Le témoin clé du procureur contre l’ancien président Laurent Gbagbo a déposé pendant neuf jours à La Haye devant la Cour pénale internationale (CPI). L’ancien chef d’état-major de l’armée ivoirienne, Philippe Mangou, a reproché à demi-mot à l’ancien chef suprême des armées sa gestion des Forces de défense et de sécurité (FDS). Tout en affirmant que l’ex-chef d’Etat n’avait pas sa place à La Haye.
Le général quatre étoiles de l’armée ivoirienne, Philippe Mangou, se veut reconnaissant. « Je sais où j’étais et je sais où le président m’a amené », admet-il sans difficulté à la barre des témoins de la Cour pénale internationale (CPI). En 2004, Philipe Mangou était nommé chef d’état-major de l’armée ivoirienne par Laurent Gbagbo. Jusqu’au 30 mars 2011. L’officier se réfugie alors à l’ambassade d’Afrique du Sud jusqu’à l’issue de la crise : l’arrestation de Laurent Gbagbo dans sa résidence, le 11 avril 2011. « J’avais rendu compte au président Laurent Gbagbo et je lui ai dit que le combat ne méritait pas la peine d’être mené », il était « informé que je ne voulais plus me battre ». Et pas seulement par manque de munitions, précise-t-il.
Un commandement parallèle
Présent à la barre des témoins de la CPI du 25 septembre au 4 octobre, l’ex-chef d’état-major, aujourd’hui ambassadeur de la Côte d’Ivoire au Gabon, assure avoir lutté de toutes ses forces « pour qu’on ne voie pas le président assis ici aujourd’hui ». « Ce n’est pas sa place, assène-t-il à la barre des témoins, pas sa place ». Sa reconnaissance est limitée.
Le témoin clé de l’accusation contre Laurent Gbagbo aura apporté quelques éléments à la fragile thèse du procureur. Celle de l’existence d’un commandement parallèle au sein des forces ivoiriennes, lors de la crise post-électorale de 2010 et 2011 en Côte d’Ivoire, mis en place pour permettre au chef d’Etat de conserver le pouvoir. Philippe Mangou a bien réglé ses comptes avec ses pairs officiers, montré des différences de traitement entre les forces de sécurité, mais n’a pas pour autant apporté la preuve d’une armée parallèle savamment planifiée.
Sous les questions du procureur Eric Mc Donald, Philippe Mangou évoque une à une les forces de sécurité. Le commandant de la Garde présidentielle, le général Bruno Dogbo Blé « voyait tout le temps le président ». Et « quand vous avez Dieu et l’ange, les regards se tournent vers Dieu », dit Phillippe Mangou, un brin énigmatique. Gbagbo dans le rôle de Dieu ? lui fait néanmoins préciser le juge président, Cuno Tarfusser. Une manière de faire porter la responsabilité des violences sur le général Dogbo Blé ? Le commandant de la Garde présidentielle « s’est vu pousser des ailes », en fréquentant le président et les ministres, dont il doit assurer la protection. « Je crois que c’est la fonction qui l’a mis sur un piédestal », assure-t-il. Le propos reflète l’amertume de l’officier, mais le ton du récit est ferme.
Le CECOS dépassait le cadre de sa mission
C’est Philippe Mangou qui, en 2005, a mis sur pied le Centre de commandement des opérations de sécurité (Cecos), dirigé par le général Georges Bi Poin, un autre témoin de l’accusation. Un instrument de lutte contre le grand banditisme qui, en 2010, « si on se réfère au décret de création, n’était plus dans le cadre de sa mission ». Philippe Mangou commente à la barre un document portant sur des réceptions d’armes au Cecos. Des armes de guerre, explique-t-il, qui n’avaient pas leur place à Abidjan où était posté le Cecos, et alors que son armée n’avait, elle, pas de moyens, peu de munitions, et un besoin urgent de recrues.
Il reproche aussi aux chefs de la gendarmerie et de la police de ne pas avoir « joué franc-jeu ». Le général Kassarate notamment, qui lui aussi a témoigné à La Haye, a refusé de lui prêter des effectifs conséquents. Lorsqu’il demande à Laurent Gbagbo de remplacer les deux officiers, le chef de l’Etat lui répond n’avoir personne d’autre « sous la main et compte tenu de la période, il faut continuer ».
Lorsque Philippe Mangou évoque le général Bakayoko, à la tête du Centre de commandement intégré (CCI), créé suite à l’accord de Ouagadougou de 2007, et réunissant forces ivoiriennes à « nos frères » des Forces nouvelles, alliées d’Alassane Ouattara, c’est pour rappeler un nouvel épisode. Le général Bakayoko suggère de faire une déclaration reconnaissant la victoire d’Alassane Ouattara. Mais à l’époque, Philippe Mangou refuse. A la barre, il affirme qu’il voulait respecter les institutions. « J’ai dit je le sais, mais il n’appartient pas aux militaires de faire une telle déclaration », lance-t-il soulignant qu’à l’époque, une tentative de médiation est en cours et que Laurent Gbagbo a demandé à la communauté internationale de recompter les voix. « Nous, notre boussole, ce sont les institutions de la République », dit-il.
« Mon frère », Charles Blé Goudé
L’ambiance tourne à l’histoire de famille, lorsqu’il s’agit de Charles Blé Goudé. « Mon frère », n’a de cesse de l’appeler le témoin, qui souligne qu’« il a une capacité de mobilisation ». Pendant la crise, Blé Goudé a mobilisé la jeunesse ivoirienne. Pour sa défense, c’est maître Claver N’Dri qui interroge. Au cours de ces neuf jours d’audience, le général devenu ambassadeur, et le chef des Jeunes patriotes, ont rivalisé de tenues élégantes. A chaque jour son costume pour l’officier, boubous harmonieusement colorés pour Blé Goudé. Il l’a rencontré cinq fois, pendant la crise. Il a participé à l’un de ses meetings, tançant, micro à la main, le Premier ministre Guillaume Soro.
A la barre, il le dit « très proche du président Gbagbo » et suppose qu’il avait de bons rapports avec Simone Gbagbo. Sur l’épouse du président, le témoin ne s’étend pas. Souvent, lorsqu’elle passait pendant les réunions, le président lui disait, « Simone, laisse-nous travailler », affirme-t-il.
Le général quatre étoiles est aussi revenu sur plusieurs épisodes de la crise pour lesquels Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé répondent de crimes contre l’humanité. Dont la marche de l’opposition sur la Radio-Télévision ivoirienne (RTI) le 16 décembre 2010. « C’était un point stratégique, a-t-il justifié. Dans toutes les tentatives de coup d’Etat, une fois que vous prenez la RTI, c’est fait, vous faites passer votre message. »
Il a aussi évoqué le drame d’Abobo, demandant une enquête pour la mort de sept femmes lors d’une manifestation pacifique début mars 2011, mais décrit, comme tous les autres témoins avant lui, une mission de protection impossible dans ce vaste quartier d’Abidjan. Le Commando invisible se cache alors parmi les civils, ses hommes tirent au mortier sur l’armée. Le témoin révèlera que sans le savoir, Laurent Gbagbo a soutenu le Commando invisible. Approché par Koné Zakaria, en disgrâce des Forces nouvelles, qui lui promet de déstabiliser la rébellion dans l’est du pays, Laurent Gbagbo aurait financé l’opération, qui en réalité servira au Commando invisible.
Témoignage sans contraintes
Evoquant son témoignage, Philipe Mangou a affirmé l’avoir « fait sans contraintes, en toute liberté, et en évitant de me camoufler parce que quelqu’un l’a souligné dans cette salle », Laurent Gbagbo, « quand on n’a rien fait on n’a pas peur de la justice, je dirais que quand on a la vérité à dire on ne se cache pas »
En 2011, lors de son premier interrogatoire par les enquêteurs du procureur, l’ancien chef d’état-major était resté néanmoins peu loquace. Il avait fallu l’intervention des autorités ivoiriennes pour qu’il se décide à parler. Pour finir, le fils de pasteur a demandé au Seigneur d’accorder aux juges « la sagesse de Salomon ».
Rfi
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