« Le critère le plus sûr de la mise en péril de l’indépendance repose sur la conjonction des trois dérives : la confiscation du pouvoir au profit d’un homme et de son clan ; l’éradication progressive de tout contre-pouvoir ; et le démantèlement systématique, dissimulé ou non, de tous les mécanismes de la construction d’une nation » Calixte Baniafouna
On répète partout en Occident, qu’en France, aux Etats-Unis ou dans d’autres pays du Nord, la démocratie serait installée. Qu’ils sont des démocraties, alors que quelques autres se voient refuser ce même label. Dans ces « démocraties occidentales » l’on répète avec une incantatoire satisfaction, que l’on vit dans un Etat de droit, qu’un parlement indépendant fonctionne, ou une presse libre nourrit le contre-pouvoir. A travers ces discours, ces pays ou plutôt leurs représentants se décernent à eux-mêmes un brevet de haute civilisation politique, une certification de supériorité mais aussi d’achèvement, de perfection en matière d’institutions. Partant de là, avec l’appui et la complicité d’une communauté dite internationale, ils s’autorisent à prononcer magistralement la condamnation de tel autre gouvernement, isolent son peuple, interdisent tout commerce avec lui, et au nom de ces nobles idéaux politiques, décident de lui faire la guerre, en lui expédiant leurs armées et l’écraser sous les bombes… au nom de la « Démocratie » !
La démocratie, qui a toujours été conçue depuis l’Antiquité comme le règne de l’égalité, de la fraternité et de la liberté, est en train de succomber à des pathologies contemporaines d’intérêts stratégiques et énergétiques. La vie politique internationale du XXIe siècle comme celle du précédent rend nécessaire l’intérêt d’une réflexion sur la nature de la démocratie et son aboutissement notamment depuis l’apparition des nouvelles démocraties armées nées du printemps arabe et soutenues pas l’Occident.
La démocratie peut-elle être imposée de l’étranger? Ces pays sont-ils eux-mêmes des modèles démocratiques ? On peut en douter lorsque l’on voit, par exemple, Nicolas Sarkozy annoncer lui-même une loi non encore adoptée par le Parlement lors d’une allocution.
Dépouillée de son contenu malheureusement, la démocratie conduit à la déception et à la désillusion. Vidée de son essence, elle conduit les populations des pays africains à s’interroger sur ses bienfaits, ce qui est fortement regrettable quand on sait que démocratie et progrès vont de pair. La tâche de repenser le concept en Afrique en lui donnant un contenu est donc essentiel.
Sortir d’une démocratie théorique
Les processus de légitimité sont diversifiés et articulent plusieurs sources de légitimation. Dans les démocraties modernes, la légitimité provient essentiellement de la limitation du pouvoir exécutif. Or ce modèle de démocratie représentative reposant sur le suffrage universel, dans le contexte que nous étudions, ne recouvre pas toujours une acception totale de la notion.
En Côte d’Ivoire, les Ivoiriens ont marqué leur attachement à la démocratie en votant massivement aux dernières élections présidentielles. Mais la démocratie ne peut se résumer à un bulletin de vote.
Les pères fondateurs des Etats-Unis disaient que la démocratie peut devenir tyrannie si elle se limite au vote des citoyens. La communauté internationale et les pays de hautes civilisations démocratiques comme la France et les Etats-Unis ont eu vite fait de décréter la démocratie en imposant Alassane Ouattara sur des arguments juridiques demeurant fortement contestables. Mais quand Alassane Ouattara dissout de fait le Parlement, procède à des nominations illégales au Conseil Constitutionnel et adopte par décret un budget de plusieurs centaines de milliards, il ne se trouve aucun défenseur de la Démocratie pour lui en rappeler les fondements et bien au contraire il est invité aux Etats-Unis par Barack Obama lui-même en tant que modèle démocratique en Afrique. Force est de constater qu’après le scrutin, ceux qui l’ont aidé à prendre le pouvoir se lavent les mains du sort de cette démocratie agonisante. Imaginons un instant que Sarkozy, malgré le caractère hyper-présidentialiste du régime politique français, décide de dissoudre l’Assemblée nationale française. Plus que l’ire des populations ce sont les services psychiatriques qui le guetteraient.
La communauté internationale devrait donc être logique et aller jusqu’au bout de sa démarche, en veillant à ce que les démocraties qu’elle installe ne se limite pas à un scrutin certifié. Ce « label de qualité » ne peut résister à des dirigeants qui ensuite bafouent la constitution de leur pays, l’éloignent de l’Etat de droit en glissant vers l’autocratie. C’est pourtant le cas que vit la Côte d’Ivoire actuellement et la communauté internationale reste maintenant muette. N’est-ce pas une étrange conception de la démocratie ?
Une véritable démocratie doit être nourrie de contre-pouvoirs, tels que des médias diversifiés, des partis d’opposition, une société civile forte et libre de ses idées et actions. Il est cependant encourageant de constater que la presse ivoirienne de tous bords dénonce de plus en plus les abus du régime Ouattara et l’insécurité qui demeure inquiétante dans le pays.
Aller vers une démocratie qui exprime nos valeurs
La démocratie doit être la même partout. Pourquoi le contenu de la démocratie ne se réduirait qu’au processus électoral en Afrique ?
Pour la majorité des gens, l’acte de choisir le « roi » est séduisant et provoque un sentiment irrationnel de puissance, convaincus que si le chef de l’exécutif est l’élu du suffrage universel, il exécute les volontés du peuple alors qu’en réalité il est plutôt enclin à le partager avec les siens. La campagne présidentielle ivoirienne a montré que l’adhésion à un candidat relevait de l’émotif et du sentiment ethnique. L’analyse théorique du contenu des programmes est réservée à une minorité d’experts dont les jugements contradictoires dépendent avant tout de leurs propres engagements politiques. L’élection du président de la république au suffrage universel transforme la république en monarchie élective. Ce que les gens ne discernent pas c’est qu’entre deux élections, muni d’une légitimité très forte qui vaut presqu’onction divine, le tout puissant Président échappe à tout contrôle. Il peut pratiquement tout se permettre. Cette situation est dangereuse et se prête à des dérives imprévisibles.
C’est pourquoi sous nos cieux, notre Constitution doit être adaptée à nos valeurs et nos Etats très hétéroclites. Il s’agira de permettre à toutes les composantes du peuple de détenir un morceau du pouvoir central. A ce titre, le régime parlementaire se présente comme le régime le plus adapté à l’Afrique et à la Côte d’Ivoire en particulier. Rien n’empêcherait par exemple que les chefs traditionnels et les rois se présentent à des élections législatives. Ainsi décentralisée, la démocratie deviendrait une réalité palpable et quotidienne pour les populations. Dans un régime présidentiel, toute élection est aussi pour le citoyen une dépossession, car le pouvoir remis entre les mains de l’élu est perdu pour toute la durée du mandat. La recherche d’une organisation démocratique doit mettre en place des contre-pouvoirs efficaces qui doivent intervenir durant cette période. Aujourd’hui, le pouvoir exécutif a carte blanche pour la durée de son mandat de cinq ans alors que dans une démocratie parlementaire, seuls les élus sont désignés pour la durée d’un mandat, celui qui exerce le pouvoir exécutif demeure par contre dans une position précaire, il est contrôlé et peut à chaque instant être désavoué. Le rapport au pouvoir n’est alors plus le même.
La démocratie en Côte d’Ivoire ou en Libye ne recouvre plus vraiment une réalité quelconque, elle est devenue théorique, une expression vide de sens chargée de couvrir d’un voile pudique une lutte acharnée pour le pouvoir entre des intérêts, dont l’objectif essentiel est de s’assurer le contrôle des ressources énergétiques. Le monde occidental dans son approche donne le sentiment de se retrouver à l’époque de la colonisation où les missionnaires venaient avec leur Bible pour mieux asservir les Noirs, incultes et sauvages, sous le couvert de leur apporter foi et civilisation. Aujourd’hui, la démocratie semble remplacer la Bible, mais l’objectif n’a pas changé. La démocratie constitue un phénomène universel qui, par ses principes fondamentaux, fait de l’homme un sujet de droit. Cependant, elle pose un problème de fond pour les pays africains du point de vue de son intégration et de son application véritable. Mais l’objectif démocratique en Afrique n’est pas à éliminer bien que son application reste problématique.
Par Mohamed Radwan, Chercheur ivoirien