« Jésus dit à ses disciples : Il est impossible qu’il n’arrive pas des scandales; mais malheur à celui par qui ils arrivent!
Il vaudrait mieux pour lui qu’on mît à son cou une pierre de moulin et qu’on le jetât dans la mer, que sil scandalisait un de ces petits » Luc 17: 1-2.
Le cycle des pierres se poursuit au Togo et moi aussi, entraîné par la force de l’actualité,comme la plupart des huit millions de Togolais irrésistiblement, je m’y maintiens.
Et pourquoi aller chercher l’image maîtresse de mon développement dans la Bible, alors que je peux la puiser dans nos traditions? Celle par exemple d’un chant populaire mina que l’on exécute à la fin de la prestation d’un chantre, pour le provoquer et le mettre à l’épreuve de la danse avec une pointe d’humour: sait-il aussi bien danser qu’il sait chanter?
Nukƹ le tume na wo ?
Hasi dji ha ma đuwe
Be axlixã le tume na wo ma?
Ekpe le tume na wo ma….
( Qu’as-tu donc au dos
Chanteur qui chante mais ne danse pas
As-tu une pierre attachée au dos
As-tu un rocher dans le dos…)
Les slogans, les harangues et les chants témoignent de talents certains et de louables efforts, mais s’ils son rendus imparfaits par la raideur du chanteur dont les mouvements sont alourdis par une grosse pierre au dos, la prestation entière n’est-elle pas jugée médiocre?
En effet, si on peut féliciter le chantre pour sa belle voix, l’esthétique musicale de son chant, la poésie du texte qu’il vient d’exécuter, tout cela serait réduit à néant s’il ne pouvait conclure sa prestation par la danse, parce qu’il est bloqué par une pierre sur l’axe de déplacement des omoplates, essentiel pour bouger.
Et le chant continue, moqueur à l’égard du chanteur, incapable de bouger à cause de la pierre:
E le me ne gađo ( il le porte enfoncé en lui, érigé, coincé ).
Et je dis, comme Jésus : que celui qui a de l’entendement comprenne ce que nous disent les pierres, puisque au temps de Jésus comme aujourd’hui les pierres parlent, les pierres qu’on jette dans un fleuve ou dans la mer, les pierres lancées soi-disant pour caresser et apaiser mais qui en fait blessent, tuent et ensevelissent et maintenant, la pierre de meule que l’on attache au cou de certains ou le rocher au dos du chantre. La pierre que certains se laissent attacher au cou. Des situations dans lesquelles certains se mettent eux-mêmes et dont ils ne peuvent se tirer qu’avec une pierre de meuble attachée autour du cou, scandales dont ils ont été les auteurs ou les complices plus ou moins directs. Mais avant cela il y a la pierre monumentale du scandale lui-même, qui nous assomme, nous atterre, nous donne la nausée, nous plonge dans le coma. Pour combien de temps? Cinq ans, dix ans, cinquante ans…Apprendrons-nous au Togo la leçon des pierres, apprendrons-nous à réfléchir sur le symbolisme des différentes sortes de pierres et à en tirer des leçons?
Qui, en toute franchise pourra dire que ce qui vient de se passer au Togo le 25 juillet, sous couleur d’élections, n’est pas un scandale, comme étaient déjà scandales les prétendues élections de 2005, pour commencer simplement par là, puis de 2007, puis de 2010…? Qui pourra dire que les « petits » n’ont pas été scandalisés, ne sont pas les vrais victimes du scandale? Maintenant, malheur à l’homme, oui d’accord l’homme on le connaît, l’homme au profit de qui tout ce scandale est organisé, l’homme dépourvu de toute humanité réelle.. mais aussi malheur aux femmes et aux hommes par qui ce scandale a été planifié, organisé, facilité, observé, accompagné, exécuté, approuvé, applaudi, arrosé de champagne, fêté, caressé. Malheur à ceux qui tentent de ramollir la pierre du scandale pour nous la faire avaler. Malheur ou honte. A chacun selon sa catégorie…Je conviens que le degré de responsabilité dans ce scandale n’est pas le même pour tous, pour toutes les catégorie mais aucun des auteurs du scandale, aucun des complices à quelque niveau que ce soit ne sera innocenté. On a beau gémir, on a même beau crier au scandale après en avoir été complices ou en attendant d’en jouir, car certains vont en jouir, au moins en apparence pendant quelque temps, la pierre est déjà attachée au cou., ou enfoncée dans le dos, coinçant l’axe des omoplates, empêchant toute action. Tu dis, pour te justifier, tentant de t’en débarrasser : « Moi, je suis un prêtre, un défenseur des droits de l’homme, un homme de la paix, moi je suis un diplomate, un homme qui cherche seulement à aider votre pays à vivre dans la paix et l’harmonie, en vue de son développement, de la consolidation de la démocratie, je suis un humaniste, un technocrate, un observateur, un démocrate,…Les vrais démocrates ne font pas ceci, ne font pas cela… Je ne cherchais pas le pouvoir pour moi-même, je ne recherchais que le bien de la nation, le bien du peuple…» Mais, pour être prêtre, défenseur des droits de l’homme, démocrate, diplomate, technocrate, qui que tu sois, savais-tu oui ou non que l’on courait au scandale, et que les victimes en seront les petits, le peuple?
Tombeau blanchi! La métaphore de Jésus signifie scribes et pharisiens hypocrites. Scribes et pharisiens prêtres bien instruits du mystère des valeurs de vérité et d’équité mais qui appuient le mensonge, s’appuient sur le mensonge, scribes lettrés, élites diplômés qui savent beaucoup de choses et qui aiment être « salués dans la rue »: maîtres, docteurs, professeurs, seigneurs, pardon, Monseigneur! Scribes et pharisiens qui prétendent défendre les droits de l’homme et du citoyen, œuvrer au bien-être de nos populations, mais qui en fait ne courent que vers les indemnités parlementaires, le pouvoir et le prestige social. Tombeaux blanchis! La peinture extérieure du tombeau peut être de toutes les couleurs : jaune, orange, vert, ocre, rouge, blanc, violet…Couleurs de diplômes, de titres, de talents d’orateurs. Ce ne sera jamais autre chose que pierre tombale peinte, pure apparence clinquante. Et malheureusement les foules aiment les apparences. Les foules éblouies, fascinées, hypnotisées, c’est-à-dire trompées. Mais malheur aux hommes et aux femmes par qui les foules sont sciemment trompées. Et je connais plus d’un tas d’ossements qui se promènent, se pavanent même en revêtements de couleurs éclatantes. Vous me demandez si tous ceux qui savaient qu’ils menaient nos foules au scandale et qui, chacun selon son degré de responsabilité, ont la pierre attachée au cou, ceux qui hier, encore libres, avaient le port de tête bien droit, qui se tenaient dans la position verticale(pour ne pas dire radicale) caractéristique de l’homme, qui marchaient, couraient, mais qui sont aujourd’hui courbés sous le poids de la pierre, la pierre de la honte, si tous ceux-là doivent être jetés dans la mer, comme ils jetaient eux-mêmes les pierres et invitaient le peuple à en jeter dans la mer.
Avant le mini dialogue, Agboyibo déclarait que boycotter les législatives, c’était laisser le boulevard large au pouvoir. Cet homme intelligent a-t-il le courage de regarder aujourd’hui la situation en face et d’observer qu’il y a plusieurs façons d’être sur le boulevard? Y passer dans un cortège triomphant comme Eyadema dans ses années de gloire, s’y ranger tout le long et voir passer le cortège et même être contraint, pierre au cou, d’applaudir, se cacher parmi la foule massée tout le long, de honte, de peur, de résignation, profil bas, pierre au cou..Pourquoi, depuis plusieurs années, les plus intelligents d’entre nous parlent et se comportent comme des crétins, face aux pièges du régime? Et, pourquoi, un autre piège, 29 femmes et hommes( pas des moutons) vont aller siéger dans une assemblée où le régime s’est taillé, arbitrairement, contre la volonté du peuple, la majorité qualifiée pour faire tout ce qu’il lui faut pour rester en place encore plusieurs décennies? En attendant que 9 des 29 soient exclus. Bien sûr qu’ils peuvent espérer être dédommagés, seulement après l’expiration du mandat qu’ils n’auront pas pu exercer, et à condition qu’ils acceptent d’aller, avec les autres, à nouveau sagement, c’est-à-dire pierre au cou (quelques millions de CFA ) former la haie au cortège faussement triomphant du régime.
Pour moi, il n’y a qu’une voie : d’abord prendre conscience qu’il leur est difficile de redresser le cou, de recouvrer la position verticale, ensuite, reconnaître qu’ils rampent depuis le fameux mini dialogue où le régime leur a fait avaler tout ce qu’il voulait leur faire avaler et enfin, secouer la pierre qu’ils ont au cou. Cet acte sera le commencement de la déconstruction indispensable du système d’oppression et d’abrutissement dans notre pays. Ce sera la pierre la plus terrible lancée de toutes nos forces réunies à la face de ce régime, et qui pourra le faire vaciller, l’ébranler, le casser, le déconstruire. Déconstruction avant la reconstruction. La gifle, réellement la plus retentissante dont on ait jamais entendu parler au Togo, plus retentissante que les trompettes qui firent s’écrouler les murailles de Jéricho. Alors, on pourra, tête haute, sans vaine incantation, fièrement, recommencer à parler du départ de Gnassingbé comme condition unique de dialogue inter-togolais,de désobéissance civile comme slogan et comme actes. Cela est possible, si tous, d’un commun accord, disent non aux sièges de l’assemblée dite nationale pour lesquels ils ne peuvent pas se vanter d’avoir été élus par le peuple togolais, mais qu’un homme, celui-là même qui a la pierre de meule au cou leur a arbitrairement attribués. Aberration des aberrations! Cette gifle vaut les sept tours de Jéricho. Mais elle coûte trop cher! Peut-être plus que toutes les sueurs, les efforts accumulés, les douleurs éprouvées à marcher sur Jéricho.
Que reste-t-il à ceux qui ne veulent pas en payer le prix? Être jetés ou mieux, rejetés, engloutis comme d’autres avant eux, dans la mer de l’ignominie et de l’oubli.
Sénouvo Agbota ZINSOU