ADO s’est auto-mandaté pour jouer au monsieur bons offices au Togo, lui qui, au demeurant, compte parmi les amis de Faure
La Commission électorale nationale électorale (CENI) a annoncé le mardi 28 avril dernier les résultats provisoires de la présidentielle togolaise. Et la surprise n’a pas eu lieu. Car le président sortant, Faure Gnassingbé, a obtenu 58,75% des suffrages contre 34,95% pour Jean-Pierre Fabre.
La grande question en l’état actuel des choses est de savoir si les résultats ont été calculés sur la base de l’examen de l’ensemble des procès-verbaux et ce, conformément à ce qui avait été convenu par la CENI. La réponse est négative, si l’on en croit le vice-président de la CENI, Francis Pedro Amouzou.
Les résultats ont été annoncés alors que sur l’ensemble des 42 procès-verbaux, la CENI n’en avait entérinés en plénière que 15
Ce dernier, en effet, a affirmé, furieux, que le président de la CENI a proclamé les résultats sans attendre que soit examiné l’ensemble des 42 procès-verbaux des Commissions locales. Il estime, par ailleurs, qu’il a été mis devant le fait accompli. C’est pourquoi, conclut-il, il a pris la décision de claquer la porte de la CENI. Dans la même veine, un membre du comité de suivi a apporté la précision selon laquelle les résultats ont été annoncés alors que sur l’ensemble des 42 procès-verbaux des commissions locales, la CENI n’en avait entérinés en plénière que 15. Si tous ces reproches sont avérés, le moins que l’on puisse dire est que les choses n’ont pas été faites selon les règles de l’art. Bien au contraire, elles semblent avoir été agencées de manière à empêcher l’alternance démocratique au Togo et à permettre de ce fait à la dynastie Gnassingbé de se perpétuer.
A l’appui de cette hypothèse, l’on peut relever les faits troublants suivants. Il y a d’abord, en amont de la tenue du scrutin, le refus catégorique du pouvoir de prendre en compte les propositions de l’opposition de relire les textes de manière à limiter le mandat présidentiel et à ce que la présidentielle ne se fasse pas en un tour. Ce refus pouvait déjà être décrypté comme un élément précurseur du complot qui se tramait contre l’alternance démocratique au Togo. Joseph Kabila, en RDC, on se rappelle, était aussi passé par là. Et les raisons sont simples. Un éventuel second tour pourrait ouvrir la voie à tous les possibles. Et cela n’est pas de nature à rassurer les satrapes et autres pouvoiristes du continent.
Le deuxième fait troublant qui rend plausible l’hypothèse selon laquelle tout a été mis en œuvre pour maintenir Faure à son poste est lié au caractère précipité qui a entouré l’annonce des résultats. En effet, le président de la CENI, Taffa Tabiou, a pris la liberté de prendre de court tout le monde, y compris son vice-président, pour proclamer les résultats alors que sur l’ensemble des 42 procès-verbaux des commissions locales, seuls 15 avaient été examinés en plénière. Cette façon de faire est, on ne plus, suspecte. Et l’explication qu’il a donnée pour justifier son acte ne résiste à aucune analyse sérieuse. Le président de la CENI, en effet, s’est retranché derrière les recommandations des présidents Ghanéen et ivoirien, John Dramani Mahama et Alassane Ouattara, venus à Lomé le 28 avril dernier, pour exhorter la CENI à se dépêcher afin de rester dans les délais légaux. Mais respecter les délais légaux, peut-on objecter au président de la CENI, ne signifie pas, comme il l’a fait, accélérer le processus d’annonce des résultats au point de brûler l’étape décisive de l’examen minutieux de l’ensemble des 42 procès-verbaux des commissions locales en plénière.
L’on peut comprendre que Jean-Pierre Fabre soit monté au créneau
Le troisième fait troublant est lié à la présence du président ivoirien, ADO, aux côtés de John Dramani Mahama. Autant l’on peut comprendre que le Ghanéen, au regard du fait qu’il est président en exercice de la CEDEAO, puisse assister le Togo pour lui éviter le chaos, autant l’on peut avoir du mal à s’expliquer pourquoi ADO s’est auto-mandaté pour jouer au monsieur bons offices au Togo, lui qui, au demeurant, compte parmi les amis de Faure. Et quand Alassane Ouattara se joint à John Dramani Mahama pour suggérer à l’opposition togolaise de recourir uniquement à la Cour constitutionnelle pour régler les contentieux, l’on peut avoir envie de lui faire observer ceci : êtes-vous sûr que cette institution n’est pas à l’image du Conseil constitutionnel de votre pays à l’époque où il était dirigé par le désormais célèbre Paul Yao N’Dré ? Le Togo de la dynastie des Gnassingbé a de toute évidence son Paul Yao N’Dré.
De ce point de vue, l’on peut être tenté d’affirmer que le déplacement d’ADO à Lomé répond beaucoup plus à sa volonté de sauver son ami Faure, qu’à celle de sauver la démocratie au Togo. Ce faisant, le président ivoirien, ADO, semble rouler pour l’ensemble de tous ceux qui ont intérêt à ce que l’Afrique demeure une naine démocratique. La France, en premier lieu, ne verrait pas cela d’un mauvais œil. Et, en cela, elle est restée en phase avec la philosophie de la France-Afrique initiée dans les années 60 par le sulfureux Jacques Foccart. Pour toutes ces raisons, l’on peut affirmer que la réélection de Faure au Togo s’apparente à un crucifiement de l’alternance démocratique. L’on peut donc comprendre que Jean-Pierre Fabre soit monté au créneau pour la dénoncer, même si dans le même temps, l’on ne doit pas manquer de reconnaître que dans cette situation, l’opposition a aussi sa part de responsabilité. Et cette responsabilité est non seulement liée à la guerre des ego qui fait rage en son sein, mais aussi au fait qu’elle a pris la décision de prendre part à la présidentielle alors que les choses étaient pipées dès le départ.
Le Pays