L’évocation de Dieu dans cette affaire mérite une réflexion spéciale. Elle intervient au lendemain de la publication par la coordination du Collectif « Sauvons le Togo », d’une série d’actions à caractère religieux, décrétées le 29 novembre, à l’attention de ses militants, dans le cadre de la lutte contre l’intransigeance aveugle du régime: actions de grâces pour remercier et louer Dieu, trois jours de jeûne et prières, séances de prière tous les mercredis, opération« les derniers tours de Jéricho», allusion aux sept tours de Jéricho exécutés par les Hébreux, par ordre du Prince de l’Armée de Jéhovah( figure du Christ, selon certains théologiens), sous la direction de Josué, qui ont fait tomber les murs de la ville, malgré l’existence de ses hommes forts ( faut-il lire ici la soldatesque brutale de Gnassingbé? ) par les clameurs du peuple de Dieu
Il est évident que le passage biblique auquel il est fait allusion et la situation du Togo, même symboliquement, n’ont que peu de choses en commun si l’on veut se livrer, à tout prix, à une herméneutique. Je ne vois vraiment qu’un seul point commun important : la muraille, fortifiée jusqu’au ciel, écrasante, vertigineuse, hermétiquement fermée de Jéricho, humainement imprenable d’une part, et le régime des Gnassingbé, également sourd comme un amas de pierres, fermé à toute vraie négociation avec l’opposition, insensible aux aspirations et à la misère du peuple togolais, d’autre part, régime devant lequel, humainement, les Togolais se sentent impuissants.
Le recours à la religion et au religieux dans notre vie politique n’est pas un fait nouveau, si l’on se réfère seulement au « Grand Pardon », inspiré par le Yom Kippour hébreu, lancé par Edem Kodjo, en 1990, à son retour au Togo à la faveur du soulèvement du 5 Octobre, pour jouer un rôle politique de premier plan, peut-être même pour devenir président de la République (et Souverain Sacrificateur, pourquoi pas?). Et, n’est-ce pas dans la suite de cette idée de « Grand Pardon » que se situe, aujourd’hui, la fameuse Commission « Vérité-Justice-Réconciliation », présidée par un religieux, Mgr. Barrigah?
La question est de savoir si ce recours au divin débouche vraiment sur des miracles, ou même si nous les humains, nous remplissons les conditions pour que le ciel nous vienne au secours. Aide-toi et le ciel t’aidera, dit-on. Ou autrement : porte ta charge jusqu’aux genoux et Dieu la soulèvera au-dessus de ta tête. Dans tous les cas, sois conscient que c’est d’abord ta charge.
Si par hasard, la mort de Gnassingbé était intervenue après que ces actions à caractère religieux ont été décrétées ( bien que nous n’ayons ni Josué, ni les prêtres porteurs de l’Arche ni les sonneurs de cors…à la tête de notre révolution ), certains de nos compatriotes auraient peut-être attribué ce décès à une intervention divine.
Alors, invocation de Dieu contre invocation de Dieu, ou « à bénéficiaire de la grâce divine, bénéficiaire de la grâce divine et demi » pour ne pas dire « à manipulateur du divin, manipulateur du divin et demi »: Gnassingbé revenu de terre sainte le 1er décembre ( un avantage que l’opposition n’a pas ) est en vie, grâce à Dieu! Alléluia!
Les croyants togolais, ne devraient-ils pas réfléchir sur cette utilisation faite de part et d’autre du nom et de la parole de Dieu? S’il s’agissait réellement d’une bataille, sur ce plan-là, c’est Gnassingbé qui serait sorti vainqueur et il aurait raison de s’en vanter et de dire qu’il était désolé de décevoir ses adversaires qui, je ne sais pour quelles raisons, souhaiteraient sa mort.
Mais au fond, qui Gnassingbé a-t-il déçu? Qui en veut à sa vie? Je ne crois pas que ce soient les opposants intelligents, réellement préoccupés par le sort du peuple togolais, dans un avenir de réelle stabilité. Pour ces derniers, une mort de Gnassingbé dans les circonstances actuelles signifierait incertitude par suite d’absence de dispositions statutaires de succession par la voie républicaine, coup d’État éventuel, massacres, bain de sang, nouvelles élections frauduleuses et finalement prolongement de la crise et donc des souffrances et de la misère du peuple togolais. Ce ne sont pas ces choses que souhaite le peuple togolais. Or, c’est ce plat que Gnassingbé et son entourage militaro-RPTiste ont toujours été capables de servir au peuple togolais.
Le peuple demande à Gnassingbé de laisser le pouvoir conquis dans ces conditions, avec ces méthodes. Voilà tout. Mais, Gnassingbé peut-il comprendre ce que le peuple togolais veut? Peut-il simplement l’entendre? S’il avait été capable de l’entendre, il y a bien longtemps que le sort du Togo aurait pris une autre tournure. Et c’est précisément pour cette raison que certains d’entre nous, dont moi, pourraient arguer d’autres passages bibliques, pour montrer qu’il y a d’autres morts que la mort physique dont Gnassingbé se vante d’avoir été délivré par Dieu.
Ainsi, Gnassingbé, sauf s’il a un sursaut moral ou religieux, serait mort. Comme un mort, il n’entend pas. Comme un mort, il ne bouge pas d’une position usurpée, qu’il croit être un héritage familial, immuable, mais nuisible au peuple togolais. Comme un mort, un cadavre, il empeste l’atmosphère aux Togolais. C’est cette mort-là que Gnassingbé, être moral, ou être humain tout court devra éviter, s’il veut que le peuple togolais lui soit reconnaissant de quelque chose un jour. Son départ du pouvoir, finalement salutaire pour tous, est, si j’en crois une déclaration de Zeus Adjavon, le seul sujet possible de négociations entre l’opposition et Gnassingbé, le seul terrain où l’attend le peuple pour lui dire ce qu’il mérite, le vrai Grand Pardon pour une vie après le pouvoir, ou la condamnation, comme un cadavre moral qu’on dégager. Gnassingbé ferait mieux d’y penser, au lieu de se livrer au ridicule de cette mise en scène à laquelle son père nous avait habitués, pour les mêmes causes: donner le change, semer la diversion alors que le peuple souhaite simplement récupérer ce que Dieu et les lois républicaines lui confèrent.
Sénouvo Agbota ZINSOU