La “Communauté internationale” n’a pas caché son émotion face aux tueries du 28 septembre 2009 à Conakry par l’armée (guinéenne ?!). L’Union Africaine a lancé un ultimatum à Dadis Camara. Réuni à Aboudja pour examiner d’éventuelles poursuites en justice, le sommet de la CEDEAO a exigé de Dadis de renoncer à sa candidature aux élections présidentielles. La Cour Pénale Internationale (CPI) a annoncé son intention d’ouvrir une enquête pour crimes contre l’humanité. L’Union a fini par prendre des sanctions contre la junte. Même Monsieur Ban Ki-Moon, Secrétaire Général des Nations unies a haussé le ton.
Plus de 150 morts sur le stade du 28 septembre à Konakry et près de 1000 blessés. Dadis crie mensonges ! Tous les hommes armés des régimes autocratiques néocoloniaux d’Afrique doivent savoir que le sang d’une personne massacrée lors d’une manifestation populaire contre la dictature vaut celui de mille Africains manifestant pour l’instauration de régimes politiques démocratiques sur le continent.
La réaction de la “Communauté internationale”, notamment celle de l’Union européenne, rappelle bien ce qui s’est passé au Togo en janvier 1993. Ce jour-là, à l’annonce de l’arrivée des Ministres français et allemand Marcel DEBARGE et Helmut SCHAEFFER en visite dans le pays, des milliers de Togolais se sont rassemblés sur la place Fréau Jardin pour manifester contre le régime de dictature militaire d’Eyadema. Comme Camara Dadis, Eyadema manœuvrait pour se porter candidat aux élections présidentielles contrairement aux dispositions de la Constitution de 1992, et dans le but de continuer de se maintenir au pouvoir en dépit de la volonté populaire. Pour montrer le caractère pacifique de la manifestation, les manifestants s’étaient vêtus de blanc, une bougie à la main.
Soudain, des hommes armés transportés dans des voitures de police foncèrent dans la foule en tirant des rafales sur la population, pendant que d’autres poursuivaient les hommes, les femmes et les enfants en fuite dans les rues avoisinantes et tiraient sur eux à bout portant. Des centaines de morts et des milliers de blessés. Les deux ministres en visite eurent des larmes aux yeux en voyant les corps entassés à la morgue de Lomé.
A l’époque –et il faut le rappeler–, Eyadema avait nommé ministre de l’Intérieur un jeune enragé du parti-Etat, le RPT, pour mater l’opposition démocratique et barrer la route au processus de démocratisation. Ce jeune parvenu fut si efficace dans la répression et dans les coups tordus de toutes sortes qu’Eyadema en fera son premier ministre pendant quelques années avant de l’éjecter du système comme un malpropre. Il vaut mieux taire le nom de ce sinistre ministre pour que ses victimes innocentes ne se retournent pas dans leurs tombes.
Enrichi grâce aux différents postes qu’il occupera dans le régime d’oppression, ce jeune ministre RPT, qui avait eu tant de sang sur les mains, se porte aujourd’hui candidat aux présidentielles de 2010. Et avec la même arrogance qu’il a toujours affichée, il rappelle ce passé douloureux et cherche à se disculper en imputant la responsabilité de ses crimes à d’autres ! Quand on s’amuse à remue le caca, on s’en prend plein le nez soi-même.
Sous le coup d’une émotion bien compréhensible, les deux ministres européens ont amené l’Union européenne à prendre des sanctions contre le régime Eyadema pour “déficit démocratique”. L’arbitraire, l’usage de la violence d’Etat et les manipulations électorales comme moyens de conservation du pouvoir et méthodes de gouvernement n’ont pas cessé pour autant. Le régime d’oppression a continué de fonctionner sans entraves, activement soutenu par des Etats de l’Union européenne. Les sanctions pour “déficit démocratique” n’avaient plus aucun sens. Pour ne pas continuer de tenir le double langage, la Commission de l’UE pour le développement finira par proposer gentiment les “22 engagements” à Eyadema, en sachant très bien qu’il ne les appliquera pas.
Les sanctions furent suspendus dès que le pouvoir despotique a commencé à faire semblant d’appliquer les “22 engagements”. Les rapports de l’UE avec le régime sont alors plus que “normalisés”. Ils sont devenus très amicaux. Plus question de “déficit démocratique” jusqu’à la réédition d’une nouvelle mascarade électorale tragique portée par la violence d’Etat et grâce à laquelle le fils d’Eyadema est porté et maintenu au pouvoir en avril 2005, après la mort du père. Bilan du déchainement de la violence d’Etat en avril-mai 2005 : 500 morts. Et le pays continue d’être soumis au même régime de dictature.
Les massacres du 28 septembre en Guinée rappellent donc bien ceux organisés par Eyadema au Togo en 1993, et ceux organisés par son armée en 2005 après sa mort, sans compter les vagues successives de répression qui ont marqué ces sombres années de revendication de la démocratie au Togo. L’“émotion” de la “Communauté internationale” face aux tueries en Guinée est fort louable ; et les menaces proférées contre Camara Dadie tout à fait justifiées. Elles sont tout aussi justifiées que celles suscitées par les mêmes types de tueries perpétrées au Togo quelques années plus tôt.
Mais l’émotion, les menaces et les sanctions n’avaient pas empêché Eyadema de maintenir son régime totalitaire en place, et de continuer de s’accrocher au pouvoir jusqu’à sa mort. Et elles n’ont pas empêché son armée d’imposer son fils à la tête de l’Etat togolais par une autre tuerie en 2005. Le vieux régime de dictature continue de se maintenir, fermement protégé par son armée, comme Camara Dadis en Guinée. Et la “Communauté internationale” continue d’entretenir d’excellentes relations avec Lomé comme s’il ne s’était rien passé d’inacceptable dans le pays.
Dans ces conditions, Dadie a-t-il vraiment des raisons de s’inquiéter ? Plus que le Togo, la Guinée regorge de richesses minières. On n’arrête pas de voir se profiler à l’horizon la menace chinoise, le vrai “péril jaune” cette fois-ci. Et en admettant même que les richesses de la Guinée n’intéressent pas, l’Etat guinéen représente tout de même à l’ONU une voix qui peut se révéler utile à prendre à l’occasion !
Les menaces proférées par la “Communauté internationale” visent avant tout Camara Dadie, le malpropre. C’est normal. C’est lui qui s’est mis au sommet de l’Etat guinéen et de la hiérarchie militaire de Guinée. C’est lui qui est sensé donner les ordres et les faire exécuter. Il n’en est pas à son coup d’essai. Il compte parmi ces chiens de garde que Lanzana Conté avait lâchés à plusieurs reprises sur la population, notamment le 22 janvier 2007. Des centaines de morts et de blessés comme le 28 septembre 2009.
Dadie a beau jeu de mettre ses crimes au compte de la horde militaire guinéenne. Au Togo, Eyadema et son entourage mettaient toujours les leurs sur le compte de ce qu’ils appellent “les éléments incontrôlés”, ou de “policiers hors norme” comme vient de le redire ce jeune enragé du RPT qui fut ministre de l’Intérieur au moment des tueries en janvier 1993 à Fréau Jardin et dans les rues avoisinant la place. Dadie doit rendre compte de ses crimes.
Mais il faut que la “Communauté internationale” cesse de faire en sorte que l’arbre cache à chaque fois la forêt. Que ce soit au Togo, en Guinée, au Libéria, au Gabon, au Tchad…, ces drames qui jalonnent le processus de démocratisation en Afrique ont leurs origines dans la nature profonde des armées néocoloniales d’Afrique et, au-delà, de celle des régimes politiques du continent, singulièrement dans l’ancien espace colonial français d’Afrique.
Ces armées, en particulier leurs sections connues sous le nom de “Bérets rouge” ou de “Bérets verts” selon les Etats, ont pour fonction de protéger, et au besoin de défendre les régimes dictatoriaux institués en Afrique. De défendre ces régimes non pas contre quelque péril extérieur que ce soit, mais bien contre les populations qu’ils oppriment pour s’assurer de leur soumission. Qui forme ces armées ? Qui vend des armes à ces Etats despotiques ?
Comme Eyadema et son quarteron de généraux au Togo, comme Tandja Mamadou et les chefs de sa garde personnelle au Niger, comme Habyarimana et les chefs de sa garde prétorienne, comme Lanzana Conté qui vient de mourir, Dadie Camara comme eux est formé par, et dans l’armée française. Dans les pays de l’ancien espace colonial français d’Afrique, les armées qui font le malheur des populations sont formées en France et encadrées sur place par des instructeurs français. C’est de ce point de vue que la sortie du “French Doctor” contre Dadie fait sourire.
Au lieu de se contenter de s’émouvoir devant les tueries périodiquement commises dans ces Etats d’Afrique par ces armées, ou de traduire devant la CPI tel ou tel autre potentat militaire Africain, comme si on pouvait l’isoler du système en vigueur, ce sont ces armées néocoloniales et les régimes qu’elles protègent qu’il faut remettre en cause dans leurs principes même. Ce sont ces armées personnelles de métiers ou leurs dégénérescences incontrôlables dont il faut créer les conditions du démantèlement et de leur remplacement par des armées véritablement nationales.
Mais cela implique la disparition de ces régimes dictatoriaux eux-mêmes et leur remplacement par des régimes politiques démocratiques et républicains. Mais alors quelle puissance au sein de la “Communauté internationale” veut réellement l’émergence d’Etats démocratiques, républicains et indépendants en Afrique ?
Pendant vingt années au cours desquelles la “Communauté internationale” s’est toujours “émue” devant les tueries et les violations des droits humains qui ont jalonné la lutte pour la démocratie au Togo, l’opposition togolaise n’a toujours pas réussi à réaliser l’objectif de la démocratisation. Au contraire, son courant dominant s’est progressivement placé de diverses manières en situation de collaboration objective avec le régime de dictature. Comme au Togo, “l’émotion” de la “Communauté internationale”, y compris ses menaces et ses sanctions contre Camara Dadis ne permettra pas à la Guinée d’atteindre l’objectif de démocratisation.
La solidarité internationale est un élément important du succès de la lutte en cours pour la démocratie en Afrique. Elle a beaucoup joué dans l’histoire, grâce à ses apports, au profit de peuples hier opprimés, qui jouissent aujourd’hui des libertés démocratiques et s’épanouissent. Mais dans le présent contexte des relations internationales il convient de redéfinir la solidarité internationale, d’en cerner précisément le contour et d’aller la chercher là où elle se trouve. Aucun des Etats de ce qu’il est convenu d’appeler la “Communauté internationale” n’a intérêt à voir émerger en Afrique un Etat réellement démocratique, capable de réorganiser la société et de défendre les intérêts de ses citoyens.
Mais naturellement, même une solidarité internationale redéfinie et bien cernée n’est pas la panacée quand il s’agit de se dégager des régimes néocoloniaux d’oppression. Les forces démocratiques du monde qui s’engagent ou sont prêts à s’engager aux côtés des peuples soumis aux régimes d’oppression ne peuvent pas être plus royalistes que le roi. Elles ne peuvent pas mener le combat pour la démocratie à la place des masses opprimées par ces régimes prédateurs.
Les sociétés africaines soumises à ces régimes ont, en elles-mêmes, les ressorts potentiels pour se libérer malgré le travail de sape des forces qui n’entendent pas voir émerger en Afrique des d’Etats démocratiques, républicains et indépendants. Mais il faut que ces sociétés soient mises en mesure de s’organiser. Le spontané a montré qu’il ne produit jamais que des émeutes. Et les émeutes n’offrent jamais aux potentats que des occasions de tueries gratuites et de violation des droits humains. Par contre, l’organisé donne plus de chances de succès.
Enfin, les tueries au Togo, en Guinée, au Gabon…, les tripatouillages des constitutions par les régimes autocratiques au Niger, au Togo, au Sénégal…, les fraudes et les coups de force électoraux au Togo, au Burkina, en Centrafrique, au Tchad…, la transformation et les tentatives de transformation des régimes despotiques en monarchies dynastiques “apaisées” ici et là sur le continent par les mêmes despotes, montrent bien que le problème de la démocratie et de la démocratisation sont de même nature en Afrique, au-delà des frontières coloniales.
Cela veut dire que dans chaque territoire, les partis d’opposition plus préoccupés par l’éradication de la dictature que par le pouvoir à n’importe quel prix, doivent se donner la main par-dessus ces frontières, se rapprocher les uns des autres, faire un effort d’harmonisation de leurs stratégies respectives de lutte, travailler ensemble autant que possible dans tous les domaines où leur collaboration peut les renforcer réciproquement face aux dictatures instituées.
Togo, Guinée, Niger…, même combat.
Lomé, le 2 Novembre 2009
Pour la CDPA-BT
Le Premier Secrétaire
Normal 0 21 E. GU-KONU