Cette majorité absolue donne évidemment au régime et à son parti la liberté de faire ce qu’ils veulent, entre autres de rejeter tout projet de loi n’allant pas dans le sens des intérêts du régime et des députés de la majorité eux-mêmes, que ce projet vienne des partis de l’opposition parlementaire, ou qu’il vienne du gouvernement.
Tant que les partis d’opposition ne prendront pas sérieusement en compte le problème du rapport des forces, et qu’ils n’accepteront pas, sans arrières pensées, de se mettre ensemble pour le reconstruire en faveur de l’opposition, les réformes constitutionnelles et institutionnelles ne verront jamais le jour, et le processus de démocratisation continuera de tourner en rond au profit du régime.
Le rejet du projet de loi, une des conséquences désastreuses du scrutin de juillet 2013
La nouvelle tournure prise par l’éternelle question des réformes constitutionnelles et institutionnelles est une des désastreuses conséquences de la participation de l’opposition aux législatives de 2013. Elle est plus particulièrement une conséquence des conditions inacceptables dans lesquelles les partis du CST et ceux de la Coalition Arc-en-ciel ont accepté de participer à ce scrutin. Ce sont ces conditions qui ont valu au parti du régime d’avoir une majorité aussi écrasante à l’assemblée.
Cette majorité absolue donne évidemment au régime et à son parti la liberté de faire ce qu’ils veulent, entre autres de rejeter tout projet de loi n’allant pas dans le sens des intérêts du régime et des députés de la majorité eux-mêmes, que ce projet vienne des partis de l’opposition parlementaire, ou qu’il vienne du gouvernement.
Faire croire qu’une question sur laquelle des chefs de partis de l’opposition et des représentants du parti majoritaire auront établi un consensus dans un dialogue pourrait être automatiquement adoptée par l’assemblée dans la situation politique spécifique qui est la nôtre, c’est entretenir une dangereuse confusion dans la masse des opposants et, au-delà, parmi tous ceux qui aspirent au changement politique au sein de la population. De même, croire ou faire croire dans cette situation qu’un consensus puisse s’établir un jour entre le pouvoir en place et son opposition sur des réformes qui mettraient fondamentalement en cause les intérêts vitaux du régime, c’est se faire des illusions ou tromper la masse des opposants. La question de la rétroactivité relative à la loi sur la limitation du mandat présidentiel est un exemple dont on devrait tenir compte.
Dans notre lutte pour la démocratisation du système politique dans le pays, il est donc des questions essentielles sur lesquelles aucun consensus n’est possible entre l’opposition démocratique et les tenants du régime. La question de la rétroactivité le montre bien, tout comme celle du scrutin à deux tours que l’opposition revendique depuis des années déjà. Cette impossibilité de faire un consensus sur ces types de questions ne traduit pas, d’un coté comme de l’autre, une intransigeance condamnable, ni un quelconque manque de bonne volonté de part et d’autre. L’impossibilité tient à une opposition irréductible entre les intérêts vitaux des tenants du pouvoir et les intérêts de la masse des opposants.
C’est pour cette raison que parler à tout propos de « mettre de l’eau dans son vin », comme on l’entend si souvent toutes les fois qu’une opposition irréductible de l’intérêt des tenants du régime et de celui de l’opposition provoque un blocage politique, relève de la naïveté politique ou de la mauvaise foi. Dans la lutte pour la démocratie, il est des cas où le vin ne peut être bu qu’à l’état pur. Du vin coupé d’eau n’est plus du vin dans ces cas, mais du n’importe quoi. En tant qu’opposition aspirant au changement démocratique pour le bonheur des masses populaires, nous ne pouvons pas nous permettre de faire n’importe quoi ; nous sommes tenus d’observer un minimum de rigueur politique et de fermeté toutes les fois qu’elles s’imposent, si nous ne voulons pas livrer le peuple au régime pieds et mains liés, et saborder ainsi le combat pour la démocratie.
Le jeu classique des tenants du pouvoir : faire passer le régime pour un régime démocratique
Le rejet, par le parti du régime, du projet de la loi introduit par le gouvernement ressort clairement comme un jeu convenu entre le pouvoir et le parti. Un jeu convenu pour manipuler encore l’opinion, comme ils savent si bien le faire. Personne ne s’y trompe.
En envoyant son projet de loi dans cette assemblée où son parti détient la majorité absolue, le pouvoir sait pertinemment que le projet sera rejeté sans aucune forme de procès, après un semblant de débat qui offrirait d’ailleurs à la majorité parlementaire de donner un coup de patte à l’opposition en l’accusant d’excès d’intransigeance. En même temps, en envoyant son projet de loi dans cet esprit de jeu convenu, le pouvoir se fait passer pour un pouvoir respectueux des règles de la démocratie, et fait passer du coup le régime pour un régime démocratique.
Par ailleurs, en rejetant le projet de loi dans le même esprit de jeu convenu, la majorité présidentielle veut faire croire qu’elle est indépendante de l’exécutif, en l’occurrence de Faure Gnassingbe, et que l’assemblée fonctionne en toute indépendance vis-à-vis du pouvoir en place. Ce faisant, elle fait passer le régime pour un régime démocratique, en se donnant en plus l’occasion de rendre l’opposition parlementaire responsable du blocage des réformes. Dans ce jeu de dupes, le régime gagne ainsi à tous les coups !
Il est pour le moins surprenant que des chefs de partis d’opposition donnent le sentiment de ne pas prendre conscience de ce jeu convenu du régime, et laissent croire, par leurs attitudes et leurs propos, que le projet de loi allait être tout bonnement voté par la majorité parlementaire. Ce faisant, ils accentuent une confusion déjà trop grande dans les esprits. Les demandes qui ont fusé déci-delà après le rejet du projet de loi (demande de dissolution de l’assemblée, demande de démission du gouvernement…) vont dans le même sens. D’autant plus que ceux qui font ces demandes savent bien qu’il n’en sera rien, et que le régime s’empressera de les faire passer pour des rigolos, et toute l’opposition avec.
C’est dommage. Car au sein de la masse des opposants, ces attitudes et ces propos conduisent de plus en plus de personnes à se demander de quelle politique d’opposition s’agit-il au juste. Et ils ont raison.
Fi des réformes !
Le rejet du prétendu projet de loi clôt la question des réformes, en particulier celle de la limitation du mandat présidentiel assortie de la rétroactivité, et celle du mode de scrutin à deux tours. Ceux qui se sont toujours fait des illusions en croyant que Faure allait faire les réformes parce qu’on lui demande de les faire, en ont pour leur frais. Ils devraient arriver maintenant à tirer les conclusions qu’impose cette nouvelle entourloupe du régime et son parti. Mais auront-ils seulement le courage politique nécessaire pour le faire ?
Jugeant les pratiques politiques des chefs des partis du courant majoritaire de l’opposition, certains ont parlé de naïveté politique face au régime ; d’autres, de mission commandée. Et ils ne sont ni de l’UNIR ni des alliés objectifs du pouvoir en place ! Il ne fait aucun doute que les pratiques politiques de ces chefs du courant majoritaire rendent objectivement des services au régime. La CDPA-BT se refuse à cautionner une politique d’opposition qui offre à chaque fois au régime des occasions de se valoriser à bon compte.
La rumeur et les supputations des uns et des autres laissent entendre que les tractations se poursuivent pour amener le gouvernement à renvoyer une proposition de loi réaménagée à l’assemblée, toujours sur la question des réformes. A partir du moment où, depuis le début de ce pseudo dialogue de Togo Télécom II, les parties prenantes se sont mises d’accord entre elles pour négocier en secret au lieu de travailler dans la transparence, et que le public n’est donc pas informé de ce qui se passe dans ces conclaves, on est bien obligé de s’en remettre à la rumeur.
La rumeur avait en effet laissé entendre que lors du débat sur le projet de loi, la majorité parlementaire aurait demandé à l’opposition parlementaire de prendre sur elle d’écrire à Faure pour le rassurer qu’il peut se porter à nouveau candidat en 2015 ; et que c’est sur le refus de cette proposition inacceptable que la majorité parlementaire aurait rejeté le projet de loi en bloc. Les tractations pourraient se poursuivre par conséquent. Mais pour donner quoi ? Au profit ou au détriment de qui ? Difficile de répondre à ces questions dans une situation de confusion entretenue et de rétention de l’information.
Dans tous les cas, le régime et son parti n’ont pas l’intention de faire des réformes. Surtout pas avant les présidentielles de 2015. Ils tiennent à tout prix à ce que Faure Gnassingbe se présente encore en 2015 pour un 3e mandat. Et ils tiennent à ce que les élections présidentielles se déroulent encore dans les mêmes conditions organisationnelles qui leur ont toujours permis de proclamer leur candidat vainqueur à l’issue des scrutins. Les positions soutenues par le premier vice – président du parti au pouvoir le 17 juillet sur RFI le laissent bien entendre. Mais rien ne permet de dire aujourd’hui qu’ils feraient les réformes au cours de ce 3e mandat ni après.
Georges Aidam sera encore plus précis dans ses propos tenus le 22 juillet 2014 sur une radio de la place. Et sur cette radio, afin de commencer dès à présent à entretenir l’opinion dans l’hypnose de la peur, il n’hésite pas à faire allusion à des situations créées dans le passé par le régime pour imposer son candidat, en usant de la violence d’État comme en 1993, en 2002 et en 2005. Et pour 2015, on comprend encore mieux la stratégie électorale du régime quand on entend Gilbert Bawara soutenir sans sourciller qu’il n’y a aucun lien entre les élections présidentielles en vue et la réforme de la constitution de 2002 ! Rappelons que c’est la constitution de 2002 qui a supprimé la limitation du mandat présidentiel pour qu’Eyadema puisse se présenter aux élections présidentielles autant de fois qu’il le veut.
Un rapport de force à reconstruire
Une chose est encore plus évidente aujourd’hui qu’hier : l état du rapport des forces Opposition/Régime ne permet pas à l’opposition parlementaire d’imposer quoi que ce soit au pouvoir en place dans cette question des réformes à faire. Le régime et son parti exploitent à fond cette faiblesse de l’opposition pour imposer leurs positions. Ils le font avec d’autant plus de mépris qu’ils savent que les pressions dont parle la presse locale, et qui viendraient des milieux diplomatiques, n’en sont pas en réalité. De toute façon, elles sont vaines, comme elles l’ont toujours été dans des cas similaires déjà vécus par l’opposition tout au long de cette lutte pour la démocratie. Qu’on se souvienne des « 22 engagements » et du destin qui leur sont réservé. Certains des partis d’opposition, qui ont participé aux législatives de juillet 2013, se sont plaints à l’issue du scrutin d’avoir été roulés dans la farine par certains milieux diplomatiques. Ce n’est pas impossible. Mais ils n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes !
Il est vrai qu’au sein du corps diplomatique des hommes et des femmes peuvent apporter un appui précieux à l’opposition. Mais la fonction première du diplomate étranger accrédité dans le pays n’est pas de venir instaurer les libertés démocratiques au Togo, à la place des Togolais eux-mêmes. Les membres du corps diplomatique ont pour mission première de représenter et de défendre les intérêts de leurs pays respectifs. Selon les circonstances, ces intérêts peuvent être en opposition irréductible avec les aspirations de la population à la démocratie et au bien-vivre.
Le grave problème auquel l’opposition togolaise est plus que jamais confrontée est en réalité celui de l’état du rapport des forces Opposition/Régime. A l’étape actuelle du combat pour la démocratie, ce problème est bien plus préoccupant que la question des réformes, ou les tractations du régime et de son parti pour se maintenir au pouvoir. Au risque même de choquer ceux qui ont les yeux rivés sur 2015, nous affirmons qu’il est même plus grave pour l’opposition que les élections à venir, qu’il s’agisse des présidentielles ou des locales. Car, notre capacité à reformer ou à refaire les institutions existantes ou à créer de nouvelles institutions démocratiques dépend de notre capacité à reconstruire le rapport des forces pour le mettre en faveur de l’opposition.
La CDPA-BT ne cessera jamais de le dire, au risque de continuer de subir encore les foudres de ceux qui proclament si souvent que notre parti « ne fait rien » et qu’il « se contente de critiquer ceux qui font au moins quelque chose ». Tant que les partis d’opposition ne prendront pas sérieusement en compte le problème du rapport des forces, et qu’ils n’accepteront pas, sans arrières pensées, de se mettre ensemble pour le reconstruire, les réformes constitutionnelles et institutionnelles ne verront jamais le jour, et le processus de démocratisation continuera de tourner en rond en se mordant la queue au profit du régime.
Fait à Lomé le 5 août 2014.
Pour la CDPA-BT,
Son Premier Secrétaire
Prof. E. GU-KONU