, les innocents persécutés, les affamés de pain et de liberté, l’engagement de ceux dont on est en droit d’attendre une grande pensée qui fasse évoluer l’humanité :
« Aucune grande pensée morale ne pouvait sortir de races abaissées par un despotisme séculaire et accoutumées à des institutions qui enlevaient presque tout exercice à la liberté des individus »
C’est ce christianisme porteur de grande pensée humaine qui élève les peuples que je retrouve dans la sculpture du moine de la Rotkreuzplatz de Munich.
Mais, dois-je le dire, je le recherche en vain dans la messe, le carnaval auquel s’est livré Monseigneur Denis Komivi Dzakpah le mercredi 19 octobre 2016.
On pourrait évoquer, pour défendre l’attitude de Monseigneur Dzakpah célébrant une messe pour louer et bénir un exploit « historique » du régime, le principe « biblique » selon lequel « les autorités qui existent ont été instituées par Dieu »d’après Romains 13, 1. Mais c’est un théologien catholique, Claude Geffré o.p. qui me semble avoir la meilleure réplique sur ce point: « Il faut parfois prêcher contre un texte du canon des Écritures pour que la Parole de Dieu soit annoncée comme une bonne nouvelle de salut et de libération »
Monseigneur Dzakpah, apportait-il, le mercredi 19 octobre aux Togolais, une bonne nouvelle de salut et de libération, en tenant compte de ce qu’ils endurent sous ce régime depuis qu’il existe, comme Jésus à la femme samaritaine, ou prêchait-il autre chose ?
Je n’oserais même pas inviter Monseigneur Dzakpah, un homme intelligent et très lettré à tenir compte au moins du principe de la séparation de l’Église et de l’État, admis, sinon pratiqué dans toutes les républiques laïques et modernes du monde.
Sénouvo Agbota ZINSOU
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