« Vaticangate 2012 ». Argent, sexe et conjuration. Le Saint-Siège, un Etat voyou comme un autre ?

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Etonnante Pentecôte. L’Esprit Saint devrait descendre sur la Place Saint-Pierre à Rome. Il y a du « boulot » là-bas. En quelques jours, il y a eu la présentation à la presse étrangère (mercredi 23 mai 2012), par le théologien de gauche Vito Mancuso, du livre explosif de Gianluigi Nuzzi : « Sua Santità. Le carte segrete di Benedetto XVI » (Sa Sainteté. Les papiers secrets de Benoît XVI) ; puis, le lendemain (jeudi 24 mai 2012), le limogeage « sans ménagement » d’Ettore Gotti Tedeschi, président de la banque vaticane, l’Institut des œuvres religieuses (IOR) ; enfin, à la veille du week-end (vendredi 25 mai 2012), l’arrestation (pour « possession illégale de documents confidentiels ») par la gendarmerie vaticane de Paolo Gabriele, majordome des appartements du pape (un des rares Italiens à avoir obtenu la nationalité vaticane), le laïc le plus proche du Saint-Père : il le suit comme son ombre de son lever à son coucher.

Pour l’archevêque de Lyon, primat des Gaules, le cardinal Philippe Barbarin : « Quand la trahison vient de ses proches, de ceux sur lesquels il [le pape]devrait pouvoir compter pour accomplir sa mission, c’est un vrai scandale » (déclaration à Adeline Fleury – Le Journal du Dimanche, 27 mai 2012). Le problème c’est que Gabriele (qui avait chez lui l’attirail de reproduction du parfait espion) est aussi présenté comme un « chevalier blanc », membre « d’un réseau secret œuvrant au sein même du Vatican pour le bien du pape et dont le but est de dénoncer la gouvernance du cardinal Tarcisio Bertone » (Adeline Fleury – cf. supra).

Je vais revenir sur la personnalité de Bertone. Mais retour d’abord au livre du journaliste Nuzzi qui, lui aussi, revendique un comportement éthique : « Il n’y a pas une parole dans mon livre contre la foi, l’Eglise, le Saint-Père » ; il assure par ailleurs que « la moitié de ses droits d’auteur [iront]à des œuvres caritatives » (Philippe Ridet – Le Monde, 27-28 mai 2012). Dans ce livre, il reproduit in extenso des documents confidentiels, des fax, des notes manuscrites, etc. qui couvrent 26 thèmes : affaires de corruption ; opacité financière ; finances des instituts catholiques ; scandales de pédophilie ; déviations sexuelles de prêtres ; pratiques sexuelles des Légionnaires du Christ ; réintégration des intégristes schismatiques, notamment les lefebvristes de la Fraternité Saint-Pie X* ; pressions de l’Eglise d’Italie (connexion du pape avec le groupe Communion et Libération) et du Vatican sur des sujets de société ; le fonctionnement de l’Eglise en Chine, en Allemagne ; la chute en 2011 de Mgr Carlo Maria Vigano, gestionnaire de la cité du Vatican, « exilé » comme nonce apostolique aux Etats-Unis… On y trouve même le numéro du compte bancaire personnel du pape. Les vaticanistes rappellent qu’un groupe d’experts européens doit, début juillet 2012, « décider si le Vatican peut rejoindre la liste des Etats transparents dans la lutte antiblanchiment. Cela ferait très désordre de voir le Vatican figurer aux côtés de paradis fiscaux ou d’Etats voyous » (Bernard Leconte, auteur des « Derniers Secrets du Vatican » – éditions Perrin ; entretien avec Adeline Fleury – cf. supra).

Le Saint-Siège est (presque) un Etat comme un autre** ; ce « déballage » (concernant une aberration institutionnelle : le Vatican est un des Etats les plus sexistes et réactionnaires ; le moins transparent, démocratique et laïc ; et son « patron » a 85 ans !) s’inscrit dans une stratégie dont la finalité n’est pas Dieu mais le pouvoir. Le pouvoir temporel. Ici comme ailleurs, la préoccupation c’est la… succession sur le trône de Saint-Pierre. Pas très catholique tout ça… !

Personne ne peut penser que l’initiative de Paolo Gabriele soit le résultat d’une démarche individuelle motivée par un « mobile idéologique » comme l’affirment, actuellement, certains commentateurs. Ce « Vaticangate » s’inscrit dans une lutte d’influence qui dépasse largement les frontières de la cité vaticane. Le Saint-Siège est dans Rome et l’oublier c’est faire l’impasse sur une donnée essentielle. Le Saint-Siège est aussi dans le monde – avec un réseau diplomatique parmi les plus significatifs : près de 180 ambassadeurs sont accrédités près le Saint-Siège dont 80 résident à Rome ; et le Vatican compte une flopée de nonces apostoliques (pas loin de 120) qui, avec les réseaux catholiques, les groupes d’influence, les officines diverses…, composent une nébuleuse qui a tout d’un groupe de pression (à commencer par l’Opus Dei, qui dépend directement du pape et compte plus de 84.000 membres, plus connu que Communion et libération qui compte pourtant deux fois plus de membres et s’avère être une des structures les plus conservatrices sous tutelle du Vatican).

Il y a quelques années, l’hebdomadaire Marianne (14-20 février 2009) – proche de la gauche française radicale et laïque il est vrai – écrivait que l’Eglise « vire au brun » dans une enquête titrée sans ambiguïté : « La vraie influence de l’extrême droite dans l’Eglise ». C’est en 2009 aussi qu’ont été publiés quelques livres très significatifs (signés par des « vaticanistes »), fort bien documentés, sur les dérives (et c’est un euphémisme) vaticanes : « Le Pape et le diable » (sous titre : « Pie XII, le Vatican et Hitler, les révélations des archives ») publié par les très sérieuses éditions du CNRS sous la signature de l’Allemand Hubert Wolf, spécialiste de l’histoire de l’Eglise ; « Le Roman du Vatican secret » de Baudoin Bollaert (ancien rédacteur en chef du quotidien Le Figaro et son ancien correspondant à Rome) et Bruno Bartoloni (le « vaticaniste » de l’AFP pendant plus de vingt-cinq ans) ; « Les Secrets du Vatican » de Bernard Lecomte (ancien journaliste à La Croix puis à L’Express, connaissant bien Benoît XVI, il a écrit, depuis, « Derniers secrets du Vatican » et suit avec une attention particulière le « Vaticangate »).

Alors que l’Union européenne est livrée au chaos et que l’Italie se porte au plus mal, le Vatican est livré à une lutte d’influence, qui peut prendre des allures de complot. Un complot qui viserait, dans un contexte politique italien particulièrement volatile, à impliquer l’Eglise, plus encore qu’elle ne l’est aujourd’hui, dans un combat contre la « dérive laïciste » en dénonçant la mauvaise gestion des affaires temporelles par la bureaucratie vaticane actuellement en place sous l’autorité de Bertone ? On peut le craindre.

* Mgr Marcel Lefebvre, mort le 25 mars 1991, a été le fer de lance du maintien de la « tradition catholique » et, du même coup, le plus vigoureux des prêtres hostiles au concile Vatican II, « boîte de Pandore ouverte au modernisme ». Jugé réactionnaire et contre-révolutionnaire, totalement ancré dans l’idéologie que véhicule l’extrême droite française d’avant-guerre (courant maurassien), il va devenir le chef de file des intégristes français.
C’est à Ecône, en Suisse, que, dès 1970, Mgr Lefebvre va fonder la Fraternité sacerdotale Saint Pie-X, un pape (4 août 1903-20 août 1914) auquel on doit la création en 1909 du Sodalitium Pianum (SP), un réseau d’espions chargé d’éradiquer les « modernistes » et les tenants du « libéralisme » ; le SP sera surnommé, au sein même de la Curie romaine, la « Terreur sacrée ».
Mgr Lefebvre avait fait une partie de sa carrière en Afrique ; il avait été notamment missionnaire au Gabon, premier délégué apostolique au Cameroun, supérieur général des Pères du Saint-Esprit, archevêque de Dakar, délégué apostolique pour l’Afrique noire francophone. Le 25 novembre 1981, quand le cardinal Joseph Ratzinger, futur Benoît XVI, va prendre la tête de la Congrégation pour la doctrine de la foi, il va être en charge du « dossier Lefebvre ». Le 5 mai 1988, il signera un premier accord avec lui avant que Mgr Lefebvre ne se rétracte le lendemain. Le 19 avril 2005, Ratzinger est élu pape ; il va recevoir le chef des lefebvristes quelques mois plus tard. Le 21 janvier 2009, il lèvera les excommunications prononcées en 1988.

Illustration de la pensée de Mgr Lefebvre : « Voter socialiste, c’est voter contre Dieu. Le programme socialiste fait frémir pour l’âme des enfants… » (21 juin 1981, lors des élections législatives françaises à la suite de l’élection de François Mitterrand). « Il n’y a pas un pays où l’on puisse circuler aussi librement qu’au Chili » (13 avril 1987, au sujet du régime Pinochet).

** Dans un livre passionnant (cf. LDD Spécial Week-End 0288/Samedi 7-dimanche 8 juillet 2007), intitulé « La Sainte Alliance. La véritable histoire des services secrets du Vatican » (éditions Flammarion – Paris, 2006) – écrit en 2004 par un journaliste péruvien (c’est pourquoi ses livres sont d’abord publiés en Espagne) : Eric Frattini Alonso, avant l’accession au trône de Benoît XVI – l’auteur rappelle que c’est 1566 que les services du Vatican ont été créés et, depuis, la liste de leurs opérations est incroyablement longue. Sous le seul pontificat de Jean-Paul II, Alonso évoque des ventes d’armes, le financement de dictatures, des coups d’Etat, des faillites financières et bancaires, des personnes « suicidées », etc. Il rappelle également que c’est à l’issue d’une visite au Vatican que l’historien catholique anglais, Lord Acton, a eu cette formule qui, depuis, a fait le tour du monde : « Le pouvoir corrompt et le pouvoir absolu corrompent de façon absolue ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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