Ancien chef de guerre de la rébellion des Forces nouvelles, Traoré Abdoulaye alias AB ne veut absolument pas voir le président Blaise Compaoré dans le panel sur la crise post-électorale en Côte d’Ivoire ; c’est pour- quoi dans cette interview, il souligne l’implication du président burkinabé et celle d’Alassane Dramane Ouattara dans la rébellion et le casse de Bceao.
Le Temps : Il y a une polémique qui enfle relativement à la participation du président burkinabé Blaise Compaoré au panel de l’Union africaine sur la Côte d’Ivoire : votre avis ?
Traoré Abdoulaye : Je ne veux pas que Blaise Compaoré vienne diviser davantage les Ivoiriens. C’est lui qui a formé notre rébellion, c’est lui qui nous a formés jusqu’à ce qu’on vienne attaquer la République le 19 septembre 2002. Aujourd’hui, je suis dans la République, je ne veux pas qu’il vienne encore mélanger les gens et imposer un président dans ce pays.
Dans quel compartiment de la République êtes-vous ?
Je suis dans la République avec le président Gbagbo. J’ai rallié son camp ; je suis avec lui depuis 2008. Et je ne veux pas que quelqu’un qui a formé cette rébellion vienne aujourd’hui, dans un panel de chefs d’Etat pour chercher à imposer un président, là je dis non ! Parce que c’est lui qui nous a formés et nous sommes venus faire le coup ; donc je refuse de le voir ici ! Je refuse ! Et je tiens à lancer cet appel afin que le monde entier comprenne comment tout a commencé jusqu’à ce que ça se complique, aujourd’hui.
Quelle a été réellement l’implication de M. Blaise Compaoré dans la rébellion?
En 2000, Blaise Compaoré nous a envoyés à Pô, après à Frakrô où nous nous sommes entraînés avant de venir attaquer le 19 septembre 2002. C’est pour tout cela qu’il ne peut pas se mêler aux autres présidents du panel de l’Union africaine et venir gâter le résultat de leur travail. Lorsque j’ai parlé dans la presse en 2008, j’ai dit qu’on ne pouvait pas aller aux élections sans le désarmement. Blaise Compaoré était Facilitateur, mais on est allé aux élections sans le désarmement et voilà les conséquences. J’ai bien dit en 2008 que Blaise Compaoré allait venir mélanger ce pays et faire tuer beaucoup de gens. J’avais prévenu que les gens allaient distribuer les fausses cartes d’identité au Nord ; j’avais également signalé la participation de la France. C’est la France, avec le Général Johanna et Alain, qui nous faisaient contourner les positions des Fds pour pouvoir prendre des villes.
Et comment cela se passait-il ?
Les Français donnaient le système, ils nous disaient comment les Fds sont placées. On contournait, on faisait l’infiltration et lorsqu’ils arrivaient, ils nous distribuaient les armes. En fait, ils nous indiquaient des endroits où ils déposaient les armes pour nous. Par la suite, nous, on va les récupérer là-bas et puis on frappe !
Les Français mêmes, la Licorne ?
Oui, les militaires français, avec l’adjudant Raymond, signalaient les dispositifs de l’adversaire et distribuaient les armes à des points précis. A Man, par exemple, lorsqu’on voulait rentrer là-bas, on a discuté avec eux, ils sont allés cacher les armes quelque part, au cimetière. Ils nous ont indiqué que la poudrière des Fds était à la Préfecture de Man. J’ai fait l’infiltration, et lorsque nous sommes arrivés, nous avons frappé de prime abord sur la poudrière afin de disqualifier les Fds, puis nous avons avancé. C’est le même système que l’Onuci est en train de faire actuellement à Abobo. Ils sont là-bas, ils font entrer les armes et ils les partagent. Ce sont les mêmes qu’ils ont cachées quelque part, qu’ils ont utilisées pour frapper. C’est comme présentement, ils cherchent les poudrières d’Abidjan pour les attaquer.
Mais comment les soldats français trouvaient-ils les poudrières des Fds, par hélico ?
Non, ce n’est pas toujours par hélico, mais avec des complicités internes.
Pour revenir à M. Blaise Compaoré, selon vous, il vient plaider pour Alassane Ouattara ?
Oui, c’est clair que Blaise Compaoré vient imposer Alassane comme président. Et moi, je ne suis pas d’accord. Nous avons notre Constitution, et c’est dans le cadre de cette Constitution qu’un candidat doit être déclaré président la République et non au hasard ou par une combine de Blaise. Depuis qu’ils ont accepté de prendre la Primature avec l’Accord de Ouaga, tout a été planifié. J’avais tout dit au journaliste, mais il y a eu des parties de mes propos qui ont été enlevés. Ils ne voulaient pas déposer les armes, ils voulaient garder les armes jusqu’à imposer Alassane Ouattara. Parce que, si on désarmait et que les choses étaient claires, ils allaient perdre. Donc, pour éviter les poursuites à cause de toutes ces tueries que nous avons commises, des casses de la Bceao que nous avons faits, il fallait trouver des stratégies pour avancer et gagner du temps. Il fallait imposer Alassane qui va décréter une amnistie générale pour nous. Moi, je suis prêt à répondre de mes actes devant le Tribunal pénal international et que chacun assume ses responsabilités. Blaise Compaoré, c’est le père de la rébellion ; il a été le tuteur, il a financé les armes. Il a dit d’annuler les numéros des armes pour qu’on aille au combat.
Pourquoi annuler les numéros des armes ?
Pour ne pas qu’on sache l’origine des armes, de quel pays ça provient, c’est la dotation de quelle armée… on limait les numéros de chaque arme. On faisait cela à Ouaga à la poudrière.
Quels sont actuellement vos rapports avec la rébellion ?
Je n’ai plus de rapport avec elle depuis qu’on m’a arrêté à mon retour de Libye. Nous sommes allés faire une réunion, lorsque j’ai fait une déclaration en 2008, ils m’ont appelé pour me corrompre afin que je puisse rentrer. Arrivé en Libye, j’ai refusé. Mais lorsque je suis arrivé au Mali, on a fait des montages pour m’arrêter. Vous vous rappelez, Rfi avait annoncé qu’on m’avait arrêté au Mali, ce sont des montages pour me soutirer de l’argent, m’escroquer et se moquer de moi en disant que si je rentre dans la République, ils vont me dépouiller pour me replonger dans la pauvreté. Je leur ai répondu que je préfère vivre dans la pauvreté, mourir dedans, mais dire toutes les vérités.
Sur quoi était portée votre mission en Libye ?
Il y avait une rencontre avec certaines autorités, des partisans d’Alassane. Je suis prêt aujourd’hui à dévoiler leurs noms ainsi que ceux de tous ceux qui ont participé à cette rencontre. Il s’agissait de mettre au point un certain nombre de choses pour que je puisse venir bombarder. Mais j’ai refusé en disant que je ne bombarderai jamais.
Quelles autorités ? Des partenaires de M. Alassane qui sont en Libye ?
Voilà ! Alassane s’est toujours caché, il fait venir des gens, il se met toujours derrière et on a des intermédiaires qui nous lient toujours à lui.
Ce sont des Libyens ou des gens qui vivent simplement en Libye ?
Non, ce ne sont pas des libyens, ce sont des Ivoiriens. C’est une rencontre qu’on fait en Libye comme on peut en faire ailleurs, en Algérie, au Mali, etc. C’est une étude, c’est stratégique, c’est bien fondé. Ce ne sont pas des Libyens. Vous savez, si on veut faire une rencontre quelque part et qu’il y a des doutes sur la sécurité, on va ailleurs. Moi, je ne peux pas aller au Burkina ; si j’y vais, ils vont m’assassiner là-bas. Donc, ils m’ont demandé quel pays m’arrange, ils ont proposé la Libye et nous sommes allés là-bas pour discuter.
Quel rôle a joué M. Alassane Outtara à dans cette affaire ?
Alassane, lui c’est le Boss, c’est lui qui donne l’argent à Bak, et Bak va voir le président, le président donne à Michel Bassolé, Basolé à Zida, Zida à Komoé, Komoé à Sidi. Il y a beaucoup de choses qui passaient de branche en branche.
Entre le président Compaoré et M. Alassane, qui commande ?
Nooon ! Il n’y a pas de comparaison ! Peut-être que c’est lui-même le père fondateur de la rébellion. J’ai dit dans l’une de mes interviews que Alassane n’a pas de décision à prendre; c’est Blaise Compaoré qui prend toutes les décisions, c’est lui qui dit on fait ceci, on fait cela. Vous savez que Blaise compose directement avec la France. Et dans ce contexte, il a détruit beaucoup de pays. Je connais Blaise, je me rappelle que j’ai fait un combat au Tchad pour faire asseoir Idriss Déby, on sait comment ça s’est passé. C’est moi qui ai fait le combat de Mauritanie et je sais comment ça s’est passé là-bas ; il y a beaucoup de pays où je suis passé avec lui et que nous avons fait beaucoup de choses ensemble. Mais maintenant, il y a eu divorce entre Blaise et moi ; je lui ai dit que je ne travaille plus dans ces contextes.
Il n’est donc pas le bienvenu en Côte d’Ivoire ?
Non, il n’est pas le bienvenu. S’il vient, c’est pour imposer Alassane. Et si on veut recompter les voix, il faudra refuser, parce que c’est un système qui a été déjà monté. Ils vont vouloir toujours tricher pour que Alassane soit président de la République et qu’il puisse payer toutes ses dettes. La promesse qu’il a faite aux Français, c’est un contrat, ils l’attendent.
Comment s’est passé concrètement le casse de la Bceao ?
Ce qui s’est passé à la Bceao, ce sont des instructions venues d’en haut jusqu’à nous. On a eu des instructions. J’ai une documentation et des Cd sur la répartition des fonds, où l’argent a été gardé, etc. Chacun a parlé sur le Cd, ce qu’il a eu dans le casse, tout. Vous savez, avant comme on était ignorant, chacun a parlé, a fait le travail, sans s’en rendre compte que ça peut le condamner demain. C’est comme le Cd de Koné Zakaria où il explique que Alassane est le père de la rébellion, sans savoir que ça pouvait se retourner contre lui, c’est la même chose. Nous étions ignorants. C’est maintenant que nous comprenons que nous avons pris des risques. Sinon j’ai le Cd du partage, le montant qui est parti à Ouaga, combien on a reçu, par où c’est passé, tout…
Et le Président Compaoré, il a eu sa part ?
Tout le monde a eu sa part ! Tout le monde a eu ! Ce n’est pas ceux qui ont donné les instructions qui ne vont pas avoir leur part. A un moment, il n’y avait pas d’argent pour acheter les armes. Donc il fallait trouver un système pour casser la banque pour trouver de l’argent et payer les Pa et les Rpg, etc. Ils ont demandé un montant. C’est comme la campagne d’Alassane Ouattara. Sa campagne, c’est l’argent de la Bceao qui l’a financée. Voyez bien, est-ce qu’un homme, même s’il a travaillé pendant cent (100) ans, peut-il avoir l’argent de la sorte ? Comment ? Soyons clairs, soyons dans la logique, disons-nous la vérité. Il n’a jamais été Président, comment a-t-il pu avoir cet argent pour faire cette campagne qu’il a faite ? On sait d’où ça provient, on sait qu’il y a eu trois agences attaquées : Korhogo, Man, Bouaké. Et on sait les contenus qui sont partis, on sait! Son émissaire venu chercher l’argent, on connait ; les soldats burkinabé venus chercher aussi, on connait ! l’immatriculation de la voiture burkinabé venue convoyer l’argent, on connait ! Donc, qu’ils arrêtent de fatiguer le président Gbagbo. Ce sont eux mêmes qui ont pris l’argent de la Bceao pour faire leur campagne. Nous, on a pris des morceaux- morceaux, moi, je reconnais ce que j’ai pris, mais que chacun reconnaisse ses faits !
A part la présence du président Blaise Compaoré que vous récusez, que pensez-vous du panel qui arrive ?
Nous avons fait des élections où au Nord, ils ont violé la Constitution ; ils ont violé le code électoral, ils ont bourré les urnes pour pouvoir imposer quelqu’un. Et je le sais bien, j’ai travaillé avec eux, et je sais ce qu’on faisait là-bas. Et je le dirai avec toutes les précisions. Notre travail, c’était de violer certaines lois. Quand il y a eu le cessez-le feu, on violait le cessez-le feu pour attaquer les gens pour faire les crimes, donc c’est le même système qu’ils ont employé là-bas. Il faut le dire ouvertement, et je le dis avec fracas et je suis prêt à assumer toutes mes responsabilités jusqu’au bout.
Où étiez-vous pendant les élections ?
J’étais à Abidjan, ici.
Avez-vous voté ?
Oui, j’ai voté. J’étais à Abidjan ici quand ça se passait. Et j’ai appelé ceux qui sont l’autre côté, ils m’ont expliqué que, franchement, ils ont fait des frappes, deux bonds, deux mouvements,
ça veut dire quoi ?
Ça veut dire qu’ils ont empêché les gens de voter.
Pensez-vous que la Côte d’Ivoire s’en sortira bientôt ?
Si Blaise Compaoré n’est pas dans la mission qui arrive et qu’on fait le recomptage des voix, aujourd’hui, on connait qui est le vrai président.
Vous faites toutes ces révélations, mais quelles raisons auraient les gens pour vous croire aujourd’hui ? Est-ce qu’on ne peut pas dire que vous parlez pour faire plaisir à quelqu’un ?
Jamais ! Je ne parle pas pour faire plaisir à qui que ce soit. Je n’ai pas reçu 5 F de Gbagbo ni de quelqu’un. Gbagbo ne connaît même pas où j’habite. Personne ! Même lorsque je suis arrivé et que je suis allé me faire connaitre, personne ne m’a donné 5 F ou ne m’a dit quoique ce soit de la part de Gbagbo. Personne !
On l’admet, mais vos déclarations actuelles peuvent avoir l’objet d’attirer sa sympathie, non?
Jamais ! Jamais ! J’ai fait des dépositions depuis 2008 et j’ai dit que je ne suis pas prêt à prendre quoique ce soit à qui que ce soit pour quelque chose. Aujourd’hui, je suis là pour mon pays, je ne veux plus qu’on attaque mon pays, que les biens de mon pays aillent au Burkina ou au Mali ou de l’autre côté pour que les autres puissent s’enrichir sur mon pays ; là, je dis non !
Et jusqu’où peut aller votre détermination dans la défense de votre patrie ?
Je ne veux pas aujourd’hui que mon pays soit massacré par un pays voisin qui va pousser des Burkinabè, des Libériens, comme ceux qui ont attaqué avec moi, pour venir attaquer mon pays et le détruire. Je dis non ! Je ne veux plus que le sang d’un Ivoirien soit versé. Je ne veux plus ça ! C’est pour cela que je parle. Et je demande pardon à toute la Nation ivoirienne. Je regrette ce que j’ai fait et je demande pardon pour tout ce que j’ai fait comme exactions, comme tueries. Aujourd’hui, je m’incline devant toute la Nation ivoirienne et lui demande pardon. Je dis encore non à tous ceux qui veulent venir attaquer mon pays.
Que faites-vous dans la vie ?
Je fais le commerce.
Ça marche bien ?
Oui, ça va. Pour le moment les choses sont bloquées, mais comme j’ai au moins deux véhicules de transport, ça va.
Interview réalisée par Germain Séhoué