Un engagement de la honte
« Suite aux évènements tragiques intervenus en janvier lors de la Coupe d’Afrique des Nations, lors desquels deux de mes compatriotes ont été tués par des terroristes en Angola, j’ai pris la décision très difficile de prendre ma retraite internationale. […] Je suis toujours hanté par les événements dont j’ai été témoin lors de cet horrible après-midi dans le bus de l’équipe du Togo. C’est un moment que je n’oublierai jamais et que je ne veux plus jamais revivre. » C´est en ces termes qu´Emmanuel Adébayor, marqué par les évènements de Cabinda en Angola, où deux membres de la délégation togolaise perdent la vie dans une attaque terroriste du bus qui les transportait, annonce la fin de sa carrière internationale le 12 avril 2010. Mais sous la pression des autorités et après des négociations il reviendra jouer contre la Guinée-Bissau le 15 novembre 2011 pour les éliminatoires de la coupe du monde 2014; une partie remportée par le Togo par un but à 0.
Sans le football, Emmanuel Shéyi Adébayor serait aujourd´hui un Togolais comme les autres. Après son enfance Nyékonakpoé dans des conditions modestes, il aurait peut-être appris un métier ou fait des études, et il travaillerait aujourd´hui pour gagner son pain quotidien, ou serait au chômage comme c´est le cas de beaucoup de ses compatriotes. Les aléas du destin ont fait en sorte qu´il fût doué dans le maniement du ballon rond. Il connut une grande carrière qui est allée au-délà des frontières de notre pays; il devint riche à la sueur de ses souliers, il devint millionnaire ou même milliardaire-c´est selon- grâce au football. Et il l´a mérité comme beaucoup de ces africains ou brésiliens et autres que le football a sauvés des bidonvilles et de la pauvreté. Et quand on devient aussi riche en se rappelant de ses origines modestes, après avoir durement bossé, après avoir été victime des actes de discrimination et de racisme dans les stades européens ou ailleurs, à cause de la couleur de sa peau, on se décide à détester l´injustice, la discrimination sous toutes ses formes et à se mettre du côté des plus faibles, des plus pauvres.
Et ils sont nombreux ces anciens joueurs de football aux origines modestes qui, après leur carrière, se sont engagés sur le plan social pour combattre l´injustice, les discriminations, le racisme etc…Lilian Thuram, aujourd´hui 49 ans, né en Guadéloupe, ayant évolué avec succès en équipe nationale de France de football, a créé sa fondation à travers laquelle il mène son combat contre le racisme. Il ne cesse de parcourir les clubs sportifs et les écoles pour débattre avec les jeunes et les adultes. Son engagement va également au soutien aux sans-papiers. Beaucoup d´anciens joueurs de football en Europe ont entamé une deuxième carrière qui consiste à s´engager auprès des jeunes pour les sensibiliser sur le danger de la prise de drogue, par exemple, et dans les quartiers difficiles pour aider à créer des initiatives en faveur de la jeunesse pour la sauver de l´oisiveté et de la délinquance. Nous pouvons multiplier des exemples où des anciens joueurs de football, que ce soit en Afrique ou ailleurs, se rendent utiles pour aider les plus défavorisés. Samuel Éto´o au Cameroun, Didier Drogba en Côte d´Ivoire, etc…
Et un tel engagement de stars ou d´anciens stars de football ou de musique pour faire changer positivement les sociétés dans lesquelles ils vivent, trouve plus son sens dans les pays comme les nôtres où règnent les dictatures, où les fossés entre pauvres et riches sont les plus flagrants, où aucune assistance de l´état aux populations n´existe, où les travailleurs n´ont que des salaires de misère et où le chômage de masse est devenue la chose la mieux partagée. Et c´est pourquoi nous nous étonnons de l´engagement d´Emmanuel Shéyi Adébayor auprès de l´OTR (Offices Togolais des Recettes), donc auprès du gouvernement de dictature, incarné aujourd´hui par Faure Gnassingbé, pour protéger les voleurs, les assassins, les corrompus, et aider à continuer à faire saigner davantage des populations qui n´en peuvent plus de croupir sous la misère. Quelle mauvaise mouche a donc pu piquer la star de football à la retraite pour prendre une telle décision de se mettre du côté des fonctionnaires milliardaires qui se moquent de leurs compatriotes?
Monsieur Emmanuel Adéabyor peut-il nous dire où l´argent des impôts va, alors que les infrastructures routières ou autres sont dans un délabrement total? Est-il au courant de tous ces scandales économiques dénoncés presque chaque semaine par la presse privée combattante? Au lieu de montrer la voie à ce pouvoir irresponsable, en créant par exemple des structures pour donner de l´emploi aux jeunes Togolais qui sont tous dans la débrouillardise, l´ancien capitaine des « Éperviers » ne trouve mieux que de demander aux populations et surtout aux jeunes qui se débrouillent pour vivre, de payer les impôts et le péage pour que cet argent continue à aller dans des poches parallèles. Par principe nous ne sommes pas contre le fait que les citoyens s´acquittent de leur devoir en payant les impôts, mais nous voulons dénoncer le fait que les fonctionnaires de l´état, chargés de la gestion des régies financières, détournent de l´argent en s´enrichissant en toute impunité, et que pendant ce temps les laborieuses populations soient laissés pour compte.
Adébayor n´a-t-il pas de conseillers ou de managers pour se laisser manipuler à ce point? S´il était devenu riche comme tous ces voleurs, proches du pouvoir Gnassingbé, on comprendrait qu´il se mette du côté de ceux qui l´ont fait ce qu´il est. Mais lui qui a connu une enfance relativement difficile avant d´être sauvé par son talent de footballeur, lui qui a côtoyé la discrimination et le racisme parce qu´il est noir, sur les stades européens et ailleurs, ne devrait-il pas avoir une dette morale envers la société de laquelle il est issu? Nous apprenons que Emmanuel Shéyi Adébayor possède dans la région de Kpalimé un centre ou une fondation. Est-ce un centre de formation de jeunes footballeurs ou une fondation qui s´occupe d oeuvres sociales? Vivement qu´une telle initiative puisse aller dans le sens que nous souhaitons; à la fin il revient à Adébayor de faire de sa célébrité ce qu´il veut. Et les populations togolaises ont le droit de le critiquer si elles estiment qu´il se trompe. Et pour nous son engagement auprès de la dictature Gnassingbé pour l´encourager à continuer à faire voir de toutes les couleurs au peuple togolais, en oubliant la mauvaise gouvernance, en oubliant les plus démunis, les laisser pour compte, ne l´honore pas. Maître Yaovi Dégli, en parlant de l´ancien premier ministre Josef Koffigoh dans un livre, écrivait qu´on ne fait pas de quelqu´un un héros malgré lui.
Samari Tchadjobo
Allemagne