Depuis peu, Abidjan est devenue « la ville lumière ». Abidjan ‘’la perle des lumières’’ ! Faut le voir pour y croire. Une ville, sinon une commune, notamment celle du Plateau, truffée de jeux de lumières multicolores. De nuit, la ville brille de mille feux et fait presque rêver ! Et pourtant…
Ces lumières eussent-elles beau scintiller, elles ne chasseront pas pour autant l’obscurité soudaine qui s’est abattue sur la Côte d’Ivoire depuis le 11 avril 2011.
Des jeux de lumières dans la ville d’Abidjan pour divertir les ivoiriens ? Un divertissement de mauvais goût pour ces ivoiriens qui ont bien besoin d’autre chose, bien d’autres choses, pour que leur joie soit pleine et entière. Face à cette énième provocation, ils prendront certes leur mal en patience, comme ils ont toujours su le faire depuis le début de la comédie. Une comédie qui dure depuis bientôt huit mois et qui a commencé un certain 21 mai 2011 Yamoussoukro.
Huit mois de patience, pendant lesquels ils ont vainement attendus, scruté l’horizon, écarquillé les yeux, espérant avoir ‘’la solution’’ sur leurs bulletins de salaire, dans leurs paniers, dans leurs poches, dans leurs assiettes, pour eux, pour leurs enfants…, dans leur vie de chaque jour. Huit mois après, que leur sert-on ? Des jeux de lumières ! Alors, doivent-ils en être fiers ou s’en réjouir ? Si non, qu’on cesse de prendre les ivoiriens pour des bambins écervelés.
En cette fin d’année, l’heure est, sans aucun doute, au bilan. Après les durs moments de traumatismes subi du fait de la guerre, l’ivoirien a besoin de paix et de quiétude, mais aussi de bien-être social. Il a surtout besoin, pour l’avenir de son pays, d’un dirigeant qui rassemble, qui réconcilie la Côte d’Ivoire avec elle-même. Un meneur qui le rassure quand à l’indépendance de son pays, qui garantisse sa souveraineté, qui incarne sa liberté et sa dignité. Travailler à cela, c’est travailler aux aspirations profondes du peuple ivoirien. C’est à ce prix et à cette condition seulement que l’on pourra prétendre égayer les ivoiriens en embellissant ça et là les rues de la capitale économique avec des jeux de lumières.
Abidjan « la perle des lumières » la pilule est belle et même alléchante, mais elle sera difficile à avaler. A la veille de l’an 2012, Abidjan est parée de lumières, mais les perspectives à venir sont peu reluisantes. Un quotidien proche du régime en place admet: « La Côte d’Ivoire vit un contexte de tensions multiformes et de troubles en cette fin d’année 2011 ». Au sujet des élections législatives au rabais et combien de fois honteuses, les observateurs étrangers affirment : « L’installation d’une nouvelle Assemblée marque une nouvelle étape dans la normalisation, mais le pays n’est pas pour autant sorti de l’ornière ».
Ainsi, appeler les ivoiriens à admirer des jeux de lumières, alors que la situation du pays reste précaire, c’est aussi les inviter à rêver. Mais le rêve, malheureusement, n’est pas la réalité. Inviter les ivoiriens à un rêve fantasmagorique, quand des rebelles et leurs supplétifs, habillés en treillis sèment partout la désolation en Côte d’Ivoire ; quand la nouvelle armée ivoirienne se confond aisément avec milice tribale, composée essentiellement de combattants venus du nord. Des gens pour qui la discipline, le respect de la hiérarchie, le sens républicain, civique et moral apparaissent comme des mots venus d’une autre planète. Une bande d’assassins et de bandits de grands chemins que l’on tente de fondre dans une armée régulière et professionnelle ! Seul un alchimiste de mauvais aloi peut tenter et créer une telle mixture.
Admirer les figures lumineuses du Plateau, rester en extase devant elles, pendant que tout près, les bourreaux notoires sont protégés et même louangés, c’est à y perdre son bon sens ! Pas besoin pour ces tueurs d’être, ne serait-ce que, député, pour jouir d’une quelconque immunité. Appartenir au camp Ouattara leur suffit, pour ne pas être inquiétés le moins du monde.
« Allez admirer les lumières féériques du Plateau » et même « tombez sous le charme de leurs effets spectaculaires»…
Pendant ce temps… La république de Côte d’Ivoire se mue en une république RDR, trempée jusqu’au cou, dans une sombre politique ethno-régionaliste, où seule la promotion des cadres du nord est de mise et ce, au nez et à la barbe des ivoiriens. Une république qui ne se cache pas d’exercer une justice faite pour sévir dans le camp adverse. Une république dans laquelle celui qui, se dit garant de la sécurité des ivoiriens, les expose, sans scrupule, à la barbarie de sa milice tribale, baptisée FRCI, qui démontre au fil du temps son incapacité à trouver une solution aux défaillances constatées dans l’appareil sécuritaire, cet homme que ses partisans ont pompeusement surnommé ‘’la Solution’’. Celui qui sature Abidjan de lumières alors que ses efforts sont résumés ainsi : « la relance se concentre sur les pôles urbains et ne reflète pas encore suffisamment une volonté politique d’assister prioritairement les régions et les communautés qui ont le plus souffert. » (Cf. Rapport International Crisis Group).
L’idée de ces jeux de lumières sur Abidjan, tout-droit sortie des bureaux du palais présidentiel, ne sont, en effet, ni plus ni moins que des subterfuges dont le nouveau pouvoir use pour gagner du temps et camoufler son incapacité à gérer le pays. Des travaux d’éclats dans la ville d’Abidjan, aux lumières féériques, en passant par les sautes d’humeur dramatiques, appuyées de déclarations tapageuses dans les médias, jusqu’aux feux d’artifices annoncés pour la Saint-Sylvestre…, tout n’est que subterfuge, mystification et piteuse comédie d’un régime aux ordres en pleine déliquescence.
Au vu de ce tableau sombre que présente la Côte d’Ivoire, à la veille de l’an 2012, la question : « Alassane Ouattara est-il l’homme qu’il fallait à la Côte d’Ivoire ? », est tombée comme un couperet et circule en ce moment dans les différentes ambassades, et non des moindres : celle des Etats-Unis qui présente la Côte d’Ivoire à ses concitoyens comme un pays à risque et les met en garde: « (…) des risques de troubles sociaux, d’instabilité politique, de violence et de violations des droits de l’homme sont présents dans le pays (la Côte d’Ivoire ndlr) ».
Même si Ouattara demeure ce président reconnu par « la communauté internationale » ou plus simplement par la France et les Etats-Unis, même s’il s’illustre par son dévouement sans égal à ces occidentaux et s’emploie à préserver son image de marque au grand dam des ivoiriens, tout économiste affairiste qu’il est, les faits sont là et parlent d’eux-mêmes : « La Côte d’Ivoire vit un contexte de tensions multiformes et de troubles en cette fin d’année 2011 ». Mais encore, il faut considérer: «l’ampleur des efforts à faire pour réconcilier les Ivoiriens avec la politique et les institutions démocratiques et parvenir à un consensus national sur les réformes à mener ». Alors que tout devrait aller ‘’comme sur des roulettes’’ en l’absence d’une opposition délibérément mise à l’écart, Alassane Ouattara sue à grosse gouttes pour diriger le navire ivoirien, confronté aux dures réalités de l’exercice du pouvoir. L’homme est surtout en proie à des luttes intestines. D’abord dans son propre camp, contre ses alliés d’hier, le PDCI de Konan Bédié, ensuite contre le camp Soro et enfin contre les ivoiriens.
Des ivoiriens qui ont pour l’instant choisi d’observer, d’écouter et de regarder Monsieur Alassane Ouattara battre et danser tout seul son tambour. Après quoi, ce sera leur tour de s’exprimer. Quand le moment sera venu, quand s’achèvera l’illusion « d’Abidjan la perle des lumières ».
Marc Micael