M. Sapin nous dit que la France est disposée à discuter de la poursuite de la décolonisation
Répondant au ministre français des Finances, l’homme politique et expert en économie affirme que pour se développer les pays africains ont besoin d’une monnaie propre.
Le ministre français des Finances vient d’affirmer que les pays africains peuvent rediscuter les accords monétaires avec la France. Comment les pays africains peuvent-ils s’engouffrer dans cette brèche qui est ouverte pour la première fois ?
Voici, mot à mot, ce que j’ai entendu ce lundi 05 octobre 2015, sur les ondes de Radio France Internationale, (Rfi), de M. Michel Sapin, ministre français des Finances, à propos de la question que vous me posez : « La zone franc, c’est pas une zone figée. C’est une zone qui est dynamique. Et s’il y a de la part des uns ou des autres, au niveau académique ou au niveau politique, des propositions d’évolution, eh bien nous en discuterons tous ensemble, avec cet esprit d’égalité. » Il est impératif que je fasse quelques mises au point. À la fin des années 1950, deux visions de l’Afrique postindépendance se sont affrontées, opposant d’une part le panafricaniste Kwame Nkrumah, et d’autre part le pro-français et adepte du néocolonialisme Félix Houphouët- Boigny.
Le premier proposait un continent totalement indépendant et uni, à savoir une « union politique basée sur la défense, les Affaires étrangères et la diplomatie ; sur une citoyenneté commune, une monnaie africaine, une zone monétaire et une Banque centrale africaine… Nous devons nous unir afin de réaliser la libération totale de notre continent ; nous avons besoin d’un système de défense commun avec un haut commandement africain pour assurer la stabilité et la sécurité de nos pays ». Voici les propos du second : « J’ai déclaré tout à l’heure qu’il n’y avait plus de problème politique entre la métropole et notre Côte d’Ivoire. Et j’ai précisé que le sort de La Communauté ne se jouerait pas en Afrique, mais bien à Paris. Pendant longtemps encore, nous devrions attendre de la France son concours matériel, technique, financier et économique pour féconder nos immenses possibilités. »
La Communauté dont parle Houphouët-Boigny était proposée par le général de Gaulle et devant englober la France et ses anciennes colonies. Mais de Gaulle, obligé de voir les États africains accéder à l’indépendance, a imposé des accords léonins dont ceux maintenant la zone franc, le franc CFA ayant été créé en décembre 1945 par le même de Gaulle. Si quelqu’un ne sait pas ce qui précède, il ne peut pas comprendre mes réponses. Je suis un disciple de Kwame Nkrumah. La lutte continue donc.
Les pays n’ont-ils pas aujourd’hui raison de donner une orientation différente de celle adoptée il y a plus de 50 ans ?
M. Sapin nous dit que la France est disposée à discuter de la poursuite de la décolonisation. Moi, Hubert Kamgang, qui ai des compétences à la fois académiques et politiques – c’est de notoriété publique –, je tiens à faire savoir à M. Sapin qu’il n’y a absolument aucune justification académique à la sujétion de pays « indépendants » à un mécanisme dit de « compte d’opérations » qui est l’un des piliers de la zone franc. Son pays et le mien ont pourtant signé, le 13 novembre 1960, à Yaoundé, un accord de coopération « en matière économique, monétaire et financière » dont l’article 25 stipule que : « La qualité d’État indépendant et souverain acquise par le Cameroun lui confère le droit de créer une monnaie nationale et un institut d’émission qui lui soit propre ».
L’article 26 ajoute que « jusqu’à la création d’une unité monétaire camerounaise, la monnaie légale ayant pouvoir libératoire sur toute l’étendue du territoire du Cameroun est le franc Cfa émis par la Banque centrale des États de l’Afrique équatoriale et du Cameroun (Bceaec). » Le 13 novembre 1960, CFA est l’acronyme de « Colonies Françaises d’Afrique » ! Or, « la monnaie légale ayant pouvoir libératoire sur toute l’étendue du territoire du Cameroun » demeure, jusqu’à l’instant où la présente ligne est écrite, le franc CFA émis par la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac), une survivance de la Bceaec, créée le 22 novembre 1972 à Brazzaville sous l’égide de la France qui en contrôle la gestion ! Comme le lecteur l’a compris, ce n’est pas pour des raisons académiques que nos pays passent sous les fourches caudines de la zone franc, mais pour des raisons politiques. En effet, la France colonialiste a torpillé l’indépendance de la Guinée arrachée par Sékou Touré, en disant non en 1958 à de Gaulle à propos de la Communauté. Cette France a inondé la Guinée de fausse monnaie… Cette France a fait assassiner Sylvanus Olympio, alors président du Togo, le 13 janvier 1963, parce qu’il n’avait pas signé l’accord créant l’Umoa (zone franc en Afrique de l’Ouest) et du fait qu’il voulait doter le Togo de sa monnaie, et qu’il jurait de faire du Togo une « Suisse africaine ».
Le ministre français parle de renégociation des accords monétaires. La renégociation est-elle une alternative pour les pays Africains aujourd’hui ?
Ce n’est pas la première fois que les accords monétaires sont renégociés entre la France impérialiste et ses anciennes possessions africaines. Si le ministre français des Finances, Michel Sapin, a raison, c’est sur un point : la zone franc est effectivement évolutive, mais seulement pour les fantoches qui ont accepté cette servitude volontaire. L’un des épisodes de cette évolution reste gravé dans la mémoire collective, je veux parler de cette dévaluation de 50% du franc des colonies françaises d’Afrique imposée par Édouard Balladur le 11 janvier 1994 à Dakar, et annoncée par un certain Antoine Ntsimi que les Camerounais connaissent très bien. Oui, maintenant que le maître a opiné de la tête, j’attends de voir et entendre les doléances des esclaves monétaires en chef de la zone franc. Michel Sapin, parle de discuter ensemble « avec cet esprit d’égalité ». Y a-t-il égalité entre maître et esclaves ?
Sur quoi pourrait-on néanmoins porter la renégociation des accords monétaires ?
Posez la question aux demandeurs de négociations ! Pour notre part, il n’y a rien à négocier. L’article 17 des conventions des 22 et 23 novembre 1972 à Brazzaville stipule que tout État signataire peut dénoncer lesdites conventions, et recouvrer sa liberté de battre monnaie ! J’ai du mal à comprendre que plus de 50 ans après les proclamations d’indépendance, les pays africains en soient encore à négocier je ne sais quoi. Il faut solder le compte du colonialisme, point !
Qu’est ce qui fait tant problème avec le franc Cfa ?
Pour faire court, je dirais que les Banques centrales (Bceao en Afrique de l’Ouest et Beac en Afrique centrale qui émettent les Cfa, car il y en a deux) sont contrôlées par la France, qui impose des politiques monétaires antiéconomiques pour les pays africains concernés. Je vous renvoie lire les professeurs Joseph Tchundjang Pouémi (Monnaie, Servitude et Liberté) et Nicolas Agbohou (L’euro et le franc Cfa contre l’Afrique). La chaîne de télévision Afrique Média (que Le Jour n’apprécie pas spécialement) a suffisamment popularisé les raisons pour lesquelles le franc Cfa est du nazisme monétaire. Le Cfa est l’instrument par lequel la France maintient sa mainmise sur ses anciennes possessions en Afrique.
Vous faites partie de ceux qui réclament la sortie de la zone franc. Le préalable n’est-il pas de réunir les conditions requises comme le pense Maurice Kamto ? Quelles seraient alors ces conditions ?
Je vous renvoie à Hubert Kamgang, Le Cameroun au XXIe siècle – Quitter la CEMAC, puis oeuvrer pour une monnaie unique dans le cadre des États- Unis d’Afrique, Éditions Renaissance Africaine, Yaoundé, 2000. L’unique préalable à l’émission monétaire pour un pays est d’être indépendant et souverain. La Banque centrale est pour un pays une institution, au même titre que l’Assemblée nationale, par exemple. Maintenant, on peut mal gérer sa monnaie, tout comme on peut faire mal fonctionner les autres institutions Mais, là c’est une autre affaire ! Quant à Maurice Kamto, il a raté une autre occasion de se taire. Je lui ai déjà dit de réfléchir avant de parler. D’après lui, il faut avoir des stocks d’or ou des réserves de change pour garantir la monnaie. J’ai déjà dit à cet égard que l’or a été démonétisé depuis 1976 et ne garantit pas la monnaie. Apparemment, il ne sait pas qu’il n’y a pas d’autres préalables à la souveraineté monétaire que la souveraineté politique.
Le Cameroun n’a-t-il rien à perdre à sortir de la zone franc ?
Mais si ! Le Cameroun a à perdre son statut d’État néocolonial s’il sort de la zone franc, mais il gagne en liberté, liberté de se positionner comme un fer de lance de la Révolution Africaine conformément à la vision de Kwame Nkrumah. L’avantage à être dans la zone franc est celui qu’on a à être colonisé. La garantie tant vantée est un marché de dupes, étant donné que c’est grâce à nos réserves déposées au Trésor français que le Cfa est converti en devises, sachant d’ailleurs que le compte d’opérations est toujours positif, la France n’ayant jamais été amenée à convertir le Cfa avec ses propres réserves. L’enfant apprend à marcher en marchant ; il tombe forcément dans ses débuts, mais ce n’est pas une raison pour qu’il ne marche pas !
N’est pas risqué pour le Cameroun de quitter la zone franc maintenant, alors que le pays est engagé dans un vaste programme d’investissement censé booster sa croissance et son développement ?
Dans le document intitulé « Cameroun Vision 2035 », on lit ce qui suit à la page 56 : « Le Cameroun et les autres pays de la zone franc utilisent le franc CFA qui est arrimé à l’euro depuis le 1er janvier 1999 par une parité fixe… Si l’arrimage du franc CFA à l’euro permet d’imposer une parité fixe qui évite les dérives et assure sa crédibilité internationale, elle porte néanmoins deux lourdes hypothèques : tout d’abord, elle prive le Cameroun d’un instrument majeur de gestion économique, la politique monétaire, ce qui est un handicap considérable pour l’appropriation d’une stratégie volontariste du développement ; d’autre part, l’arrimage à l’euro qui s’est révélé une monnaie très peu flexible entraîne une survalorisation permanente du franc CFA, un ralentissement des exportations et un surenchérissement des importations qui obèrent considérablement la compétitivité de l’économie nationale. » On est ahuri quand, après avoir lu ce qui précède, on entend claironner tous les jours que le Cameroun en l’état sera émergent !
© Le Jour : Propos recueillis par Assongmo Necdem
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