François Boumart est fondateur du groupe New Pol. Quoique vivant en France, il s’intéresse à ce qui se déroule en Côte d’Ivoire. S’il ne cache pas son admiration pour Thomas Sankara et Laurent Gbagbo, il dit être davantage touché par la résilience et la détermination du second.
Tous les Africains ont vu l’injuste guerre de la France chiraquienne et sarkozienne contre un homme qui refusait d’être un sous-préfet de la France en Afrique. Tous savent aujourd’hui comment la France a humilié et sorti Gbagbo pour installer Ouattara dans le fauteuil présidentiel « sans aucune polémique » en avril 2011 comme l’a confessé Nicolas Sarkozy dans « Ça reste entre nous, hein? », ouvrage écrit par Nathalie Schuck et Frédéric Gersche en 2014 et publié par Flammarion. Tous savent que ce ne sont pas les inexpérimentés soldats fidèles à Ouattara mais la coalition franco-onusienne qui vint à bout de la résistance de l’armée ivoirienne.
Boumart a voulu avoir plus de détails sur cette page douloureuse de la Côte d’Ivoire. Pour cela, il a jugé bon de donner la parole à un témoin et à un sachant, bref à une des personnes qui étaient dans la résidence présidentielle au moment où celle-ci était bombardée par la force Licorne. Il s’agit de Koudou Jeannette. Les informations qu’elle livre sont d’autant plus précieuses que la petite sœur de l’ancien président n’a pas l’habitude de répondre aux questions des journalistes.
J’ai prêté la plus grande attention à chaque parole et à chaque mot de cette dame née en 1948 et je dois avouer que son récit est poignant, qu’il m’a bouleversé et plongé dans une grande tristesse.
J’étais déjà informé de certains faits comme les pseudonymes que Jeannette Koudou, Abou Drahamane Sangaré, Émile Boga Doudou et Laurent Gbagbo étaient obligés d’utiliser lorsqu’ils dénonçaient les tares et dérives du Pdci afin de ne pas se faire prendre, le départ en exil de Laurent Gbagbo en 1982, la première réunion à Dabou du Front populaire ivoirien avant le retour du multipartisme dans le pays, etc. Par contre, je ne savais pas que Jeannette Koudou avait été arrêtée et incarcérée par le régime Houphouët-Boigny, que Ouattara avait manqué de compassion et d’humanité quand Marguerite Gado, la maman de Laurent et Jeannette, avait besoin d’une ambulance pour être conduite de Yamoussoukro à Gagnoa et que Gbagbo voulait participer aux obsèques de sa mère.
La manière dont Ouattara traita les deux affaires dit quelque chose de lui, montre à la fois sa cruauté et sa méchanceté car tout homme imprégné des valeurs africaines ne peut se comporter comme lui, Ouattara, se comporta.
Et pourtant, le 7 décembre 2005, Laurent Gbagbo s’était rendu au domicile d’Alassane Ouattara pour lui présenter ses condoléances après le décès de Hadja Ouattara née Cissé qui n’est personne d’autre que la génitrice de Ouattara. C’est Victor Ékra qui avait pris la parole au nom du président ivoirien à cette occasion. À la famille éplorée, Ékra avait dit ceci: « Le malheur qui vous frappe est également le sien… C’est également sa famille. » Un ou deux jours plus tôt, Gbagbo lui-même avait téléphoné à Ouattara pour lui dire « yako ». Gbagbo s’était montré solidaire de Ouattara frappé par le malheur parce que, en Afrique, on pleure toujours avec celui qui pleure et parce que « c’est autour de la mort que les vivants se réconcilient ». Je ne me rappelle plus l’année mais les Ivoiriens n’ont pas oublié que le même Gbagbo avait fait évacuer Gaoussou Ouattara, le grand frère d’Alassane Dramane Ouattara, en France pour des soins.
La maladie, le deuil sont des moments où la fraternité doit supplanter l’animosité. Tel est le sens de la visite que l’ancien Premier ministre Daniel Kablan Duncan et d’autres hauts cadres du Pdci rendirent à Marguerite Gado quand elle rentra de son exil ghanéen. Ils voulaient signifier que tout ne peut pas être politisé, qu’il y a les relations humaines avant la politique où le combat peut être féroce et que c’est précisément l’humanisme qui rend ces relations humaines.
Je n’ai pas toujours adhéré à l’idée que Ouattara était un monstre froid. Mais ceux qui le présentent ainsi, ceux qui le trouvent sans cœur et ingrat, ceux qui comme l’ancien président Thabo Mbeki qui ne ressentent que du dégoût pour Ouattara parce qu’il « est un homme qui n’a ni foi en l’honneur ni parole d’honneur » ont-ils totalement tort? Ma réponse est « non » et d’autres exemples, en plus de ce que Gbagbo fit pour Ouattara, pourront le démontrer aisément.
Le président du Rdr n’a-t-il pas tenté de renverser les dirigeants des pays voisins (Burkina, Mali, Niger) qui l’avaient soutenu avant son arrivée au pouvoir parce qu’ils le prenaient pour un des leurs (dioula et musulman)? Guillaume Soro, qui donna sa poitrine et revendiqua la paternité de la rébellion pour ne pas compromettre Ouattara, qu’est-il devenu? Où se trouve-t-il aujourd’hui ? Certains de ses partisans ne sont-ils pas en prison ou en exil? Son parti, Générations et peuples solidaires (Gps), n’a-t-il pas été dissous?
Frédéric Fernand Guirma fut le premier ambassadeur de la Haute-Volta aux États-Unis (1960-1963). Avant son décès (le 9 janvier 2024), il témoigna qu’il donna par sa secrétaire $400 à chacun des quatre étudiants voltaïques qui avaient bénéficié d’une bourse américaine parce que le gouvernement voltaïque n’avait rien prévu pour eux. Alassane Ouattara et Arba Diallo faisaient partie de ces quatre étudiants. Guirma raconte que Ouattara non seulement alla s’inscrire au consulat de la Côte d’Ivoire mais disparut complètement de la circulation. Guirma ne le reverra que longtemps plus tard. Quant à Houphouët, de là où il se trouve maintenant, il pourrait ajouter : « Il n’a pas été capable de respecter l’engagement pris devant moi, à savoir ne jamais se mêler de la politique ivoirienne. S’il avait pensé à ce que j’ai fait pour lui (le faire nommer gouverneur de la Bceao, poste qui revient à la Côte d’Ivoire), il n’aurait pas maltraité les Ivoiriens de la sorte. Beaucoup de cadres bien formés par l’État m’ont prématurément rejoint dans l’autre monde. Mais j’ai foi que ceux qui sont encore en vie peuvent sauver le pays et le reprendre. Pour ce faire, ils ont besoin de se mettre ensemble. Seule l’union peut les aider à mettre fin à ce cauchemar qui a commencé en 1993. »
De même qu’il n’y pas de politique sans éthique, de la même manière une politique où on terrorise et contrôle le peuple, où on sacrifie des vies humaines tout en construisant des ponts et des routes, n’a pas de sens.
Faire de la politique, ce n’est pas cesser d’être humain.
Jean-Claude Djéréké