À l’occasion des 165 ans du décret de l’abolition de l’esclavage, le 27 avril 1848, Paris sait-il qu’il y a moins de cent cinquante ans son maire était noir? Le livre, Ce mulâtre que Paris fit maire et la République ministre*, du professeur émérite à l’université de Paris-VIII Paul Estrade, retrace le parcours de Severiano de Heredia, tombé aux oubliettes de la IIIe République française.
Franc-maçon, ce fils d’esclaves affranchis d’origine cubaine et cousin direct du poète José Maria de Heredia, représentait à l’époque la modernité et l’évolution de la pensée contemporaine. «Il marchait aux côtés des défenseurs de la presse libre et il soutenait l’effort de la révolution industrielle. Il partageait aussi les idées de Jules Ferry pour la laïcité dans la vie publique», rappelle Paul Estrade.
Severiano de Heredia avait réussi à séduire les politiques. Le 13 avril 1873, il est nommé au Conseil municipal des Ternes. Il est ensuite élu à la tête du Conseil de Paris en 1879, devenant ainsi l’équivalent du maire de l’époque. Il accéda même à la Chambre des députés après avoir été élu en 1881. Mais son plus important mandat fut celui de ministre des Travaux publiques, débuté le 30 mai 1887.
Il se retire de la vie politique en 1893
«Le colonialisme a conduit Heredia à sa perte», annonce l’auteur. «Alors que l’on justifie les conquêtes africaines pour civiliser les populations noires, il était assez contradictoire d’avoir un mulâtre au sein du gouvernement français», ajoute-t-il dans son livre. Son déclin a commencé à se préciser durant l’Exposition coloniale de 1886 au jardin d’Acclimatation, où les populations indigènes étaient exposées comme des animaux.
Après ses échecs aux élections législatives de 1889 et de 1893, il se retire de la scène politique, pour se consacrer à la littérature. Le colonialisme et la Première Guerre mondiale font alors tomber dans l’oubli celui qui fut le premier ministre «non blanc européen». Il meurt le 9 février 1901 à son domicile parisien de la rue de Courcelles, sans avoir jamais été décoré de la Légion d’honneur. Il n’est même pas mentionné sur la stèle des célébrités du cimetière des Batignolles, où il est enterré. Le site de l’Assemblée nationale lui consacre néanmoins une courte biographie.
* Paul Estrade, Severiano de Heredia. Ce mulâtre cubain que Paris fit «maire», et la République, ministre. Éditions Les Indes savantes, 2011, 162 pages, 21 euros.
Le Figaro
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