Il y’a quelques années qu’il n’a plus parlé de la Côte-d’Ivoire, pays qu’il connait bien pour avoir connu nombre de ses hommes politiques. Lui, c’est l’analyste politique Komla Kpogli, Secrétaire général du MOLTRA (Mouvement pour la Libération totale et le Reconstruction de l’Afrique). Quand nous lui avions demandé cette interview lors de son passage éclair dans la capitale Allemande, l’homme a répondu sans hésiter par l’affirmative. Pour la n’ième fois, l’analyste politique met encore le doigt sur la tragédie ivoirienne et de ses acteurs. Pêle-mêle, il cite Alassane Ouattara dans le rôle de « l’élite locale formée pour collaborer à l’exploitation de l’Afrique ». Guillaume Soro pour l’analyste « a été armé et il est toujours armé. Il est une poudrière à lui tout seul… ». Emanuel Macron n’est pas non plus épargné. Un condensé du drame ivoirien en un clic !
Lynx.info : Grosso modo, pourquoi Alassane Ouattara ne réussit pas, là où toutes les chances lui tendaient les bras : retour des bailleurs de fonds, cessation de la guerre, reprise de la diplomatie ivoirienne ?
Komla Kpogli : Votre question est curieuse. Qui connaissait la provenance et, par conséquent, la destination d’Alassane Ouattara ne pouvait penser un seul instant que le territoire de Côte d’Ivoire avait une quelconque chance d’être bien gouverné par lui. Ouattara est un pur produit de l’école coloniale occidentale. Il est le prototype même de ce que les coloniaux appelaient « l’élite locale formée pour collaborer à l’exploitation de l’Afrique ». Fait aggravant, Ouattara a été impérialement imposé à coup de bombardements et de massacres par ses tuteurs occidentaux accompagnés de leurs garçons de courses africains. Quant au « retour des bailleurs de fonds » et à « la reprise de la diplomatie ivoirienne », pour reprendre exactement vos mots, ce sont des oxymores pour désigner, d’une part, le retour des pilleurs et des profiteurs capitalistes qui ont vu leur appétit glouton un peu tempéré au temps du président Laurent Gbagbo ; et d’autre part, le rétablissement absolu des liens de sujétion et de vassalité entre le territoire de Côte d’Ivoire et les Euraméricains et leurs institutions dites internationales, là aussi desserrés un peu au temps du président Laurent Gbagbo. Ainsi, la petite et fragile parenthèse patriotique du président Gbagbo ayant été refermée de la plus sanglante des manières, la docilité complète, le suivisme diplomatique et la Côte d’Ivoire en tant que relais régional de l’impérialisme et point focal de la continuité coloniale sont rétablis. Gérard Longuet, ministre de la défense français, ne regrettait-il pas le fait que la base militaire française au Gabon ne pouvait pas être déménagée en territoire ivorien à cause de l’arrivée tardive de Ouattara au pouvoir ? Devant l’Association des journalistes de défense (AJD), le mercredi 16 novembre 2011, Gérard Longuet déclarait : « On aurait choisi Port-Bouët, en Côte d’Ivoire si Ouattara avait été en place plus tôt ». Ces propos répondent avec une clarté irréfutable à votre question.
Permettez que je dise quelques mots sur la cessation de la guerre dans le territoire de la Côte d’Ivoire. Evidemment que l’objectif de la guerre qu’était le renversement de la présidence de Laurent Gbagbo ayant été atteint, les armes devraient se taire pour que la nouvelle administration coloniale confiée au duo Ouattara-Soro s’installe. Mais c’est aller trop vite que de dire que la guerre est finie en Côte d’Ivoire. Les luttes de pouvoir et les frustrations venant des promesses non tenues vis-à-vis de la soldatesque locale qui a accompagné la reconquête de la Côte d’Ivoire s’expriment depuis et vont s’exacerber. Avec quel outil ces tensions s’expriment-elles ? Avec les armes. La guerre n’est donc pas finie. Alassane Ouattara et ses hommes de main manœuvrés depuis l’extérieur par les puissances coloniales pour détruire le gouvernement de Laurent Gbagbo et ses assises intérieures ont désormais militarisé la vie politique en Côte d’Ivoire. Ces gens, ont, par leur victoire sur le gouvernement du président Gbagbo, démontré à leurs troupes l’efficacité de l’usage du fusil comme arme de revendication socio-politique. Dans une vidéo diffusée sur Youtube le 2 avril 2011, nous disions ceci : « Alassane Ouattara et ses amis ayant habitué les compatriotes en Côte d’Ivoire à l’utilisation des armes se retrouveront tôt ou tard face à la contestation des mêmes (les frustrés et les insatisfaits de leur gouvernance) qui iront, à leur tour, chercher des armes pour venir les abattre ». L’histoire récente nous donne malheureusement raison. Et, nous ne sommes qu’au début de l’aventure.
Pour nombre d’analystes, le drame ivoirien vient des élections successives avec des taux d’abstention très bas ajouté à un referendum qui a été pratiquement boycotté par les Ivoiriens. C’est aussi votre avis ?
Eh bien, ces analystes ne savent pas de quoi ils parlent. Pourquoi ne disent-ils pas que quand le soleil est au zénith, il est nuit ou que lorsque l’obscurité la plus épaisse couvre la lune à minuit, il fait jour ? Cela pourrait être très intéressant comme analyses ou comme réflexions philosophiques. Non ! Sérieusement, la situation du territoire de Côte d’Ivoire est identique à celle de tous les autres territoires. Il y a certes des degrés de variation ici et là, mais le drame est pareil partout. Il vient du fait qu’il n’y pas d’Etat dans les territoires africains. L’élimination des négro-africains de l’Egypte pharaonique suivie de la lente déclinaison du peuple noire qui ensuite succombe aux razzias négrières industrielles transatlantiques pour finir carbonisés par la colonisation qui perdure, n’en déplaise aux fêtards des indépendances factices, voilà les clés pour comprendre d’où nous venons, où nous sommes actuellement et où nous nous dirigeons en tant que peuple. A chacune de ces étapes de l’histoire de notre peuple, les africains n’ont jamais eu le temps d’analyser et de tirer les leçons de l’épisode précédent avant d’être jetés violemment dans le scénario suivant. A chaque étape, nous subissons les évènements et les dominateurs ont toujours eu un temps d’avance sur nous. A la colonisation pure et dure ont succédé la démocratisation puis la mondialisation. Nous ne maitrisons rien dans tout ceci, car nous n’avons pas l’instrument collectif, l’Etat, capable de former le peuple et, si besoin, le diriger vers l’atteinte des buts préalablement définis. Chaque fois qu’un embryon de résistance apparaît à chacune de ces étapes historiques, il est vite étouffé et tué dans l’œuf. Sur toute la ligne, on a liquidé, massacré, découragé nos résistants et toutes les personnes qui ont toujours pensé qu’un peuple n’est maître de son destin que lorsqu’il s’organise sur son territoire de manière autonome. Dès lors le despotisme obscur, corrompu et petit bras est érigé en norme de gouvernement en Afrique dans le but d’immobiliser l’Afrique afin que ses veines soient toujours ouverts vers l’étranger. La peur est installée et on a créé l’école coloniale couplée aux religions pour cultiver l’esprit de notre peuple de sorte à en faire des êtres hydroponiques.
C’est cela qu’il faut pointer et corriger au plus vite en appelant les africains à un rassemblement agissant sous un leadership visionnaire et responsable. A défaut, nos morts d’aujourd’hui seront plus heureux que notre peuple de demain. Le monde ne fera aucun cadeau aux africains. Se battre de manière organisée pour reconquérir et remettre l’Afrique à l’endroit, tel est le défi que l’histoire globale nous impose.
Dans une interview que Mme Odile Biyidi de l’association Survie nous avait accordée à Lynx.info, elle trouvait le transfèrement de Laurent Gbagbo à la Haye utile pour l’éclosion de la vérité sur la guerre faite à la Côte d’Ivoire. Ce que le monde entier suit à la CPI lui donne-t-il raison ?
C’est un point de vue.
Et quel est le votre sur la question ?
La vérité sur la destruction du gouvernement du président Laurent Gbagbo et sur les massacres qui ont soutenu l’installation du couple Ouattara-Soro ne viendra pas de la Cour pénale internationale (CPI). La CPI est un instrument aux mains des Occidentaux pour réprimer ce qu’ils considèrent être des « Mauvais exemples ». Les mauvais exemples, pour les Occidentaux, ce sont ces dirigeants qui veulent résister aux diktats et qui essaient de faire passer les intérêts de leurs peuples avant les intérêts économiques et politiques des maîtres du monde. Nous avons là une machine de guerre idéologique à des fins prioritairement économiques habillée en justice. C’est donc une mascarade qui se tient à La Haye. Si cela peut contribuer à ouvrir les yeux de certains africains, c’est tant mieux.
Ce sont les vainqueurs qui écrivent l’histoire. Les africains doivent en être bien conscients pour toujours. Cela signifie que tant que nous allons être du côté de la défaite, nous subirons toujours les lois de nos maîtres. Il n’y a qu’à voir comment les Bush, Sarkozy, Blair, Rumsfeld, Colin Powell, Obama, Clinton, Hollande, les gars de l’OTAN se pavanent les mains dans les poches dans le monde et de salles de conférences en universités pour comprendre ce qu’est la CPI. Lorsque ce sont les Guillaume Soro, Wattao et Alassane Ouattara qui se pavanent à Abidjan et de capitale en capitale à travers le monde alors que Blé Goudé et Laurent Gbagbo et bien d’autres militants patriotes croupissent en prison, chacun doit se faire une idée sur ce qu’est la « vérité blanche » attendue de La Haye.
Dans une interview que vous nous avez accordée à Lynx.info en 2012 vous dite ceci : « Soro Guillaume ira le plus loin possible tant que l’ordre colonial sera en vigueur dans les territoires africains ». C’est ce qui explique sa sérénité toutes les fois qu’il est accusé dans le cas des écoutes téléphoniques ou soupçonné d’activer des mutineries dans son pays ?
La capacité de nuisance de Guillaume Soro est immense car l’homme est adossé à des tuteurs puissants aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. Soro a été armé et il est toujours armé. Il est une poudrière à lui tout seul, étant donné qu’il dispose de solides ramifications dans le pays, dans les pays limitrophes et en Occident surtout. Bien entendu, comme tout instrument fabriqué pour un objectif précis, Soro a ses fragilités. Mais pour le moment, nul ne peut le toucher sans que la situation explose. Il est surveillé par Ouattara et d’autres concurrents comme du lait sur le feu. Tout porte à croire qu’à terme, Soro sera liquidé comme l’angolais Jonas Savimbi longtemps utilisé par les Occidentaux qui finirent par le lâcher, car il avait joué sa partition et les intérêts eux demeurent tandis que les hommes et les alliances sont faits pour évoluer et changer au gré du temps et des circonstances. Le temps de Soro viendra.
Guillaume Soro lance une opération tout azimut pour la réconciliation en Côte d’Ivoire. Cynisme politique d’un homme qui a revendiqué la rébellion, opportunisme sur les échéances électorales de 2020 ou mea culpa sincère d’un homme dont on dit que ses armes ont endeuillé des milliers de familles de ces concitoyens ?
Consacrons-nous uniquement aux choses sérieuses, s’il vous plaît. Laissons Soro faire son cinéma. La fin du film arrivera tôt ou tard. C’est une constante de l’histoire que des hommes-instruments comme Soro Guillaume finissent là où ils ont commencé leurs activités de nuisance. Si ses propres tuteurs ne l’écartent pas, les Africains du territoire de Côte d’Ivoire, dans un sursaut patriotique retrouvé le feront tôt ou tard.
Human Right Watch et Amnesty Internationale qui n’avaient pas été tendres avec le pouvoir de Laurent Gbagbo semblent être très effacés avec ces milliers d’ivoiriens qui croupissent depuis six ans dans les prisons sans jugement. Comment l’expliquez-vous ?
Human Right Watch et Amnesty International sont des outils de domination impérialiste occidentale. Ce sont des organisations alliées des alliées de leurs pays et leurs intérêts économiques. Le fait qu’il arrive à ces organisations dites non gouvernementales de critiquer des régimes parrainés par leurs pays ne doit pas nous faire perdre de vue que l’objectif qu’elles visent c’est d’abord l’occidentalisation du monde au travers de l’ouverture de l’ensemble des sociétés aux règles de la démocratie telles que l’Occident les veut et aux droits de l’homme tels que l’Occident les décrète. Il n’y a pas plus formidables instruments de la bataille idéologique au service des intérêts économiques des grands groupes industriels, bancaires, financiers et commerciaux que ces ONG. A ce titre, elles soutiennent le bon camp en Côte d’Ivoire. Elles sont du côté du bon crime. C’est classique.
Comment expliquez-vous que la coalition RHDP en Côte d’ivoire voire la société civile aient été absentes lors des mutineries ?
Le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) est un cache sexe destiné à couvrir un peu la nudité de l’Administration coloniale pilotée dans le territoire de Côte d’Ivoire par le duo Ouattara-Soro. Il s’agit de donner une coloration civilo-politique à cette reconquête militaire. Partant de là, il faut estimer que le RHDP subit plutôt les évènements et accompagne beaucoup plus qu’il les influence. Ce qui est certain, c’est que, dans la perspective de la présidentielle de 2020, ces gens travaillent activement dans l’ombre pour faire valoir auprès des vrais détenteurs du pouvoir de cooptation des dirigeants dans les colonies africaines qu’ils sont les seuls, se fondant sur le mythe Houphouët, à pouvoir pacifier durablement le territoire de la Côte d’Ivoire et y sauvegarder les intérêts français d’abord puis occidentaux.
Pour ce qui est de la société civile, disons que c’est encore une de ces trouvailles qui mystifient les africains. Ce terme peut tout désigner sans rien désigner. Si la société civile désigne les associations diverses et variées, alors elle a autant d’intérêts. Par conséquent, chacune de ses composantes essaient de tirer ses marrons du feu et les quelques condamnations exprimées par quelques-unes de ses composantes a posteriori ne changent rien à la donne. Si, par contre, la société civile désigne l’ensemble de la population non-armée, alors disons qu’elle subit les évènements. Dans tous les cas, un travail de remobilisation patriotique et de réorganisation s’impose nécessairement en Côte d’Ivoire.
Pour le président Mamadou Koulibaly du parti (LIDER), Alassane Ouattara et son premier ministre ont choisi de résoudre le problème des mutineries a minima. Êtes-vous de ceux qui pensent que, la Côte d’Ivoire est assise sur un volcan ?
Non, pas le territoire de Côte d’Ivoire. Mais Alassane Ouattara et sa clique, oui. Très clairement, ils sont assis sur un volcan puisqu’ils ont convaincu leur soldatesque que les armes constituent le plus court moyen d’obtenir tout, y compris le pouvoir suprême. Ils ont montré la voie qui est maintenant suivie et qui va l’être davantage par ceux qui ont contribué à leur accession au pouvoir. Ils ont mis le doigt dans l’engrenage et ils vont le payer très cher. Quant aux africains du territoire de Côte d’Ivoire dans leur ensemble, ils ont, à l’instar du continent entier, bien d’autres défis à affronter quoique celui des mutineries en constitue un.
Pour le président français Emmanuel Macron : « La Côte d’Ivoire est un exemple de sortie de crise réussie et à ce titre un modèle pour beaucoup, en particulier dans la région »
Que voulez-vous qu’il dise, celui-là ? Il protège le pré- carré français dans le principe de la continuité de l’Etat. Quand un dirigeant français, en particulier, parle d’un territoire africain comme un bon exemple, c’est que son peuple doit être très mal en point alors que ses dirigeants doivent être particulièrement soumis. Ça également, c’est une constante de l’histoire. Conclusion : les propos de Macron sont sans importance aucune.
Lynx.info : Mr Komla Kpogli, je vous remercie
Interview réalisée par Camus Ali
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