Ni émoussé par la longue dictature togolaise, moins encore découragé de la combattre, le Pr Aimé Gogué, économiste et homme politique ( Président du parti ADDI) n’a pas hésité une seule seconde à se prêter à nos questions quand nous le lui avions demandé à Lynxtogo.info. Ici, il parle de tout. De la mauvaise volonté des autorités de Lomé à communiquer sur les drames que vivent les populations et les militaires dans les Savanes en passant par la mauvaise gestion du terrorisme, et des élections à venir, l’économiste finit par laisser aux Togolais cette phrase qui en dit long sur la « minorité » dont parlait Faure Gnassingbé : « En raison notamment des actes terroristes dans le monde, la réglementation internationale sur les transferts internationaux de fonds a été renforcée. Ceci a contraint certainement la « minorité » dont parlait le chef de l’Etat, à investir plus dans le pays. Malheureusement ces investissements vont le plus souvent dans l’immobilier (accaparement de terrains, construction de bâtiments), ce qui augmente les coûts de l’immobilier». En un clic, un condensé du drame togolais à découvrir dans cette interview !
Lynxtogo.info : Merci Pr Aimé Gogué de nous accorder cette interview. Depuis 2020 toutes les libertés individuelles comme collectives sont étouffées. Le pouvoir est-il dans la droite ligne du défi que le ministre Gilbert Bawara avait lancé aux Togolais : « Il n’y aura plus jamais de 19 août 2017»?
Pr. Aimé Gogué : Il est incontestable que depuis les élections présidentielles de 2020, les restrictions des libertés individuelles et collectives sont manifestes dans le pays. La lutte contre la propagation du Coronavirus a en partie été utilisée par le gouvernement pour justifier les mesures de limitation des libertés individuelles et collectives au cours des années 2020, 2021 jusqu’au premier trimestre 2022. En outre, le terrorisme et l’extrémisme violent dans la région des savanes ont également été utilisés par le Gouvernement pour décréter l’État d’urgence sécuritaire dans la Région des Savanes et des interdictions des manifestations. Bien qu’il y ait des raisons pour la prise et la mise en œuvre de ces mesures, on est en droit de soutenir que les motivations réelles étaient plutôt ailleurs. D’abord l’adoption, l’interprétation et la mise en œuvre de la loi devant encadrer les manifestations publiques sont très liberticides. Ensuite la répression des manifestations publiques depuis les élections présidentielles de février 2020. L’application discriminatoire de cette loi plus favorable lorsqu’il s’agit d’UNIR mais très liberticide pour les partis politiques et les organisations de la société civile de l’opposition ou non affiliés au parti au pouvoir est remarquable.
Il est vrai que le ministre BAWARA a déclaré qu’il « n’y aura plus jamais de 19 août 2017 ». Souffrez que je ne commente pas les propos/certitudes d’un mortel dans l’analyse des faits sociaux. C’est bien possible que ce soit effectivement un objectif du parti au pouvoir mais sachez que le temps est le maître. Il est possible qu’avant 2017, des gens du régime ait dit « qu’il n’y aura plus jamais de 5 octobre 1990 ». Mais il y a eu le 17 août 2017. Des exemples existent montrant qu’aucun régime ne peut décider supprimer toute manifestation de contestation contre la volonté populaire : le cas de l’Iran ces derniers mois l’illustre bien. Tout dépend de ce que la population est prête à faire.
Intellectuel, homme politique, fils de la région des Savanes vous êtes intéressant pour nous. Les Togolais veulent que, vous leur fassiez le point sur les attaques répétées du terrorisme dans le Grand Nord.
Remarque préliminaire. Oui, je suis de la Région des Savanes. Oui le terrorisme et l’extrémisme violent sévissent depuis quelques mois dans la région des Savanes et particulièrement dans les préfectures de Kpendjal et Kpendjal Ouest. Je suis cependant convaincu que cette situation devrait préoccuper tout Togolais responsable. Je pense que tout homme politique togolais devrait être angoissé par le terrorisme et l’extrémisme violent qui sévissent actuellement dans la Région des Savanes. Je crois que nous devrions éviter la tendance qui est d’associer des leaders politiques à leur ethnie, à leur région ; et je vois cela de plus en plus sur nos plateformes. C’est très préoccupant pour l’avenir de ce pays.
Depuis 2018, la menace terroriste longtemps confinée au Sahel se répand vers les pays côtiers de l’Afrique de l’Ouest et est devenue une réalité au Togo depuis 2019. Depuis, des opérations de harcèlement envers les populations civiles et militaires, la multiplication des poses de mines souvent de fabrication artisanale sur les des axes routiers, etc… deviennent de plus en plus fréquentes dans la zone éprouvées par les actions des terroristes, suggérant ainsi l’intensification du phénomène au Togo. En dépit des efforts souvent louables des forces de défense et de sécurité (FDS) pour arrêter les velléité des terroriste à prendre le contrôle d’une partie du territoire national, il est cependant important de noter, les bavures militaires (utilisation de drones contre de jeunes adolescents et tirs des agents forces de défense et de sécurité (FDS) à côté du camp du camp de NIOUKPOURMA sur un de jeunes bouviers convoyant leur troupeau de bœufs et de moutons). Ceci suggérerait des défaillances dans les services de renseignement militaires. Ensuite, à l’examen, on constate que les zones d’accrochage entre les forces de défenses et de sécurité d’une part et les insurgés armés d’autres part s’étend un peu plus à l’Ouest des premiers lieux d’intervention des terroristes ; ceci est une grande source d’inquiétude.
Malheureusement, la qualité voire l’absence de communication du Gouvernement ne permet pas de se faire une idée précise sur l’ampleur et la propagation du phénomène dans le pays. Toutefois, comme tous les Togolais, je me pose cependant des questions : Quelles sont les expériences de ces militaires envoyés au front ? De quelle formation bénéficient-ils et depuis quand ont-ils été recrutés dans l’armée ? De quels équipements disposent-ils pour la lutte contre les terroristes ? Quel est le mode opératoire des terroristes et est-ce que ce mode opératoire change ? Quel est le taux de rotation prévu des militaires au front ; ce taux est-il respecté ? Quelles sont les conditions de travail des militaires qui sont au front : perçoivent-ils les indemnités auxquelles ils ont droit ? Quelles sont les qualités de leur alimentation au front ? Ceux qui sont tombés au front ont-ils bénéficié des honneurs auxquels ils ont droit ? Quelles sont les qualités des traitements reçus par ceux d’entre eux qui sont blessés au front ? Quels sont les soutiens/accompagnements dont bénéficient les familles de ceux d’entre eux qui sont décédés ou blessés au combat ? Est-il facile aux OSC qui veulent apporter des soutiens à ces familles éprouvées de le faire compte tenu du fait que les FDS ne veulent pas communiquer sur les victimes ?
Venons-en maintenant aux victimes civiles. En plus des civils et des agents des forces de défense et de sécurité et des civils assassinés, il faut noter l’importance du nombre de déplacés à l’intérieur du pays. En août 2022, il y avait près de 14 000 personnes sans oublier près de 1000 réfugiés Burkinabés installés depuis quelques mois au Togo. Quels sont les soutiens dont ces derniers bénéficient de la part de l’État, des concitoyens, des OSC ? Que fera l’État suite aux bavures des FDS (notamment du drone et des bœufs et moutons disparus ? Quelles sont les mesures prises par le Gouvernement pour atténuer les effets négatifs de ce déplacement de population sur la production alimentaire dans la zone et par extension du pays car les préfectures de Kpendjal et de Kpendjal Ouest sont des greniers de la région des Savanes, elle-même grande zone de production de céréales du pays ? Et les ménages d’accueil des réfugiés, de quel soutien bénéficient-ils de la part de l’État et des OSC ? Est-il facile de leur venir en aide ?
Le Gouvernement appelle la population à soutenir la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent ; les partis politiques et des organisations de la société civiles ont favorablement réagi. Cependant, j’ai l’impression que le Gouvernement fait tout pour décourager toute implication de la population, des partis politiques et des OSC dans cette lutte : approche-t-il les partis politiques et les organisations de la société civile pour avoir les informations ? Facilite-t-il le travail de ces partenaires sur le terrain ? Que fait-il des informations/suggestions que ces partenaires leur donnent à ce sujet ? La lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent ne peut être gagnée uniquement par l’armée et le Gouvernement sans la participation de la population civile.
La situation semblerait beaucoup plus préoccupante que nous ne le pensions : il est possible que des cellules « dormantes » de ces terroristes soient déjà dans des contrées que nous ne soupçonnons pas. L’identification et l’arrestation de collaborateurs de groupes terroristes a permis d’atténuer leur impact négatif. Il est dommage de noter que des citoyens ont opté consciemment d’aider ces terroristes,, contre rémunération, dans leurs basses besognes en leur fournissant des biens et services leur permettant d’améliorer l’efficacité de leurs opérations (carburants et information notamment). C’est pour cette raison qu’en dépit de ce constat et surtout des sévices, tortures que les FDS ont fait subir à la grande majorité des Togolais, malgré le soutien indéfectible des FDS au régime en place, j’invite la population à continuer à soutenir ces jeunes militaires à lutter efficacement contre ce phénomène.
Faure Gnassingbé parle dans son discours à la Nation de « près de 50 milliards de francs CFA ont été engagés et ont permis de faciliter l’accès à l’eau potable, à l’électricité et de construire des infrastructures sanitaires et éducatives ainsi que des pistes rurales ». Le Pr Aimé Gogué trouve juste le chiffre de 50 milliards en fonction de ce qu’il voit chez lui dans les Savanes ?
Un engagement du Gouvernement d’allouer près de 50 milliards de FCFA à la région est une bonne chose. L’objectif de cet engagement est d’y réduire l’incidence de pauvreté et le sous-emploi des jeunes qui sont parmi les principales causes de la tendance des populations à croire naïvement que les terroristes sont mieux placés pour apporter des solutions à leurs problèmes. Il faut effectivement noter que les terroristes recrutent le plus souvent leurs membres parmi les jeunes marqués par le taux de chômage endémique dans le pays. En offrant des avantages pécuniaires importants et en s’attaquant aux FDS et aux symboles de l’État, les terroristes attirent facilement ces jeunes qui se sentent ignorés par le Gouvernement et qui trouvent là des solutions à leur oisiveté.
Cependant, en raison des besoins de la zone, cinquante milliards c’est à la fois beaucoup et peu. Déjà en 1991, alors ministre du Plan et de l’Aménagement du Territoire, j’avais fait accepter par Gouvernement de Transition, la nécessité de faire inscrire dans le programme d’investissement public, une enveloppe annuelle d’un demi-milliard de FCFA pour les zones sinistrées du pays identifiées par la Conférence nationale souveraine notamment la Région des Savanes et le Sud Est Maritime. Cette enveloppe devrait servir à pallier les insuffisances d’infrastructures et d’atténuer l’incidence de la pauvreté dans les zones identifiées comme précaires. Si ce projet avait été mis en œuvre depuis cette époque, nous pouvons imaginer là où nous serions aujourd’hui pour ce qui est de la situation dans les Savanes. Ensuite, l’engagement actuel du Gouvernement contient également des projets censés déjà prévus pour la Région et des projets réaffectés à d’autres sources, etc. Espérons que la dotation des 50 milliards soit traçable à travers un mécanisme de saine gestion et de reddition des comptes!
Finalement, le Togo ne souffre pas-t-il pas de l’absence d’une union sacrée autour de la Nation ? Comment expliquez-vous cette désunion entre le peuple et les dirigeants ?
Comment voulez-vous que des populations s’unissent, lorsque le modèle politique et économique de pilotage de l’Etat se résume à « comment garder le pouvoir dans un clan ?» Comment voulez-vous que les individus qui se sentent rejetés uniquement par leur appartenance politique et idéologique puissent s’unir? En la matière je voudrais faire quelques observations.
D’abord, il faut se préoccuper de la désunion entre Togolais qui se lit dans toutes les structures sociales du pays. En plus des divisions sur les bases ethniques ou régionales, il faut noter la très grande importance du facteur partisan qui mine la cohésion entre filles et fils de ce pays. C’est un phénomène qui se généralise et qui est excessivement grave. Je pense à : l’administration publique est politisée ; une grande partie des recrutements dans les sphères publics, de l’évolution des carrières des fonctionnaires qui reposent que sur le militantisme au parti UNIR, de leurs promotions et affectations se fait sur une base partisane. Quels sont par exemple les critères des listes additives publiées après la proclamation des résultats des concours des recrutements dans la fonction publique et dans des régies financières comme l’OTR. En dehors du fait qu’elles constituent un obstacle pour la cohésion nationale, ces pratiques affectent très négativement l’efficacité de l’administration publique et donc les performances économiques du pays. C’est un phénomène qui mérite que nous nous en préoccupons urgemment.
Un phénomène récent illustre bien la désunion entre le peuple et les dirigeants : il s’agit des réactions de la population dans certaines régions du pays lors du recensement général de la population l’année dernière. Le gouvernement a été obligé d’augmenter le nombre de jours du dénombrement de la population, multiplier les campagnes de sensibilisation, inviter plus de leaders d’opinion à inviter la population à se faire recenser… etc. La population ne semble pas avoir confiance au gouvernement. Ce phénomène s’observe le plus souvent lorsque la population ne se retrouve pas dans ces gouvernants, en bref, lorsque le gouvernement n’est pas légitime.
Coup sur coup, Faure Gnassingbé parle de deux élections courant l’année 2023. Y a-t-il des raisons objectives d’y participer et d’une transparence en amont desdites élections ?
Je m’étais dit que je ne vais plus discuter des élections sur les médias. Nous avions eu des expériences sur le boycott aux élections présidentielles (1993) ou législatives (2002 et 2018). Nous connaissons tous les résultats de ces boycotts. Nous avions également participé à des élections présidentielles (1998, 2003, 2005, 2010, 2015 et 2020) et législatives (1994, 2007, 2013 et 2018). Nous connaissons également les conséquences de ces actes.
Il est indéniable que, dans une dictature comme la nôtre, on ne peut obtenir l’alternance/changement uniquement par les élections : le régime en place fera tout pour que ces élections ne soient ni transparentes, ni équitables, ni crédibles. Ainsi, il faut reconnaître qu’il n’y a pas de raisons objectives de s’attendre à une transparence accrue en amont desdites élections. C’est pour cette raison que l’ADDI invite les acteurs politiques et les OSC à œuvrer pour une amélioration du cadre légal et institutionnel des élections. Ensuite, ADDI invite la population, et pas seulement ceux qui veulent y participer, à tout faire pour pousser à la transparence et à ce que les résultats proclamés soient conformes au contenu des urnes. Nous venons de voir le comportement de nos frères et sœurs Béninois lors des élections législatives qui viennent de se dérouler au Bénin. Pour moi, si la population n’est pas prête à défendre les résultats des urnes, elle est loin d’être prête pour la « révolution ». Participer aux élections n’exclut pas que ceux qui pensent à d’autres moyens pour que l’alternance/changement au sommet de l’Etat devienne une réalité sur la terre de nos aïeux mettent en œuvre leurs stratégies.
Même si nous sommes conscient qu’une élection n’est pas suffisante pour venir à bout d’une dictature, il est aussi important de noter que, l’histoire présente des cas où les élections, mais pas elles seules, ont permis de faire partir une dictature : Les Philippines de Ferdinand Marcos ; La Serbie de Slobodan Milosevic ; et plus proche de nous la Gambie de Yahya Jammeh. L’ADDI est favorable à la participation aux élections. Cependant notre parti se pose des questions sur l’opportunité des élections régionales.
D’un discours à l’autre. Jean Pierre Fabre (ANC) comme Adrien Béléki (CPP) appellent à « Un dialogue efficace entre les partis politiques ». Ces appels peuvent porter des fruits entre le déni des uns, le radicalisme, la mauvaise foi et les égos surdimensionnés des autres ?
Il faut noter que ce ne sont pas les responsables de l’ANC et de la CPP qui sont les seuls à appeler pour un dialogue efficace entre les partis politiques. Mais permettez-moi de ne pas être d’accord avec ce que vous appelez de la mauvaise foi et des égos surdimensionnés des leaders politiques du Togo. Comme dans les autres pays, les leaders politiques de l’opposition togolaise ne sont pas tous des anges et des gens humbles/modestes. C’est vrai que, comme dans la population togolaise et non seulement en politique, il y a des leaders de mauvaise foi et des leaders avec des égos surdimensionnés. Il est vrai que parmi nous, il y a des extrémistes mais aussi des modérés. Mais quel pourcentage représentent-ils dans la classe politique togolaise ? Je ne vous dirai rien de nouveau en vous rappelant que par le passé les leaders de l’UFC, ensuite de l’ANC et actuellement de la DMK pensent que l’alternance/changement doit nécessairement, voire obligatoirement passer par eux. Étant les plus populaires, ces partis croyaient légitimes chacun à son tour mériter l’accession au pouvoir après la dictature. Malheureusement c’est faire preuve de naïveté que de croire que la légitimité et la popularité sont suffisantes pour succéder à la dictature.
Mais comparez le nombre de candidats aux élections présidentielles au Togo avec ce qui se passe dans le cas des autres pays ? Donc pour moi, je ne crois pas que ce soit ce que vous énumérez qui constituerait les véritables obstacles à un dialogue efficace entre les partis politiques du pays. Cherchons les véritables obstacles de la mésentente entre les partis politiques. J’avais essayé cet exercice au début de 2022 mais malheureusement je m’étais heurté à cette analyse erronée sur les causes véritables de l’échec de la lutte pour l’alternance/changement au Togo. On a très vite fait de trouver les responsables de nos échecs (les leaders de l’opposition) sans se remettre en cause ou sans penser autrement. En fait. en parcourant les plateformes je constate le phénomène d’ego surdimensionné n’est pas l’apanage des leaders politiques.
Pr Aimé Gogué, économiste de votre état, les Togolais sont curieux et voudraient que vous leur fassiez un état des lieux de l’économie togolaise ?
Il faut reconnaître que ce ne sera pas tâche facile surtout pour une période post COVID marquée par la guerre d’Ukraine qui a créé des perturbations dans les chaînes d’approvisionnement dans le monde. Je commencerai d’abord par saluer les efforts faits par le gouvernement et le secteur privé et les syndicats en augmentant la valeur du SMIG à 52 500 FCFA. Même si le SMIG au Togo demeure inférieur à celui des autres pays de la sous régions, c’est une action à saluer. Souhaitons qu’elle soit appliquée par tous les acteurs concernés pour le bénéficies de tous les bénéficiaires potentiels. Il y a aura nécessairement des ajustements pour plusieurs autres salariés : notamment tous ceux qui avaient des salaires au moins égal à la nouvelle valeur du SMIG. Pensez à tous ceux dont les rémunérations étaient fixées à 50 000 FCFA ; et ils ont nombreux : leurs employeurs doivent revoir ces chiffres à la hausse. Mais, d’une manière générale, nous pouvons nous demander si, en absence de mesures d’accompagnement appropriées, des opérateurs économiques auront les capacités financières sont en mesure d’appliquer cette nouvelle décision qui est par ailleurs très bienvenue ?
Si les performances économiques au Togo (5,8%) sont meilleures que celles de la moyenne des pays de l’UEMOA (4,9%) et si l’inflation semble mieux maîtrisée au Togo (4,6%) que dans les autres pays de notre zone monétaire (5,3%), il est indéniable que les Togolais connaissent des des conditions de vie plus difficiles que les citoyens de la plupart des pays membre de l’UEMOA : l’incidence de la pauvreté est parmi les plus élevée. L’agriculture souffre de l’inadéquation des services de soutien et du coût élevé des intrants dont l’engrais ; en dépit de l’accroissement des investissements, le secteur industriel et notamment le secteur manufacturier peine à décoller. La distribution est marquée par une importance relativement grande des étrangers. Le chômage des jeunes est endémique. La prédominance du secteur informel limite les emplois décents disponibles alors que la politique salariale du secteur moderne fait du Togo l’un des pays avec les plus bas niveaux des salaires de la sous-région.
Si le Gouvernement a pris des mesures pour accompagner les opérateurs économiques, ces mesures sont modestes par rapport à celles de beaucoup de pays de la sous-région. Comme par le passé, les performances de l’OTR en termes de mobilisation des ressources fiscales dépassent les prévisions. Mais ceci a des effets pervers. Les jeunes/nouveaux entrepreneurs se plaignent du harcèlement de l’OTR qui ne leur laisse pas suffisamment du temps après le démarrage de leurs activités avant de frapper à leur porte pour la collecte des impôts et taxes. D’autres opérateurs économiques se plaignent de l’utilisation de l’OTR comme instrument politique, pour brimer les hommes d’affaires qui n’ont pas des sympathisants d’UNIR, etc. Les soupçons de non transparence et de politisation dans les commandes publiques augmentent inutilement les coûts des services publics. La corruption et l’impunité des actes de corruption augmentent les coûts de transactions et constituent des obstacles objectifs pour l’efficacité de l’administration publique et la compétitivité de l’économie. La confiance à la crédibilité de la Cour des Comptes est très négativement affectée par le fait que le mandat de la quasi-totalité des membres de cet organe de contrôle a posteriori des finances publiques est depuis longtemps venu à terme.
Il y a lieu de s’interroger sur les raisons pour lesquelles les programmes conçus pour aider les jeunes sont loin de donner les résultats escomptés : y a t-il équité dans le traitement des jeunes (rôle de la politisation) ? Pourquoi les jeunes étrangers réussissent-ils plus que les Togolais dans le pays ? Les nationaux ont-ils des avantages par rapport aux étrangers dans certains secteurs d’activités économiques ? La jeunesse est-elle bien formée pour les besoins du marché de travail ? En raison notamment des actes terroristes dans le monde, la réglementation internationale sur les transferts internationaux de fonds a été renforcée. Ceci a contraint certainement la « minorité » dont parlait le chef de l’Etat, à investir plus dans le pays. Malheureusement ces investissements vont le plus souvent dans l’immobilier (accaparement de terrains, construction de bâtiments), ce qui augmente les coûts de l’immobilier. Il faudra réfléchir à la conception et à la mise en œuvre de politiques pour les inciter à investir dans les industries et notamment dans les industries de transformation et dans la distribution.
Votre mot de fin
Le régime en place ne fera aucun cadeau à ceux qui veulent l’alternance. Bien au contraire, il faut donc gagner le changement même si c’est pour le bénéfice de l’ensemble de la population, les militants, les sympathisants voire les dirigeants d’UNIR y compris.
A cet effet, comme le dirait l’autre, nous devons commencer par travailler sur nous-mêmes : nous devons commencer par nous changer pour nous conformer à nos visions pour notre pays. La rigueur est une bonne chose non pas uniquement par les autres mais aussi par nous-mêmes. Prenons soin d’écouter aussi les autres : n’oublions pas que nous sommes tous des Togolais ! Il faut saluer les efforts de certains citoyens qui appellent à une meilleure utilisation des plateformes pour améliorer l’efficacité de la lutte pour la démocratie au Togo : j’ose espérer qu’ils seront compris et suivis. Malgré les difficultés et les obstacles, nous devons garder espoir en sachant que cela ne sera pas facile. Pour ceux qui veulent l’alternance/changement, il faut retrousser les manches et s’y mettre sérieusement.
Bonne année 2023
Interview réalisée par Camus Ali