Lynx.info : Le FRAC et l’ANC vont reprendre la rue pour se faire entendre. Adhérez-vous à l’initiative?
Kofi Yamgnane : Je ne peux pas me désolidariser de cette initiative conjointe du FRAC et de l’ANC qui vise à dénoncer une injustice flagrante perpétrée par le gouvernement RTP/AGO. La faute politique de ce gouvernement est très grave : voici un pays où la séparation des pouvoirs n’existe pas et pourtant, on nous dit que nous sommes en République ! C’est bien ce qui m’a le plus frappé au Togo sur le plan politique : le pouvoir confond en permanence la carte et le territoire ! Il ne suffit pas de déclarer le régime togolais est républicain pour qu’il le soit : la République, ça a des valeurs qu’il faut respecter. Ce n’est pas le cas du régime RPT/AGO qui est un régime sans foi ni loi !
Le gouvernement togolais a pris l’habitude de mentir aux Togolais et au monde : il faut que cela cesse et les contestations organisées actuellement ont pour objectif unique de lever le masque à ce gouvernement. Nulle part au monde on n’a vu un pouvoir judiciaire démissionner des responsables du pouvoir législatif, c’est-à-dire des élus du peuple ! Mais au Togo, il semble bien que tout est permis : c’est à cela qu’il faut mettre fin.
Beaucoup pensait que le FRAC allait devenir un parti. C’est l’Alliance Nationale pour le Changement qui est née. Le Togo ne souffre t-il pas de trop de partis politiques?
Cela me parait évident : 92 partis déclarés ! Quant à nous, aujourd’hui, notre crédibilité devant le peuple togolais est dans notre UNION, et le seul embryon concevable de cette union est le FRAC qui a été de plus plébiscité par le peuple togolais lui-même qui l’a montré dans son soutien ininterrompu depuis le 12 février, date de naissance du FRAC. La jeunesse togolaise a massivement adhéré à cette idée et notre diaspora à travers le monde n’attend que cette naissance pour se mobiliser. Enfin, c’est à cette seule condition que nous aurons le soutien de la communauté internationale parce que nous aurons gagné en crédibilité… grâce à notre capacité de nous unir.
Pour toutes ces raisons, il nous faut impérativement transformer le FRAC en parti politique et appeler les autres forces de l’opposition à venir nous rejoindre pour créer la synergie nécessaire pour atteindre l’alternance et le changement afin de donner au peuple togolais un régime démocratique, de paix et de développement.
Mais le sujet est toujours « sur le métier » et la naissance de l’ANC, qui est membre du FRAC, ne change en rien notre volonté d’aller unis à la conquête du pouvoir au nom du peuple togolais.
Vous aviez visité Gilchrist Olympio peu avant la création du FRAC à Paris. A votre avis pourquoi cette guerre contre ses petits amis d’hier ?
Il est vrai que dès mon arrivée à Paris le 8 février 2010, ma première initiative a été d’aller rendre visite à M. G. Olympio à son domicile. Pendant des heures, nous avons ensemble évoqué les problèmes de notre pays. J’ai bien compris qu’il regrettait de ne pas pouvoir être dans la course, mais je n’ai senti à aucun moment qu’il s’opposerait à la candidature de son « fils spirituel » qu’est Jean Pierre Fabre. Que s’est-il passé ensuite à l’intérieur de l’UFC pour qu’il en soit arrivé là ? Beaucoup de Togolais au pays comme dans la diaspora l’accusent d’égoïsme exacerbé : je ne peux pas croire que l’ego de M. Olympio soit le seul motif de cette monstrueuse trahison…
J’appelle les Togolais à la lutte, à la patience et au pardon: ils connaîtront d’autres trahisons et d’autres déceptions, mais au bout de tout cela se trouve notre délivrance collective.
La Cour Constitutionnelle qui avait refusé votre dossier de candidature vient d’exclure 9 députés de l’ANC. Comment vous la décrivez ?
Plus rien ne m’étonne dans les arrêts de la Cour constitutionnelle du Togo, car elle n’est que la chambre d’écho des décisions du RPT, étant elle-même composée en très grande majorité d’apparatchiks de ce parti. Mais c’est quand même ahurissant que l’obéissance idéologique prime sur l’objectivité professionnelle de juristes théoriquement choisis pour leur compétence. C’est une vraie pitié !
Concernant les raisons invoquées par cette Cour pour invalider ma candidature, je dois rappeler que le Président Eyadema qui ne connaissait ni le jour, ni le mois, ni même son année de naissance, n’a pas été empêché de gouverner ce pays pendant 38 ans… et c’est heureux !
Faure semble donner sa confiance à Abbas Bonfoh en dépit des cris des organisations des droits de l’homme et des Togolais. Comment l’expliquez-vous?
Le libellé de votre question est significatif de l’extrême confusion qui règne au Togo mais qui n’étonne plus personne ! Car en réalité, Faure Gnassingbé n’a aucun pouvoir sur une Assemblée composée de membres démocratiquement élus par le peuple pour le représenter. Le Président de l’Assemblée nationale est élu par ses pairs et eux seuls peuvent le démettre en lui retirant leur confiance. Cela aurait dû être le cas lorsque leur président s’est dangereusement risqué dans le négationnisme que lui reproche le monde entier. Au Togo et dans le monde entier, tout le monde sait qu’il y a eu des centaines de morts à l’occasion des « élections » de 2005 : la LTDH l’a dit ; la LIDH l’a dit ; l’ONU l’a dit ; Amnesty International l’a dit… Même la commission d’enquête missionnée par le gouvernement togolais et présidée par le Premier ministre Koffigoh a reconnu les morts. En attendant qu’un jour M. Abbas Bonfoh soit inquiété par la justice internationale, les députés togolais se seraient honorés et auraient honoré la démocratie, la morale et l’éthique politique en lui retirant leur confiance.
Finalement l’UE se retrouve un peu coincée avec le cas Togolais. Que vous ont dit exactement les fonctionnaires de Bruxelles comme ceux de Paris lors de votre tournée?
En effet, l’UE se trouve très embêtée par le cas togolais : plusieurs de ses membres, et non des moindres, s’en veulent aujourd’hui d’avoir accepté l’inacceptable. Ils ressentent cette situation comme un énorme fiasco de la politique africaine de l’UE que certains ont considéré comme une « honte ».
Cela étant, c’est aux opposants togolais de montrer qu’ils sont responsables en créant les conditions pacifiques de l’alternance : unité, compétence, volonté, professionnalisme…car personne ne viendra opérer ce changement à notre place.
Un député du PS a parlé de Faure comme d’un despote. On vous reproche au RPT d’avoir influencé vos amis socialistes. Quelle est votre version?
Moi je n’ai pas de version à donner. Naturellement j’ai rendu visite à mes amis socialistes, mais j’ai rendu visite aussi à tous les autres grands partis politiques français, excepté le FN. Tous sont parfaitement au courant des pratiques du RPT et ils n’ont pas attendu ma visite pour cela !
Du reste, lisez bien la réponse du Ministre Kouchner : il n’a aucun doute sur ces pratiques et ce n’est pas le député Launay qui le lui a soufflé. Le RPT aurait tort de croire que ce qu’il fait est ignoré du reste du monde. Non le monde entier le sait! Avec ou sans mes contacts, le RPT a des méthodes d’un parti fascisant et il doit être dénoncé comme tel : je n’oublie pas que depuis le 2 juillet 2010, le RPT a mis au secret, sans aucun motif, sans inculpation et sans jugement, deux de mes plus proches collaborateurs ! Cela ne vous rappelle-t-il pas les méthodes de la GESTAPO, la STASI ou le KGB ? Moi je ne donne pas de version sur la réalité des faits: j’observe et j’analyse avant de porter un quelconque jugement. Même dure, la vérité reste la vérité !
On cite le régime présidentiel, le recensement et les nominations de directeurs de cabinet. Quelque chose bouge avec le pacte Gilchrist et le RPT il paraît …
On dit en français qu’une hirondelle ne fait pas le printemps. Peut-être y a-t-il des mouvements, mais tous ces mouvements n’améliorent en rien les conditions de vie des Togolais…ils se contentent seulement de soulever de la poussière, de la mauvaise poussière. Ce n’est que de la poudre aux yeux : heureusement, aucun Togolais ne s’est laissé prendre. Le pacte RPT/AGO ressemble, à s’y méprendre, au mariage de la souris et du serpent : j’attends de connaître le moment où le serpent se décidera à avaler la souris.
Les Togolais vous reprochent de les avoir abandonnés. C’est quand votre retour au Togo?
Oui, cela se dit, mais ça c’est la propagande du RPT. Quant aux Togolais, ils savent que le RPT est dans l’incantation, l’intoxication, le mensonge et la médisance. Ils savent que je ne les ai pas abandonnés. Car comme vous pouvez juger vous-même, je n’ai renoncé à aucun de mes principes et de mes valeurs ni sur le fond : la justice et la liberté, ni sur la forme : la contestation populaire et l’initiative diplomatique. Je suis toujours en première ligne de ce combat, sur un autre front. Les Togolais savent qu’ils peuvent continuer à compter sur ma disponibilité et sur mon expérience.
Quant à mon retour au Togo, il est d’ores et déjà programmé et il est vraiment pour très bientôt Le moment venu, vous n’aurez plus besoin de m’interroger : vous constaterez directement.
Lynx.info: Merci Mr Yamgnane
Interview réalisée par Camus Ali Lynx.info