Lorsque la tête du poisson est pourrie, c’est tout le poisson qui est pourri. L’OTR ne peut à elle seule apporter une solution à la corruption endémique que connaît le Togo.
Lynx.info : L’africaniste François -Xavier Verschavé disait que, dans le futur en Afrique, seuls ceux qui détiendraient la machine informatique seront les gagnants aux élections. Au Togo qui tient cette machine informatique ?
Pr.Aimé Gogué : Il a probablement raison. Dans le cas du Togo, la situation est encore plus compliquée en raison de l’absence pendant une longue période des membres de l’opposition à la CENI. Il y a également une inquiétude en raison du fait que l’opposition ne contrôle pas l’appareil statistique qui génère les données déterminantes dans l’évaluation du nombre et de la localisation des bureaux de vote.
Dans notre pays, la machine informatique est détenue par le pouvoir UNIR avec la complicité de l’administration. Les procédures de sélection de ZETES, qui est la société conceptrice du logiciel de confection du fichier électoral, sont opaques. La décision de révision des listes électorales et des places du recensement électoral a été prise au moment où l’opposition ne siégeait pas encore à la CENI. Le recrutement et la formation des opérateurs de saisie se sont faits en l’absence de l’opposition à la CEN.
La CENI vient d’annoncer la création de 581 nouveaux centres de recensement pour les opérations de révision des listes électorales dans la perspectives de l’élection présidentielle prévues en 2015, pour dit-elle répondre à la fois au souci de se rapprocher des électeurs et de désengorger certains centres saturés. La création de 581 centres de recensement peut représenter environ 350. 000 électeurs à enrôler, soit environ 10% du corps électoral togolais. Avec la décision de procéder à la révision des listes électorales, plutôt qu’à un véritable recensement électoral, il y a des risques énormes de fraudes et de manipulations. Dans le contexte d’un scrutin à un tour, 10% de corps électoral peut faire changer le destin d’une élection.
Le mode de transmission des résultats est également crucial pour la crédibilité et la fiabilité des résultats. Des mesures ont été prises et mises en œuvre lors des élections législatives de 2013 : l’affichage des résultats du scrutin dans chaque bureau de vote (BV). Cependant, l’effet de cette mesure sur la transparence du processus électoral avait été faible, en raison de la décision de transmission vocale des résultats, sans qu’aucun mécanisme d’authentification ne soit préalablement mis en place. Un mode de transmission des résultats du scrutin des BV à la CELI et à la CENI par le système VSAT avait été retenu pour l’élection présidentielle de 2010. Il n’avait pas été appliqué et ceci avait décrédibilisé les résultats de cette consultation électorale.
Il est cependant possible de prendre des mesures pour atténuer, voire éliminer, cet avantage que le régime en place a par rapport à l’opposition dans le processus électoral. D’abord, il est impératif qu’un audit du logiciel et du fichier électoral soit réalisé le plus rapidement possible. On doit s’interroger sur la pertinence, l’expertise, la qualification et la neutralité des conseillers actuels mis à la disposition de la CENI. Pour ADDI il est impératif que leur contrat soit annulé ou que si la CENI a besoin d’un appui technique, les experts commis soient sélectionnés à partir d’un appel d’offre international ou fournis par une organisation internationale avec une expérience confirmée en matière de processus électoral en Afrique notamment.
Ensuite, il est capital que l’opposition s’assure de l’excellente qualité et de la crédibilité de ses représentants dans chacun des organes impliqués dans le processus électoral : bureaux de votes ; CELI et CENI. Il est regrettable que, sans concertation, les partis politiques de l’opposition démocratiques aient déjà choisis leurs représentants dans la CENI et probablement les CELI. Il aurait été souhaitable que chaque parti politique ait l’avis des autres partis politiques sur la qualité de ceux qu’il propose pour le représenter dans les organes impliqués dans le processus électoral. En outre, un appui pour la réalisation du comptage parallèle des voies est indispensable. Enfin, l’opposition doit s’assurer de disposer des PV de chaque bureau de vote. Sur ces différents points, ADDI échange avec d’autres partis politiques de l’opposition et des organisations de la société civile.
Sans langue de bois, si Faure Gnassingbé refusait les élections à deux tours pour 2015 quelle serait votre réaction immédiate ?
Le mode de scrutin à deux tours est l’une des revendications phare de l’opposition. Il est important de noter que si ADDI insiste sur ce mode, ce n’est pas pour des raisons électoralistes. Pour nous il est important que le Président de la république ait une légitimité réelle pour pouvoir gouverner efficacement. Une élection à deux tours exige que le vainqueur ait au moins 50% du suffrage exprimé. Ceci est important pour des sociétés aussi « fragmentées » que la nôtre. Dans une telle situation, obtenir au moins 50% des voies nécessite que des efforts de négociations soient faits avec d’autres groupes d’intérêts, sociaux, ethniques, etc. Ceci n’est pas du tout le cas avec un mode de scrutin à un tour.
Dans ces conditions, si le mode de scrutin à deux tours était refusé, ADDI marquerait son mécontentement. Nous rechercherons les coalitions nécessaires pour faire les pressions pour l’obtention de ce que nous recherchons et ce dans l’objectif d’une société inclusive.
Beaucoup d’analystes disent que, Faure est plus subtil, fin et rusé que son père. Vous qui le combattiez depuis, comment vous le trouvez ?
Les manières de communiquer et d’agir varient suivant les périodes. Plutôt que subtil, Faure est cynique, prompt à faire porter un masque de fer à ses rivaux. C’est tout à fait une rupture avec la finesse. Pour rusé, il l’est car il a su utiliser l’Accord politique global (APG) pour légitimer son pouvoir en s’abstenant d’apporter la contrepartie contractuelle que constituent les réformes constitutionnelle, institutionnelle et électorale. C’est un mélange de ruse, d’entêtement et de manque d’intégrité. Dans tous les cas, la ruse, n’est pas une bonne manière de diriger un pays dans l’intérêt général de la population. Le mécontentement grandissant de la population sur la gouvernance du pays illustre bien le fait que malgré sa ruse, sa subtilité et sa finesse, il n’arrive pas à ses fins.
Êtes-vous conscient à ADDI qu’en vous désolidarisant de vos petits amis qui se sont réunis autour de Jean-Pierre Fabre que votre parti ADDI perde sa crédibilité comme nous le constatons avec le CAR ou l’UFC qui se cherchent toujours ?
ADDI ne s’est pas désolidarisée de ceux qui sont réunies autour de Jean-Pierre Fabre. Nous ne sommes pas d’accord sur un certain nombre de points que nous, à ADDI, jugeons importants. J’espère que les Togolais finiront par comprendre la position du parti qui est loin d’être celle devant conduire l’opposition à la perte en 2015.
La crédibilité de ADDI n’est pas ce qui importe le plus. Ce qui nous préoccupe le plus, c’est de lutter pour des idées qui vont dans le sens de l’amélioration du bien-être des Togolais et pour la réalisation de l’alternance politique réelle en 2015. C’est cela qui a toujours guidé les prises de position et les actions politiques du parti auquel j’ai le plaisir d’appartenir.
J’ai eu à plusieurs reprises dit à mes amis politiques qu’en tant que leaders, nous avons la responsabilité de dire à la population ce que nous croyons bon et non ce qu’elle veut entendre. Plus grave nous ne devons pas manipuler la population en diffusant des idées qui vont dans nos intérêts personnels et partisans et non dans le sens de l’intérêt général.
A, l’ADDI, nous croyons que, et nous l’avons dit et redit à nos amis depuis plus d’un an, la candidature unique n’est pas une panacée pour la victoire en 2015. De surcroit les critères et tout le processus de désignation du candidat unique ont manqué de sérieux et de crédibilité. Il est de ma responsabilité de le dire et le redire même si ma crédibilité doit, à tort, en souffrir. Le constat est aujourd’hui fait que cette question de candidature unique a été la plus grande pomme de discorde qui a divisé l’opposition. Si nous avions tous accepté de mettre cette question entre parenthèse, comme ADDI l’a suggéré le 24 octobre 2014 au conclave, nous aurions épargné ce gâchis.
Il ne s’agit pas d’être pour ou contre la candidature de Jean-Pierre Fabre en tant que personne. Il s’agit d’analyser sereinement la situation pour voir si cette désignation était opportune et si la candidature unique dans une élection sans les réformes et dans le cadre d’une CENI et d’une Cour constitutionnelle verrouillée est vraiment gagnante. Nous avons eu l’occasion de démontrer mathématiquement que ce n’est pas le cas. C’est notre conviction et nous continuerons de la marteler, n’en déplaise à nos détracteurs. Pour l’heure, toute notre énergie est tournée vers la lutte pour les réformes. Nous sommes certains qu’une approche unitaire mieux structurée autour de cette lutte est plus à même de nous donner la victoire à la prochaine élection présidentielle.
Et pourtant…on décrit votre personne comme la philosophie de ADDI votre parti comme modéré. Les Togolais veulent savoir ce qui vous oppose aujourd’hui à l’ANC pourtant un de vos alliés ?
Je ne sais pas si je suis ou non modéré. Vous savez, ADDI a plusieurs personnes compétentes qui participent aux décisions prises. Les gens pensent que le problème actuel entre l’ANC et ADDI est le résultat du rejet du représentant de ADDI dans la CENI par l’ANC. L’UFC nous avait fait la même chose en 2006, nous avions protesté mais nous n’avons pas hésité à supporter le candidat de l’UFC, Jean Pierre Fabre aux élections présidentielles de 2010.
D’autres ont pensé que cela remonte aux dernières élections législatives. En effet, il y a quelques jours, quelle ne fut ma surprise d’apprendre d’un ami que les jeunes de Kpélé trouve que j’avais trahi le CST pour avoir fait chemin avec la Coalition arc en ciel (AEC) voire le CAR lors de ces législatives. Et cela uniquement parce que j’avais dit à mes amis du CST qu’il fallait à tout prix réaliser une liste commune pour ces élections législatives. A cet effet, pour des raisons que j’ai exprimé explicitement à plusieurs reprises au sein du CST, il n’était pas nécessaire de passer par l’établissement d’une liste commune du CST (ou de AEC) avant une harmonisation CST-AEC ; pour moi, pour chacun de nos partis, il y aurait moins de frustration dans nos partis si nous passions directement à l’établissement d’une liste commune de l’opposition. Les faits m’ont donné a posteriori raison.
Qu’est ce qui nous oppose à l’ANC ? Il s’agit notamment du principe d’avoir des divergences de point de vue tout en étant ensemble, du problème de la candidature unique, des modalités et conditions de sa désignation et de la conception du travail de groupe.
En avril/mai dernier, nous avions suggéré à nos « petits amis » que le CST et AEC voire CST-AEC n’était plus en mesure de mobiliser une grande partie de la population pour nous soutenir pour nos revendications de réformes notamment. A cet effet, je leur avais proposé de travailler pour la constitution d’un vaste mouvement avec des Organisation de la société civile(OSC), des personnalités politiques et d’autres partis politiques de l’opposition, non membres de nos deux organisations, afin de prendre le flambeau de la lutte. Nous avions également proposé de laisser la direction de ce mouvement à des OSC. Au conclave, nous avions suggéré que ce soit ce mouvement qui choisisse le candidat « unique » de l’opposition et non les seuls membres du conclave. Nous avions fait cette recommandation parce que nous sommes convaincus que le Togo dispose de personnalités non membres du conclave aussi légitimes que leurs compatriotes du conclave pour désigner un candidat crédible. L’accueil enthousiaste réservé par la classe politique à la proposition de loi que le CAR et ADDI ont initiée, suggère bien qu’il est possible de regrouper beaucoup plus de nos concitoyens favorables au changement autour des réformes.
Je tiens à affirmer que ADDI est le seul parti de l’opposition à avoir pratiqué le principe de candidature unique de manière constante depuis 1994. Avant l’élection présidentielle de 2010, j’avais fait revenir le Dr Kampatibe, alors en poste à l’extérieur du pays, afin qu’il travaille en tandem avec le Ministre KPETIGO pour que nous ayons un candidat unique de l’opposition : nous avions constaté des problèmes profonds qui ont guidé la création du Front républicain pour le changement (FRAC). Après cette élection, comme toute organisation responsable, nous avions mené des réflexions internes au niveau du parti. Ceci a fait l’objet de discussions lors du conclave organisé par le parti en novembre 2011 à Dapaong. Fort de l’expérience passée nous nous sommes dit qu’il fallait réfléchir sur d’autres stratégies devant conduire à l’alternance. Nous avons exposé nos réflexions à nos « petits amis » comme vous le dites depuis plus d’un an en relevant que la candidature unique est une source de division de l’opposition. En dépit de notre insistance, plutôt que de considérer qu’il faut continuer à rechercher un consensus sur cette question, ADDI a été perçue comme un adversaire à leur désir de se faire désigner comme candidat unique. Nous avons à la limite été priés de quitter le conclave si nous ne voulions pas nous aligner sans condition sur la question de la candidature unique. Nous avons accepté de nous rallier à cette idée en émettant des réserves qui ont été balayés du revers de la main par nos amis. Aujourd’hui, pour nous résumer, c’est la préséance entre la question des réformes et la question de la candidature unique qui nous oppose. Une leçon que je retire de cette histoire de candidature unique, c’est que nous ne nous écoutons pas. Il m’est difficile d’accepter ce comportement de la part de gens supposés rechercher la démocratie.
Nous avons également suggéré que le mandat 2015-2020, dans tous les cas de figures, soit une transition à l’issue duquel les principaux animateurs de l’exécutif n’aient pas la possibilité de se représenter. Le Burkina, dans sa charte de transition vient d’adopter cette disposition.
En dépit de toutes nos divergences, je suis convaincu qu’il y a encore beaucoup de chose que nous pouvons et devons faire ensemble : la mise en commun de nos ressources pour les réformes ; l’unité d’actions pour la transparence des élections (désignation des membres des CELI, des CLC et des bureaux de votes ; la coordination des actions pour la surveillance du processus électoral, la collecte et la transmission des résultats, etc…) Je crois que nous devons cesser de discuter de ce qui nous divise pour mettre rapidement l’accent sur la définition des actions communes à mener, etc.
Vous voulez que la question des réformes soit soldée avant la présidentielle de 2015. Le ministre Gilbert Bawara proche de Faure voit le contraire. « Il s’agit désormais pour les uns et pour les autres de se concentrer sur la préparation de l’élection présidentielle ». Etes-vous inquiet que Faure fasse un passage en force ?
C’est le même discours qui est servi à l’approche de chaque élection depuis 2006. Rappelez-vous, le Ministre Bawara disait la même chose avant les élections législatives de 2013. Que le ministre Bawara nous dise ce qui peut justifier que les réformes constitutionnelles et institutionnelles prescrites par l’APG depuis Aout 2006 et préconisées par la CVJR dans son rapport de 2011 ne soient toujours pas effectives en 2014 ?
Il est bien possible que le pouvoir veuille faire un passage en force. C’est un véritable défi. Il est possible qu’il réussisse. Mais il est aussi possible qu’il échoue. Nous n’avons pas besoin de vivre l’expérience du Burkina Faso pour faire ce qui nous semble bon pour la très grande majorité des Togolaises et Togolais. J’ose espérer que les conseillers et amis et du régime en place auront la volonté et l’intelligence d’écouter les aspirations du peuple togolais. Il ne sert à rien de repousser à demain ce que l’on peut faire aujourd’hui. Nos amis Ivoiriens disent «même si demain n’est pas loin, en même temps est mieux » ; l’adage populaire dit : « qui remet à demain trouvera malheur en chemin. » Nous ne voulons pas de malheur pour qui que ce soit surtout que les réformes que nous souhaitons sont dans l’intérêt de chacun de nous à court, à moyen et à long terme.
Que dit l’économiste Pr Aimée Gogué sur OTR créé pour combattre la corruption au Togo ?
Il ne faut pas être économiste pour répondre à cette question. La corruption est un phénomène malheureusement généralisé dans le pays. Elle n’est pas moralement bonne. Des Togolaises et Togolais n’hésitent pas à demander des contre parties de toute nature pour des services rendus à des concitoyens alors qu’ils sont payés par la fonction publique ou par l’entreprise pour laquelle ils travaillent. Des Togolaises et des Togolais, pour avoir recommandé des jeunes pour une consultation, n’hésitent pas à réclamer de ces jeunes une partie non négligeable des honoraires.
Et nous tous crions être contre la corruption. La lutte contre la corruption est une œuvre de longue haleine qui demande la participation de chacun de nous.
Lorsque la tête du poisson est pourrie, c’est tout le poisson qui est pourri. L’OTR ne peut à elle seule apporter une solution à la corruption endémique que connaît le Togo. Des pays qui n’ont pas des institutions analogues à l’OTR ont un niveau de corruption faible alors que certains pays disposant d’organe autonome de régies financières comme l’OTR ont des niveaux de corruption élevés.
La corruption concerne aussi bien les institutions de collectes des recettes (douanes, impôts) que les organes dépensiers (ministères par exemple). L’OTR ne touche pas tous les organes en charge de la collecte des recettes. Demandez aux opérateurs du port autonome de Lomé de vous énumérer les différentes taxes qu’ils paient : il est difficile de savoir si toutes les sommes ainsi payées vont dans les caisses de l’état. L’OTR devrait être sous le contrôle de l’Assemblée nationale. Très peu de gens connaissent le processus, les critères et modalités de recrutement du premier responsable de cette institution.
En outre la corruption concerne également les dépenses. Or l’OTR ne touche pas le côté des dépenses ! Vous n’ignorez pas les problèmes de surfacturation et aussi les dépenses pour biens et services publics non réalisés/délivrés.
Interview réalisée par Camus Ali Lynx.info