Quelles que soient sa sagesse et sa qualité, aucun homme n’est indispensable à son peuple : Réaction aux écrits de M. Franklin Nyamsi
Cher Franklin,
C’est avec plaisir que je t’ai lu sur Lefaso.net. Cela me rappelle nos débats de militants à Poitiers. J’ai eu souvent le même plaisir à lire ta production prolifique sur les questions politiques du continent sur la toile. Nous avions raison de penser que les frontières artificielles ne reflétaient pas la totalité de la réalité culturelle et politique de l’Afrique. Tes écrits courageux sur le pouvoir à vie de Paul Biya ont réjoui le panafricain que je suis. Ton patriotisme panafricain face aux différentes crises africaines aussi.
Quelles que soient sa sagesse et sa qualité, aucun homme n’est indispensable à son peuple : Réaction aux écrits de M. Franklin Nyamsi
J’adhère à ton idée d’un droit de regard de tout africain sur les problèmes socio-politiques survenant dans n’importe quel Etat du continent. C’est pourquoi, j’ai été interpellé par tes articles sur la « crise » au Burkina. Pour nous autres de la diaspora, penser les problèmes et les maux africains demeure la meilleure contribution à la construction d’une Afrique libre, digne et prospère.
Je constate cependant à te lire, que tu es à fleur de peau dès que le débat achoppe sur ton ami Guillaume Soro. Je ne dénie pas le droit à intellectuel d’avoir des amitiés ou des affinités idéologiques avec des politiciens. Comme toi, j’exècre les intellectuels porte-flingue. Je ne puis donc t’accuser d’en être. Ce que font plusieurs de tes lecteurs sur Lefaso.net. Il est vrai qu’on peut parfois prêter le flanc à ces critiques, emporté qu’on est par la passion. Je te sais capable de faire la différence entre ce que l’on doit à un mentor politique et ce qu’on doit à la Raison.
J’ai la faiblesse de penser qu’à force de faire feu de tous bois, tu en viens à oublier la spécificité du penser philosophique. Le philosophe doit chercher à se situer au-delà de l’invective, des attitudes vexatoires, des insultes, de l’opinion pure, même militante. Il doit privilégier l’analyse, la force de l’argument. Or, au-lieu de répondre à Madame Sérémé, et surtout à M. Étienne Traoré, intellectuels et acteurs politiques du Burkina depuis des décennies, tu préfères les attaquer ad hominem, les insulter proprement.
Sache que M. Traoré, avant d’être ce que tu appelles « le porte-flingue de la pensée identitaire burkinabè » – ce qui est bien excessif et, comme tu le sais, tout ce qui est excessif perd sens – a été depuis 1983, sous Sankara, ce héros mort mais héros quand même, et surtout depuis un certain 15 octobre 1987, un des penseurs du système Compaoré. Et si Etienne Traoré, Mme Sérémé, Roch Marc Christian Kaboré, Salif Diallo ou Simon Compaoré, dénoncent, aujourd’hui ce régime comme étant néfaste, c’est qu’ils le connaissent mieux que quiconque. Comme dit le proverbe burkinabè : « Si un crapaud sort de l’eau trouble et vous dit que le caïman a mal aux yeux, vous ne pouvez que le croire ».
Insulter les aînés, quelques soient leurs péchés, les traiter d’alcooliques, de lunatiques, de cas psychiatriques, contester leur qualification ne fonde pas une pensée et ne constitue pas un argumentaire. J’ai été un étudiant de M. Étienne Traoré. Je le connais bien. C’est une raison de n’être pas d’accord avec tes outrances à son égard. Même si cela n’aurait rien changé s’il avait été un inconnu.
Le débat intellectuel, a fortiori philosophique, exige certaines règles. Le respect de l’interlocuteur me semble la première d’entre elles. Et j’ai l’impression que tu n’observes pas toujours cette règle élémentaire. Me trompai-je ? La philosophie en tant que dialogue, dialectique, nous enseigne avant tout qu’entre deux avis la vérité est dans l’entre-deux, un peu dans chaque avis. Il y a donc également de la fausseté dans chacun des avis. D’où l’importance d’observer une certaine humilité dans nos prises de positions. Personnellement, je m’impose un principe dans mes débats sur la toile : ne rien dire aux gens que je ne puis leur dire en face.
M. Étienne Traoré a raison de dire que la médiation ivoirienne conduite par M. Guillaume Soro est mal venue. Comme nous interroge fort à propos le proverbe Wolof : « quand tu accompagnes un diarrhéique vers les toilettes, si lui ne court pas, pourquoi courrais-tu ? ». Une médiation est nulle et non avenue dans ce qui arrive au Burkina. On n’est pas dans la guerre civile comme en Côte d’Ivoire ou au Mali.
Lorsque des militants d’un parti en démissionnent, c’est qu’ils ne sont plus d’accord avec la ligne du parti. C’est même très sain pour la démocratie que cette clarification se fasse enfin au CDP. Cela arrive dans la vie des partis, sous tous les cieux et tous les jours. Au Sénégal et en Côte d’Ivoire, ce sont des gens sortis de leurs partis d’origine qui sont aujourd’hui au pouvoir. Quoi de plus normal. Au Burkina également plusieurs leaders de l’opposition sont issus du parti au pouvoir. C’est le cas du chef de fil de l’opposition et de beaucoup d’autres. Il n’y a eu aucune médiation à l’époque de son départ. Pourquoi cette agitation aujourd’hui ? On s’affole en plus pour rien puisque le CDP considère ces démissions comme un non événement.
Bien de tes arguments ne résistent à la critique et sont contestables au regard de l’histoire politique de l’Afrique et au regard de tes propres prises position antérieures sur d’autres crises de pays africains. Tes positions sur la situation politique camerounaise notamment. Peux-tu combattre le pouvoir patrimonial à vie au Cameroun, en Côte d’Ivoire sous Gbagbo, fustiger des élections verrouillées dans ses pays et défendre, au Burkina, la volonté d’un homme, qui après trente longues années d’un pouvoir sans partage, s’apprête à changer les règles du jeu afin de se maintenir au pouvoir ? Le recours au référendum claironné par toi, après Guillaume Soro, n’y change rien. Il n’est pas une panacée.
Dans aucune vraie démocratie on ne change pas la constitution, les règles du jeu, à la veille d’une élection. Souviens-toi que M. Compaoré a été obligé d’en revenir à la limitation des mandats présidentiels suite à des manifestations qui ont failli l’emporter. Il aurait dû s’appliquer cette limitation mais a refusé. C’est l’appareil judiciaire installé par son régime qui a eu le dernier mot. Appareil inopérant quant il s’agit de juger les crimes de sang dont les morts dorment, par dizaines, dans les placards du régime mais qui retrouve sa vigueur à dire le droit dès qu’il s’agit de tripatouiller la constitution. En 2010, M. Compaoré et les thuriféraires de son régime disaient à qui voulait les entendre que la réforme constitutionnelle limitant les mandats, n’était pas rétroactive et autorisait M. Compaoré à faire un dernier mandat. Ce mandat se terminant, ils crient au crime lèse-peuple à l’évocation de cet article 37 de la Constitution.
La limitation des mandats serait antidémocratique. L’est-il aux Etats-Unis, en France, en Russie ? Dans nos contrées, elle est une précaution précieuse pour éviter que des prédateurs politiques ne confisquent l’appareil d’Etat au bénéfice de leur clan. C’est un verrou qui permet de préparer l’alternance pacifiquement. Ce qui n’empêche pas le parti au pouvoir de préparer sa propre relève. Aucun homme n’est indispensable à son pays, Franklin. Les cimetières sont peuplés de ces prétendus hommes providentiels. M. Compaoré a-t-il préparé un dauphin ? Si non, pourquoi ? La réponse à ces questions explique sa volonté tenace à tripatouiller la constitution.
Tu affirmes, à l’instar de M. Soro, que le Burkina est un havre de paix. Mais sais-tu quelle est la réalité sociale-économique et politique du pays ? L’indice du développement humain y a-t-il significativement évolué depuis l’avènement de M. Compaoré ? Tous les Burkinabè bénéficient-ils de trois repas par jour et arrivent-ils tous à se soigner et à envoyer leurs enfants à l’école ? Si tu réponds à l’affirmative à ces questions, je te suivrai où tu veux.
Tu parles de la popularité du président Compaoré, car il aurait assuré un rayonnement diplomatique exceptionnel au pays, rendant pour ainsi dire les burkinabè fiers de lui. Soit dit en passant, la notoriété du Burkina Faso est plus ancienne. Il était un temps où il faisait bon se dire burkinabè dans plusieurs pays étrangers, sous la Révolution..
A partir de quoi proclames-tu M. Compaoré « leader bien Aimé » de son peuple ? Des sondages d’opinion ? Des élections triomphales ? En témoignerait son élection à 80 % en 2010. Ce qui est vrai. Mais es-tu allé voir de près les chiffres des élections Burkinabè sous la présidence Compaoré ? Je ne prendrais que l’exemple de sa première élection en 1991 et celui de l’élection controversée déjà de 2010.
Sache qu’en 1991, lors des premières présidentielles, boycottées par l’opposition, sur les 3 433 331 électeurs inscrits sur les listes électorales, seuls 868 038 d’entre eux sont allés voter. Une participation de 25 %. M. Compaoré n’ayant pas remporté la totalité des votants, on peut dire qu’il n’a été élu président qu’avec environ un bon huitième des électeurs burkinabè. Vois-tu, il n’y a pas de quoi pavoiser. S’agissant des élections de 2010, là aussi les chiffres sont parlants. Sur 7 millions d’électeurs, 3 millions se sont déplacés pour s’inscrire sur les listes et 55 % de ces inscrits sont allés voter. Avec ses 80 % M. Compaoré remporte certes les présidentielles mais ramené à l’ensemble du corps électoral l’élu n’obtient même pas le quart de l’électorat. Pour comparaison, les dernières présidentielles en Côte d’Ivoire et au Sénégal ont mobilisé environ 80 % des électorats respectifs de ces pays. Il faut donc savoir raison garder dans les proclamations à l’emporte-pièce.
Concernant la manifestation du samedi 18 janvier, tu prends un risque inconsidéré à insinuer que c’était un échec pour l’opposition. C’est même une imprudence fautive de vouloir disputer ces chiffres. Les gens sont sortis nombreux, c’est évident et c’est l’essentiel. C’est un bon point d’ailleurs pour le régime. En effet, en Côte d’Ivoire à côté et au Cameroun que tu connais, l’opposition ne peut pas sortir marcher dans la rue. S’agissant des chiffres, rappelle-toi que même dans des pays installés depuis des siècles dans le système démocratique, ils ont toujours été objet de dispute.
Tu insinues aussi que l’opposition a peur d’aller au référendum, minoritaire qu’elle serait. Bien sûr qu’elle se méfie de la solution référendaire, qui n’a pas lieu d’être d’ailleurs puisqu’on ne révise pas la constitution n’importe comment et n’importe quand. As-tu déjà vu en Afrique une élection qui a assuré une transition sans bras de fer post-électoral ? J’en veux pour preuve le cas de la Côte d’Ivoire et du Sénégal, du temps de Diouf comme de Wade. Si on s’en tenait au plan strict du droit formel, Gbagbo a gagné les élections de 2011, même si les urnes ont désigné un autre ; puisqu’il a été proclamé par la juridiction suprême comme président réélu. Ce qui est légion dans les Etats africains. Pas une seule fois un conseil constitutionnel n’a invalidé une élection sous nos latitudes arguant d’irrégularités constatées. Cela signifie-t-il pour autant que toutes les élections ont été propres et démocratiques ? Penses-tu sincèrement qu’au Burkina, au Togo, au Gabon, au Zimbabwe, au Congo Brazzaville, en RDC, en Côte d’Ivoire, toutes les élections proclamées ont été transparentes de bout en bout ? Si une seule de ces élections a pu être entachée, cela sème un doute sur toutes, n’est-ce pas ?
Pour finir, je pense que M. Compaoré, s’il est un puits de sagesse comme toi et ton mentor le proclamez, serait bien avisé de préparer le pays à continuer son histoire sans lui. Qu’a-t-il d’autre à démontrer après 30 ans de règne sans partage sur notre pays ? A moins que son objectif soit de finir comme d’autres chef d’Etat à vie du continent : passer de héros au statut de tyran prédateur (Mugabé, Khadafi), être obligé un jour de mourir en exil (Amin Dada, Bokassa, Mobutu..) ou pire encore réaliser la funeste prophétie pour son peuple : « Après moi le déluge » (Mobutu, Eyadema, Houphouët Boigny).En cela tous ceux qui encouragent le Président Compaoré à se maintenir au pouvoir ne sont ni des amis du peuple burkinabè, ni des amis de l’Afrique.
Mes amitiés panafricaines.
David Sawadogo
Pédagogue
France