Michel Galy explose ! En Côte d’Ivoire, Ouattara pratique un « rattrapage ethnique » carcéral

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Logiques sociologiques de la répression, ou un « rattrapage ethnique » carcéral, par Michel Galy.

Le travail minutieux de recensement réalisé par Désirée Douati et son « collectif des femmes et filles de détenus » démontre la vacuité des promesses et engagements du pouvoir ivoirien : occultation, tergiversations, promesses non tenues, libérations partielles, paupérisation forcée des libérés « provisoires » coïncident toujours avec des arrestations, tortures déportations.

Il y a bien une « politique de la répression » étudiée, quant aux exécutions, tueries, épuration ethnique ciblée dans la capitale (Yopougon ) ou en brousse(environ 3 mois après avril 2011) succède une gestion en apparence plus « soft » de l’Archipel du Goulag ivoirien. Mais en fait des centres de torture, en plein Abidjan (DST, camp militaire..) dénoncés depuis le rapport de 2012 d’Amnesty international cœxistent en une gestion spectaculaire de prisonniers politiques importants – sur lesquels pèse d’ ailleurs l’épée de Damoclès d’un procès ou d’une réincarcération. Contrairement aux allégations distillées aux medias étrangers et aux promesses du Nouvel An, il reste donc plus de 800 prisonniers politiques en Cote d’Ivoire !

« Les 800 d’Abidjan » : qui sont-ils ?

La composition sociologique des prisonniers politiques désignent qui sont pour le régime issu d’un Coup d’Etat franco onusien ses « ennemis ethniques »- et révèle en creux les soutiens et les intérêts des dirigeants actuels

Se basant sur l’excellent ouvrage de sociologues ivoiriens sur le « rattrapage ethnique »(L’Harmattan, 2012) en Côte d’ivoire, il est aisé de montrer que le Goulag ivoirien est l’inverse du pouvoir, son miroir en double. L’inverse de la prise de pouvoir dioula, et particulièrement malinké sur tous les postes et prébendes, car le « spoil system », ce système des dépouilles à l’ivoirienne est maintenant total- et sanglant : on rafle tout, on élimine, on torture et incarcère l’ennemi supposé.

Curieux que les savants anthropologues qu’on n’entend plus depuis 3 ans (honte après la « mission accomplie » ?) qui ont fait de l’ « ethnonationalisme »une machine de guerre contre Laurent Gbagbo ne s’y intéressent pas : Ouattara, son clan et son groupe en sont une exemplification parfaite…

A l’inverse, on embastille les Sudistes, les Bété, les Wê, les Attié : en creux se dessinent les foyers de résistance au Coup d’Etat- du moins les angoisses du régime et de ses parrains.

L’épuration ethnique du personnel politique et de l’Armée suit donc les idéo-logiques d’une prise de pouvoir dont les « ennemis » ainsi désignés sont sur le plan sociologique l’élite intellectuelle et la classe moyenne de la capitale ; et sur le plan géopolitique la population sudiste en général, enfin du point de vue anthropologique le bloc krou, qui est spécifiquement visé.

A part quelques nordistes isolés ( 6 malinkés et 9 sénoufo), l’étonnant est l’importance relative des akan : 47 baoulés, 52 agnis par exemple, démontrant par là même le caractère pluri ethnique du soutien loyaliste. Mais si 80% des prisonniers politique sont sudistes, il est une autre manière de considérer l’ « épuration ethnique » : par rapport à de faibles effectifs, certains groupes sont davantage stigmatisés, voire persécutés. Ainsi des Guérés(132) dont les terres sont le lieu de la migration burkinabé imposée et dont le peuple décimé a été forcé de s’exiler par dizaines de milliers au Libéria.

On retrouve d’ailleurs les conceptions fixistes, datant du XIX ème siècle, de la hiérarchie du « complexe militaro-colonial » français qui ne craint pas d’affirmer à Paris qu’un leader comme Laurent Gbagbo ne représente que son ethnie, « soit 7% des voix »(sic !). D’où les 169 bétés embastillés, presque un quart des prisonniers politiques !

Et où les embastille-t-on, où les déporte-t-on ? Otages, les prisonniers politiques « importants » sont systématiquement coupés de leurs famille, de leur villages, de leur peuple : c’est tout le Nord (depuis 2002 ?) qui semble une vaste zone carcérale : Korhogo, Odienné, Boundiali…

Mais la sinistre MACA d’Abidjan sert massivement à criminaliser militaires ou civils pro-Gbagbo en les confondant avec les prisonniers de droit commun. Enfin, plus que les prisonniers politiques censés être en détention dans ce centre de tortures et d’arbitraire qu’est la DST, ceux dont le lieu de détention est « inconnu »- hors de toute loi, et de toute humanité- font appréhender les sévices les plus terribles. Dans l’arbitraire, il y aurait encore une hiérarchie : celle de la violence exacerbée, non accompagnée de symbolisme mensonger ou de légalité perverti, révélant enfin la vraie nature du régime.

« Au pays du mensonge déconcertant »

Pourquoi traiter des motifs d’incarcération, tellement ils sont hors de toute loi, et même de toute logique ? On voit d’ailleurs un « plan commun » avec les thèses de la CPI et ses montages ridicules.

Une poignée de génocidaires »(sic !) : on croit rêver sachant que pour tous les observateurs le seul acte de génocide, répétitifs, s’est produit en 2011 et 2012 en pays Wê, à Duekoué. A moins que les génocidés se soient massacrés eux même ? Comprenne qui pourra…Cet ace, contre toutes les intoxications, reste d’ailleurs fondateur du régime et sa tache indélébile.

Rappelons que lors d’une série de mensonges télévisés en France et aux USA(Laurent Gbagbo aurait été en villégiature dans la résidence présidentielle à Korhogo, alors qu’il était incarcéré dans la maison du criminel de guerre (certifié tel par l’ONU) Fofié dans des conditions telles qu’il en porte les séquelles…) , Ouattara s’est targué d’avoir « empêché un génocide » d’un million de personnes.. Inversion victimaire classique chez les massacreurs, mais à suivre cette « logique » absurde, 25 génocidaires en prison sont trop, ou pas assez !

La « justice des vainqueurs » ne s’embarrasse pas de justice, ni de lois : les motifs d’inculpation sont absurdes et choquants. Les militaires défendant leur pays et leur président reconnu par la Cour suprême ivoirienne sont accusé d’ « atteinte à la Défense Nationale »(257), tandis que les civils d’ « atteinte à la sûreté de l’Etat »(382). Avec sans doute comme témoins à charge les rebelles et mercenaires qui ont attaqué et subverti l‘Etat ivoirien depuis 2002 : décidemment UBU est au pouvoir à Abidjan comme à la Haye…

Les autres incriminations, de meurtre, assassinats, crimes, viols, montrent simplement la volonté de criminaliser la mouvance pro-Gbagbo et de qualifier les actes loyalistes de la guerre civile de la pire des manière, pour honnir ceux qui ont combattu pour l’indépendance de leur pays : devant l’Histoire, c’est bien sur cette justice aux ordres et le pouvoir lui-même qui de ce fait se déshonore !

Techniques de désinformation du régime Ouattara

Que ce soit via l’ « Agence 7 » d’Anne Meaux (Agence de « com » parisienne chargée moyennant de juteux contrats de l’ « image » du chef de l’Etat), ou des journalistes internationaux « qui font partie de son équipe » (et dont on ne connaît pas les « contreparties » sonnantes et trébuchantes…), la désinformation de l’opinion internationale est bien repérable parce que répétitive. Même Hollande , recevant Ouattara à l’Elysée, s’en est impatienté, c’est dire… il est difficile, parfois , pour certains interlocuteurs, d’être pris pour des imbéciles de manier répétitive…

Quand l’on entend parler de « réconciliation » et qu’on embastille, de « libération » et qu’on maintien 800 personnes au Goulag, de « pacification » quand il s’agit de répression, les observateurs sont tranquilles : ils savent déjà qu’il s’agit du contraire, dans la triste réalité, de l’effet d’annonce et du message de désinformation.

Il y a quelque chose d’orwellien, en effet dans le régime Ouattara : « la guerre, c’est la paix », la « démocratie irréversible », c’est la répression continue, la criminalisation de l’opposition, c’est l’inverse de la propagande scandaleuse : les mots sont bien l’inverse des choses.

Mais ce sont aussi des héritages coloniaux, usités et enseignés dans les Ecoles militaires françaises et actées sans cesse dans la terrible « guerre à l’Afrique » : il y a longtemps que le gouverneur Angoulvant (La Pacification de la Côte d’Ivoire, 1908-1915 : méthodes et résultats, lettre-préface du général Galliéni, Paris, Larose, 1916), parlait de « pacification » pour désigner les tueries en pays Attié- déjà. Les assassinats de civils, la terreur à Yopougon, les colonnes infernales le long des routes et en brousse en pays bété, les centres de torture, la déportation des leaders devenus otages, la confiscation des biens, l’emprisonnement de masse… tout cela faut partie des ignobles « recettes » coloniales, de l’Algérie au Cameroun, ou à la Cote d’ivoire

FRCI et dozos n’ont rien inventés, supplétifs des deux corps expéditionnaires (Licorne et ONUCI) dont les conseillers civils et militaires sont au cœur du pouvoir ivoirien.

En période de crise, quand on libère quelques personnalités ( et leurs comptes, en Suisse ou à Abidjan…) allant à Canossa dès leur débarquement, qui se croient obligées de remercier « le président de la République » et le ministre Hamed Bakayoko ( !sans commentaires…), œuvrer à la réconciliation c’est-à-dire au ralliement au processus électif de 2015 (en laissant Laurent Gbagbo à son embastillement), on sait d’où vient le discours. Quand on murmure, via les « rédactions » que l’opposition va se rallier et rentrer dans un gouvernement d’union nationale, on repère vite les sources de la désinformation (quelque soit le sort des Koulibaly, anciens et à venir…).

Et quand de manière récurrente- voyage en France et visite à l’Elysée, ponctuellement salamalecs au Vatican, ou annuelle- voeux alambiqués du Nouvel an- on annonce la libération totale et massive de prisonniers et le retour des exilés, on comprend le procédé comme bien usé, ayant trop servi…

Les « spin doctors » ont théorisé la technique dite de « diversion » : médiatiser à fond un information marginale créée de toutes pièces pour faire oublier aux medias le fond du problème ! Les communicants de Ouattara usent et abusent de ce procédé ; le gouvernement israélien fait de même et depuis longtemps, menaçant la libération de quels dizaines, voire centaines de prisonniers palestiniens , laissant croupir des milliers dans ses geôles, dans l’arbitraire juridique et humain le plus total.

Le régime d’Abidjan se considère- il comme occupant un territoire étranger pour adopter les mêmes méthodes ? Hier on « rapproche » quelques militaires d’Abidjan, la MACA voulant faire oublier les « 800 d’Abidjan » ! Technique du salami (des tranches limitées de prisonniers libéré) ou métonymie de la libération (une partie pour le tout) ? Demain, on pourra libérer les quelques femmes (une dizaine de prisonnières politiques dans les geôles ivoiriennes) et les medias internationaux reparleront comme à la matinale d’une grande radio internationale de l’ « illustration exemplaire de la politique de réconciliation d’Alassane Ouattara » (sic, ce matin, RFI) !

Pendant ce temps les auteurs de la rébellion, notamment le paon (pardon le « PAN », onomatopée qui résume sa carrière… !) Soro, ses sanglants chefs de guerre, ses sbires auteurs des pires exactions, les acteurs des deux actes de génocide de Duékoué coulent des jours heureux à Abidjan, à l’abri de la justice nationale ou internationale- tout comme leurs complices des deux corps expéditionnaires !

Il s’agit bien sûr de diviser l’opposition, d’inquiéter les adversaires, de rassurer chancelleries e ambassades qui au début prenaient les promesses pour argent comptant. Il s’agit aussi de faire traîner les choses, de « dribbler » l’ennemi »- les prisonniers- et de faire tirer les procès en longueur- sur le prototype de la Haye : acheter du temps, de jouer la montre jusqu’en 2015. D’user par le temps aussi de démobiliser voire de désespérer détenus et familles : on l’a vu , au royaume du Goulag et de l’exil, de la torture ou de la misère des familles, peu de miracles : les maladies et même la mort des adversaires arrivent bien vite….

Paranoïa d’une « Politique » déclinée en « plan commun » pour la CPI et le régime : j’ai montré ailleurs l’ « effet –miroir » de ce raisonnement tendancieux : jusqu’à quel point Goulag, ou paupérisation ont –ils été planifiés, et par qui ?

Car le régime ne tiendrait ni devant un réarmement de l’Armée, police et gendarmerie. Ni devant des élections sans fraude, avec la participation de Laurent Gbagbo et la fin définitive du Goulag. Ni devant le retrait –ou même l’abstention des corps expéditionnaires.

L’emprisonnement de masse des prisonniers-otages est à replacer dans ce contexte : une « monnaie vivante », pour reprendre Klossowski…

Alors, que faire ? Sans doute dénoncer et lutter, ici, là-bas, comme le fait de manière exemplaire Désirée Doati et son collectif- et sans cesse démonter mensonges et désinformation, tortures et Goulag. A moins d’attendre la « solution biologique », comme disaient les tunisiens pour Bourguiba. Mais l’âge n’est pas une excuse : mon vieil ami, l’écrivain –philosophe Jean Marie Adiaffi ne me disait-il pas dans son style inimitable : « cette affaire des vieux d’Hampate Ba, de ces bibliothèques qui brûlent, on peut en prendre et en laisser. Trop souvent c’est juste un vieux corrompu qui passe l’arme à gauche » ? Si l’on peut dire…

« N’ayez pas peur »… le slogan de l’Eglise contre la dictature polonaise vient de connaître un revival à Abidjan, quand ce collectif de femmes et de filles de prisonniers politiques a osé manifester à l’improviste, à Abidjan, devant la sinistre MACA. Quand la peur tombe, les régimes despotiques tremblent… A Ouaga, Kinshasa, Abidjan, des manifestants bravent des despotes : un nouveau printemps de l’Afrique ? Des « révolutions africaines » qui passent enfin le mur du Sahara ? En tout cas la relève est là : la Cote d’Ivoire que nous aimons est de retour.

Une contribution du politologue Michel Galy

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