C’est encore moi, le fils de Klatchaa.
Tout m’accable et tout m’accule
Et la Forêt de Tournesols de plus en plus vaste de plus en plus touffue
Donc couronnée de soleils…
Oh ne faites pas comme si vous ne reconnaissez pas ma voix
Même si faire semblant est devenu le sport favori de beaucoup d’entre nous
Là, c’est sérieux
Parce qu’aujourd’hui je claque les dents en…crachant mes mots
Criant, vociférant, bondissant comme un cabri
Tantôt dans les plats tantôt dans les calebasses
Fonçant sur tout ce qui se trouve en face de moi
Frappant des cornes contre tout obstacle
Bavant gueule ouverte gbaya gbaya
Comme vous me voyez souvent sur l’une de mes photos qui circulent
C’est que le dieu Pan est entré dans le jeu
Dans mon palais, je veux dire dans ma gueule gbaya !gbaya !
Et me pénètre jusqu’aux entrailles
A la fois feu brûlant de Habiesso, tonnerre grondant
Sakpatè me criblant de la petite vérole à l’intérieur comme à l’extérieur
Et surtout Sakiti se saisissant de moi, me livrant à tous les désordres
Pan me frappe
Pan ! pan ! pan ! pan !
A la tête, au ventre, aux bras, aux pieds, à la tête
Au cerveau, mon cerveau qui vaut ce qu’il vaut
C’est-á-dire mon sexe (eh, attention ! je ne joue pas sur la ressemblance de son avec le mot mina désignant cet organe)
Et toujours sous les yeux du Cheval Éblouissant
Et de la Forêt de Tournesols de plus en plus vaste, de plus en plus touffue
J’étouffe
Pan me malmène
Et pourtant, je le croyais de mes alliés
C’est moi qui l’envoyais aux autres
Mais aujourd’hui, quand il se déclenche
C’est sur moi
Il s’acharne sur moi
Me décoche ses coups
Pan ! Pan ! pan !
Tous ces dieux qui aujourd’hui m’assaillent
Sont ceux à qui j’ai sacrifié
Sous prétexte de purification
Il n’y a pas très longtemps
Des centaines de bœufs béliers cabris poulets
Des tonnes d’huile de palme de faine d’alcool sodabi et toutes sortes de boissons
Après avoir mangé et bu á mes dépens
Ils s’acharnent tous contre moi
Oú sont ceux qui ont mangé mon bo-djenjumé
Ma grosse pâte de gri-gri à l’huile de palme avec toute sorte de viande ?
En vain j’y ai ajouté les sacrifices sanglants d’hommes, de femmes, d’enfants
Toute cette viande d’homme décapités, hachés, taillés, criblés, broyés, enfumés, cuits dans de l’huile et dans de l’eau… à tous les feux
En vain
Le Cheval Éblouissant et la Forêt de Tournesols sont toujours là
Toute ma clique de profiteurs fornicateurs politicards charlatans et autres charmeurs de serpents qui pique-niquaient avec moi
Mangeaient toutes sortes de viande
Bien arrosée de champagne de whisky de bière
Suffisamment repus pour pisser après à la chaîne
Ou de simples pique-assiette qui participent à la chaîne d’urine à leur manière
Quelques bouteilles de bière leur suffisent à ceux-là
A la queue leu leu
Soûls de bonheur
Nous chantions tous en chœur notre chanson préférée :
Chantons à l’unisson dans la communion de viande et de boisson
Pour que tout le pays soit uni
Cette chanson pour boire et uriner est ma marque de fabrique, ma touche personnelle
La belle farandole des visages enfarinés ou cachés derrière des masques belengudu
Mon père avait la sienne propre
Au pas militaire
Battant la mesure lui-même
Éclatant, explosif
Mais toujours vers le bas comme moi
C’était la belle époque !
Mais aujourd’hui, à l’heure de tous les ennuis, tous ont pris la fuite
Tous mes clients de jour comme de nuit
Tous me quittent
Aujourd’hui
Que la vue de la Forêt de Tournesols qui avance toujours m’éblouit
Je n’ai même plus de béquille pour me d´placer
Car la panique fait trembler kitikiti tous mes clients
Mon père avait fait la même expérience amère
Il faisait pitié
Il fallait écouter sa voix à la radio…
Je savais qu’ils n’avaient aucun courage vrai, ceux de mon entourage
Mais ce qui arrive dépasse mon imagination
Ils me laissent tomber
Je traîne sur les fesses, nu comme un ver
Kli kli kli comme un matakli
Tandis que la foule crie : démission ! démission !
De loin, de près
Les voix qui me disent : abdique !
Sont de plus en plus nombreuses
Abdiquer, moi, fils de Klatchaa ?
Jamais un Klatchaa n’a démissionné ou abdiqué
Jamais je ne démissionnerai ou n’abdiquerai
Bien sûr, mon fauteuil se dérobe sous moi
Mais je m’accroche de toutes mes forces
Je m’arc-boute
Je m’accrocherai jusqu’au bout
De mes mains de mes pieds de mes doigts
De mes cheveux même attachés ou collés au trône
Le traînant après moi
Comme mon père
Mais mon père n’a jamais eu à affronter la Forêt de Tournesols si vaste si touffue
De quel secours me peut être son ombre, maintenant plus triste et plu sombre que jamais ?
La Forêt de Tournesols chante, crie : helu ! helu !
Je n’entends pas très bien à cause du brouhaha
Crie-t-elle helu ! helu ou wo lu ! wo lu?
Dans les deux cas cela ne signifie rien de bon pour moi.
Si elle crie helu ! helu !
C’est qu’elle appelle sur moi toutes les malédictions du monde
Et si elle crie wo lu ! wo lu !
C’est qu’elle estime que je perds la raison
Quoi ? Elle aurait raison ?
Parce que mon comportement est irrationnel
Manque cruellement de logique
Logique ! Qu’appelez-vous logique ?
Je n’aime pas cette musique, mon père a bien pu se passer de votre logique
Cela l’a-t-il empêché de régner pendant près de quarante ans ?
Les Klatchaa ont leur logique :
Appeler blanc ce qui est noir
Par un tour de passe-passe métamorphoser en colombe sur une place publique un rapace qui fonce sur le peuple et le dévore quotidiennement
Durcir le front
Raidir le cou et frapper tous les coups
Le regard détourné de tout ce qu’ils appellent valeurs
Et oblique ne voyant que les seules valeurs qui comptent: le pouvoir et l’argent
Tous les coups dans tous les sens
De kalachnikov, de bombe, de gaz lacrymogène, de bottes, de bâtons…
Maintenant j’entends mieux : cette Forêt de Tournesols dit tantôt helu ! tantôt wo lu !
Au fond, leurs malédictions me touchent très peu…
Depuis le temps que nos ennemis s’acharnent à maudire,
D’abord mon père, hier, puis moi aujourd’hui…
C’est les mêmes qui disent que je souffre d’autisme
Me traitent de tohossou
Mais je n’aime pas qu’ils me disent que j’ai perdu la raison.
Surtout ce qui me fait le plus mal, c’est leurs rires sarcastiques
Le portrait satirique qu’ils dressent de moi aux yeux du monde entier
Leurs rires déclenchés comme une pluie battante me criblent, me ruinent l’image de marque que mon père a mis des années
A construire du clan, à force de billets CFA
Dont j’ai hérité et que je maintiens de toutes mes forces également à coup d’argent
Quand les coups de kpatcha la machette ont fini leurs œuvres
Ils me réduisent à rien par leurs sarcasmes
Moi, fils de Klatchaa, Bodémakutu II
Malmené par Pan
Sous le regard rieur de la Forêt de Tournesols
Triomphante
Sénouvo Agbota Zinsou
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