Le président de la Commission nationale des droits de l’homme togolaise a préféré demander l’asile politique en France plutôt que de cautionner la censure de son rapport dénonçant le recours à la torture.
Le président de la Commission nationale des droits de l’homme togolaise a préféré demander l’asile politique en France plutôt que de cautionner la censure de son rapport dénonçant le recours à la torture.
Koffi Kounté avait en charge la deuxième chambre civile et commerciale du tribunal de première instance de Lomé, la capitale du pays, lorsqu’il a été élu en février 2007 à la tête de la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH). « Au Togo, précise-t-il, la CNDH est une institution constitutionnelle. » Deux ans plus tard, à la mi-avril 2009, une trentaine de personnes soupçonnée d’atteinte à la sûreté de l’État est arrêtée. Parmi elles figure l’ex-ministre de la Défense, Kpatcha Gnassingbé, demi-frère du président Faure Gnassingbé. Lors de leur procès en septembre 2011, plusieurs accusés déclarent avoir été victimes de tortures et sévices au siège de l’Agence nationale de renseignement (ANR) ou de la gendarmerie.
La Cour ordonne une commission d’enquête afin de vérifier les allégations des détenus. Le ministre de la Justice saisit la CNDH. Début d’un feuilleton aussi mouvementé que révélateur. Le 25 janvier 2012, Koffi Kounté remet en main propre son projet de rapport au président de la République. « Il me l’avait demandé, je ne trouvais pas anormal de lui donner la primeur du texte. » Une semaine après, il apprend que le doyen Charles Debbasch, conseiller à la présidence, veut le rencontrer. Premières inquiétudes. Le juriste mercenaire n’a-t-il pas, en tripatouillant la Constitution, autorisé la succession dynastique, Faure Gnassingbé, prenant la place de son père, le général-président Eyadema, au lendemain de son décès le 5 février 2005 ?
Le conseiller attaque sans détour le contenu du rapport : « À sa lecture, j’ai eu le sentiment que certains rédacteurs en voulaient au chef de l’État. » « Doyen, je ne comprends pas, réplique Koffi Kounté, j’ai rédigé personnellement le rapport. » « Ne nous énervons pas, reprend Charles Debbasch, en lui tendant un document écrit et une clé USB, voici le rapport révisé. »
En découvrant le texte à son bureau, Koffi Kounté tombe des nues. L’analyse des faits est dénaturée et les conclusions inversées : les allégations de torture ne sont plus fondées. La voix douce s’efface au profit de l’indignation : « C’était inadmissible. Comme si au moment de rendre un jugement, on me tendait un papier : voici le verdict que tu dois rendre ! En contradiction totale avec mon serment de magistrat. »
Dans les jours suivants, les pressions se multiplient. Le garde des Sceaux, le président de la Cour constitutionnelle, puis Charles Debbasch reviennent à la charge en dramatisant la situation : « Je risquais rien moins que de faire sombrer le régime, résume Koffi Kounté. Pourtant, je précisais dans mon rapport que si l’Agence nationale de renseignement (ANR) dépendait du chef de l’État, elle disposait d’une autonomie de gestion et que nous n’avions aucune preuve de consignes venues du sommet de l’État. » Le président de la CNDH tente un dernier recours auprès de Faure Gnassingbé. Ce dernier a cette fois choisi son camp : « Je te demande d’adopter le rapport tel que modifié par le conseiller Debbasch. »
Koffi Kounté passe outre et fait adopter le rapport original par l’assemblée plénière de la CNDH. Mais en raison de la persistance des pressions et du danger qu’il ressentait, il s’enfuit au Bénin, prend un avion pour Bruxelles puis Paris. Là, il trouve réconfort auprès de la CNCDH et de son Secrétaire général Michel Forst. Son équipe l’aide à mettre en ligne le rapport « authentique » sur le site de la CNDH du Togo, en réponse à la publication du rapport « travesti » publié à Lomé. Dans la capitale togolaise, la controverse devenue publique enfle.
Le Premier ministre, Gilbert Houngo, tenu à l’écart, tente de déminer le terrain. Tous les efforts du gouvernement pour rallier les bailleurs de fonds pourraient être remis en cause. Courant mars, un conseil des ministres adopte in fine le rapport authentique. Pour autant, ses recommandations – notamment, les sanctions réclamées à l’encontre des dirigeants de l’ANR et de la gendarmerie – restent lettre morte.
À 52 ans, le magistrat intègre qui a refusé le déshonneur, aujourd’hui réfugié en France, tire les leçons de ce douloureux épisode : « Le président Faure Gnassingbé tente de libéraliser ce régime. Mais il est confronté, dans son entourage, à la résistance des nostalgiques de la dictature d’antan. Ce qui vient de se passer montre la puissance de ce clan. » L’ouverture politique au Togo devra patienter…
Yves Hardy