Je travaille sur l’aspirine depuis plus de 40 ans.
Ce n’est pas forcément un critère de qualité mais, ce faisant, j’ai eu la chance de rencontrer autour de 1978 à l’Hôpital Universitaire de Genève (où j’ai validé mon premier diplôme de cardiologie) un hématologue qui avait des doutes sur cette substance.
Plus précisément, sa spécialité était l’hémostase et comme, seul parmi tous et d’autres qui se moquaient de moi, j’émettais l’hypothèse que les plaquettes jouaient un rôle crucial dans les infarctus et autre angor instable [j’avais quand même obtenu de la Société Suisse de Cardiologie un bien beau contrat de recherche pour investiguer cette question…], nous avons beaucoup travaillé ensemble.
C’est lui qui m’a fait comprendre, à une époque où aucun cardiologue ne s’intéressait aux plaquettes, que la dose prescrite est un aspect crucial de l’activité antiplaquettaire et antithrombotique de l’aspirine.
Aujourd’hui ce concept est admis par tous mais bien peu savent, dans les milieux les plus gradés des facultés et des hôpitaux, pourquoi on prescrit des doses d’aspirine de bébé en cardiologie.
Bien peu ont été nourris aux mamelles de la biologie et de la physiologie ; et d’année en année, ça ne s’arrange pas.
Je ne vais pas faire un cours de pharmacologie ou de toxicologie ; mais il faut savoir que l’aspirine est un poison dont il vaut mieux se passer ; sauf cas particuliers. Ici, la médecine est un art réservé à certains acrobates !
L’aspirine empoisonne les cellules qui ont un système enzymatique appelé cyclo-oxygénase.
L’aspirine bloque ainsi les plaquettes ce qui peut être très utile dans certaines conditions cliniques.
Mais l’aspirine bloque aussi d’autres cellules (et ça peut être délétère) notamment l’endothélium des artères, l’épithélium de l’estomac et quelques autres. Peu importe !
Même à des petites doses, l’aspirine donnée de façon chronique empoisonne ces cellules. Au niveau de l’endothélium c’est ennuyeux, car les cellules endothéliales nous protègent de la thrombose et de l’athérosclérose.
On peut même dire que l’athérosclérose est une maladie de l’endothélium.
Faut pas prendre l’aspirine de façon chronique ; et pas seulement pour son estomac, encore plus pour son endothélium artériel qu’il faut absolument préserver ! !
Alors, pourquoi le fait-on parfois ?
Je donne un seul exemple où c’est justifié.
Quand on a reçu un stent dit actif, le risque de thrombose dans le stent est tellement élevé que le consensus est qu’il faut prescrire deux médicaments antiplaquettaires.
Or nous n’avons à notre disposition que deux classes d’antiplaquettaires vraiment efficaces dont l’aspirine. Ainsi nous sommes obligés de prescrire de l’aspirine après stenting. On ne peut pas faire autrement ! On donne une dose de bébé, c’est suffisant pour protéger le stent mais quand même toxique pour l’endothélium et l’estomac…
L’absurde et de continuer à prescrire l’aspirine dans la deuxième période après stenting quand il est admis qu’un seul antiplaquettaire est suffisant. Ce n’est évidement pas l’aspirine qu’il faut garder, c’est l’autre…
L’absurde c’est que la majorité des prescripteurs ignorent ces évidences ; et aussi les fonctionnaires de la CNAM et des Agences régionales de santé (ARS).
Merci d’aller expliquer (si vous avez le temps et le courage…) à la cardiologie universitaire (qui peut-être transmettra, après une longue incubation, à la cardiologie libérale), aux fonctionnaires de la CNAM et des ARS que ce sont les autres antiplaquettaires qui sont importants sur le long terme ; à condition de savoir les choisir.
Choisir le bon antiplaquettaire [surtout pas l’aspirine, tous mes lecteurs ont compris]est une autre question cruciale qui nécessitera quelques développements et explications.
Ça risquerait de ressembler à un cours de médecine ou une conférence experte ; mais ce blog n’est pas le lieu idéal pour ce genre de production artistique !
C’est dommage pour les patients et leurs médecins qui voudraient prescrire les meilleurs traitements possible à leurs patients.
Source : https://michel.delorgeril.info