Le 4 octobre 2023, la Nonciature apostolique en Côte d’Ivoire donnait l’information suivante: “Le pape François a accepté, ce jour, la démission de Son Excellence Mgr Joseph Aké Yapo qui avait demandé à être relevé de sa charge pastorale de l’Archidiocèse de Gagnoa”.
On peut démissionner soit pour raison de santé (Joseph Doré, archevêque de Strasbourg, en 2006 à la suite d’un surmenage et d’une grande fatigue, Marc Stenger, évêque de Troyes, en 2020, après avoir fait un AVC), soit parce qu’on n’est plus d’accord avec le pape, avec l’enseignement de l’Église ou avec certaines pratiques dans l’Église, soit parce qu’on veut être vrai et honnête avec soi-même au lieu de continuer à vivre dans la duplicité et l’hypocrisie. Je ne connais pas beaucoup d’évêques ou de prêtres africains ayant décidé de rendre le tablier de leur propre chef. Ce que je constate plutôt, c’est que de nombreux clercs s’accrochent à leurs postes ou fonctions, quoiqu’ils soient mécontents de leur sort ou en désaccord avec ce qu’on leur demande de vivre. Ils n’ont pas le courage de partir, tout simplement parce que démissionner signifierait pour eux sauter dans le vide, ne plus avoir certains avantages et privilèges, etc.
Mais on peut aussi être limogé, chassé ou démis de ses fonctions. Le Vatican ne prononcera pas ces mots, il emploiera une formule diplomatique (“le pape a accepté la démission de tel ou tel évêque qui avait demandé à être relevé de sa charge”) uniquement pour ne pas choquer les fidèles et pour ne pas humilier l’évêque chassé.
Qu’est-ce qui peut pousser le pape à démettre un évêque avant la fin de son mandat? L’autoritarisme qu’il ne faut pas confondre avec l’autorité, l’absentéisme, les malversations, la négligence vis-à-vis de cas d‘abus sur mineurs, la maltraitance des prêtres. Un évêque qui maltraite ses prêtres est un mauvais berger. Le bon berger soigne la brebis malade, va à la recherche de celle qui s’est momentanément égarée, porte celle qui est fatiguée, pleure avec celle qui pleure. Il est scandaleux qu’un évêque ne soit pas présent aux funérailles du papa ou de la maman d’un prêtre, qu’il ne rende pas visite à un prêtre malade, qu’il refuse d’acheter les médicaments de ce prêtre. Quand un prêtre avait une mauvaise conduite, les premiers évêques ivoiriens ne lui demandaient pas de rentrer dans sa famille, mais l’envoyaient au monastère bénédictin de Bouaké pour lui permettre de se ressourcer spirituellement. Ils ne le faisaient pas passer du statut de curé à celui de vicaire. Un évêque qui affecte un prêtre en brousse parce que ce prêtre ne lui donnait pas d’enveloppes quand il était en ville, un évêque qui monnaie sa signature, qui rackette les prêtres exerçant à l’étranger n’est pas un berger mais un homme d’affaires, voire un mercenaire. Un évêque qui n’apprécie ou ne promeut que les prêtres qui lui donnent de l’argent fait du clientélisme.
Des évêques et cardinaux ont-ils été contraints à la démission? Oui. Citons, entre autres, Rogelio Ricardo Livieres Plano (Paraguay), Alexander Salazar (États-Unis), Giovanni Angelo Becciu (Italie), Franz-Peter Tebartz-Van-Elst (Allemagne), Michel Aupetit, Michel Santier, Philippe Barbarin (France), Hervé Itoua et Jean-Claude Makaya (Congo-Brazzaville), Paulin Pomodimo, Francois-Xavier Yombandje (Centrafrique), Victor Tonye Bakot (Cameroun), Marcel Honorat Agboton (Bénin), Marcel Madila (République démocratique du Congo)
Revenons à Mgr Aké pour ajouter que, du 13 au 21 février 2023, l’archevêque de Cotonou, Mgr Roger Houngbedji, avait été envoyé par le pape pour enquêter sur la gestion des hommes et des finances du diocèse. Cette visite apostolique faisait suite à plusieurs courriers adressés par une bonne partie du clergé de Gagnoa à Rome via la Nonciature apostolique. Il convient de rappeler qu’une vingtaine de prêtres étaient obligés d’aller dans d’autres diocèses (San Pedro, Agboville, Abengourou, Korhogo, Créteil) pour ne pas continuer à subir la dictature et les humiliations d’Aké. L’archevêque de Cotonou, à la fin de sa visite, devait rédiger un rapport et l’adresser au pape. La décision prise début octobre par le pape à l’endroit de Mgr Aké qui devait prendre sa retraite dans 3 ans est le dénouement d’un malaise qui régnait dans le diocèse depuis 2010.
C’est un avertissement donné aux autres évêques africains qui se comportent comme des demi-dieux croyant avoir droit de vie et de mort sur les laïcs et les prêtres.
Par cette décision extraordinaire, François veut faire comprendre qu’un évêque peut être débarqué à tout moment s’il a le comportement d’un tyran et d’un prédateur, que l’épiscopat n’est pas une promotion mais un service, qu’on ne devient pas évêque pour s’enrichir ni pour faire souffrir et stresser inutilement les enfants d’autrui.
Jean-Claude DJÉRÉKÉ