Dr Yaovi Jean Dégli n’est pas du tout content du discours de fin d’année de Faure Gnassingbé

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 Les réformes prévues par l’APG et actuellement en cours de discussion devront être adoptées et mises en œuvre avant les élections présidentielles de 2015

Dans son message à la nation le 31 décembre 2014, le Chef de l’Etat a entre autres, fait une proposition de réformes de nos institutions qui suscite controverses et polémique et mérite que l’on s’y prononce.

En effet, parlant des réformes constitutionnelles et institutionnelles prévues par l’APG et notamment de leur procédure d’adoption actuellement pendante devant l’Assemblée nationale, le Chef de l’Etat a indiqué que « quelle que soit l’issue qui lui sera réservée » il « parait à présent fondamental de dépasser les contingences immédiates pour ouvrir un vaste champ de réformes politique en profondeur dans le but de consolider notre ancrage démocratique et le processus de réconciliation nationale ». Il a, à ce propos, prévu la mise sur pied d’une « commission de réflexions sur les réformes politiques composée des historiens, des personnalités politiques, de juristes, de sociologues et de représentant de la société civile ». Cette commission aura pour mission de proposer dans les meilleurs délais, conformément à l’approche préconisée par la CVJR, un texte de réformes politique, de réformes institutionnelle et constitutionnelle « qui tient compte de notre histoire, reflète nos réalités et répond aux aspirations les plus profondes des Togolaises et Togolais ».

Contrairement à certaines affirmations trop tranchées, cette approche n’est pas dénuée de fondement pour être uniquement destinée à contourner le processus de réformes actuellement en cours. La proposition du Chef de l’Etat est bel et bien fondée sur la huitième (8ème) recommandation de la Commission Vérité Justice Réconciliation qui indique que « la question des réformes institutionnelles constitue un problème complexe qui mériterait d’être posée dans le cadre d’une réflexion sérieuse devant nous amener à nous interroger sur l’adaptation, à nos réalités sociologiques, du modèle occidental en vigueur dans notre pays depuis l’indépendance » puisque pour la CVJR ce modèle qui est « fondé sur l’individualisme et une conscience citoyenne rationnelle, … éprouve du mal à régir notre société nationale pluriethnique où les réflexes communautaristes continuent d’être prédominants ».

La proposition du Président de la République peut aussi être considérée comme une bonne chose en soi car elle semble procéder d’une prise en compte quoique tardive des recommandations de la CVJR et a le mérite de poser clairement le débat de l’adéquation de nos institutions avec nos réalités sociologiques. Proposé par diverses autres voix, ce processus avait d’ailleurs été initié par le passé mais sans suite. Cependant, la période choisie pour faire cette annonce et les circonstances du moment font qu’elle est source d’une confusion et d’inquiétudes qu’il convient de dissiper au plus vite.

En effet, le postulat de base est que la question d’adaptation de nos institutions à nos réalités sociologiques qui est un vaste chantier dont la mise en œuvre nécessitera un temps conséquent n’est pas du tout la même que celle des réformes constitutionnelles et institutionnelles préconisée par l’APG et rappelée par les recommandations de la CVJR. Tout amalgame devra donc être évité.

I- SUR LA NECESSITE DE LEVER TOUTE AMBIGUITE

D’abord, la recommandation n° 8 de la CVJR qui fonde la proposition du Président de la République doit être lue en conjonction avec la recommandation n° 5 qui dispose que « les réformes institutionnelles en cours doivent notamment viser la mise en place de mesures garantissant de meilleures conditions de l’alternance démocratique. Il s’en suit que le mandat présidentiel devra, à l’avenir être limité. A cet effet, la CVJR recommande le retour à la formule originelle de l’article 59 de la Constitution du 14 octobre 1992 : « Le Président de la République est élu au suffrage universel pour un mandat de cinq (5) ans renouvelable une seule fois ». Elle doit également être mise en rapport avec les recommandations n°4 sur la séparation des pouvoirs, n°6 et 7 relatives aux conditions d’organisation des élections au Togo.

L’ouverture d’un chantier pour adapter nos institutions politiques à nos réalités sociologiques n’est pas du tout antinomique avec le processus de réformes préconisées dans le cadre de l’APG que ce chantier plus vaste ne saurait engloutir ni arrêter. Ce chantier qui devra prendre en considération le système politique mis en place dans notre pays depuis les indépendances est un projet important à faire aboutir à moyen terme. Il débouchera certainement sur un changement de constitution (à adopter par référendum) et donc sur un passage de la 4ème à la 5ème république. Quant aux réformes préconisées par l’APG qui ont déjà pris plus de huit (8) ans de retard, elles sont à mettre en rapport direct avec notre constitution actuelle qu’il faudra rapprocher de sa version de 1992 et la rendre acceptable pour tous. Elles doivent, pour ce faire, être mises en œuvre immédiatement. A ce titre, il paraît impossible d’abandonner ce processus au profit d’un autre sous quelque prétexte que ce soit, même s’il y a « nécessité de dépasser les contingences immédiates » dans le cadre d’un autre projet.

Ensuite, le point 3.2 de l’Accord Politique Global est clair. Il affirme en effet que « les parties prenantes au Dialogue national, engagent le gouvernement à étudier les propositions de révision constitutionnelle, notamment : le régime politique, la nomination et les prérogatives du Premier ministre, les conditions d’éligibilité du président de la République, la durée et la limitation du mandat présidentiel, l’institution d’un Sénat, la réforme de la Cour Constitutionnelle.

Le gouvernement prendra en charge ces propositions pour la prochaine législature ».

Outre le fait que l’énumération des points à toucher par ces réformes confirme le fait qu’il s’agit d’une amélioration de notre constitution de 1992 tripatouillée, ce texte montre bien qu’il s’adresse à des problèmes immédiats, c’est-à-dire ceux qui ont conduit aux causes des crises politiques à répétition dont le paroxysme a été atteint en 2005. Ce caractère urgent et immédiat de ces réformes ressort clairement de l’exigence faite au gouvernement de prendre les propositions y afférentes « en charge pour la prochaine législature », c’est-à-dire celle qui a couru de 2007 à 2012.

Le fait pour le gouvernement, qui avait l’impérieuse tâche de tout faire pour mettre immédiatement ces réformes en œuvre, d’avoir failli à sa mission (essentiellement par manque de volonté politique) ne peut servir de prétexte pour tourner le dos à ces réformes aujourd’hui. Si tel devait être le cas, le gouvernement n’échapperait pas à la critique d’avoir volontairement créé une situation de défaillance pour l’invoquer ensuite comme justificatif d’abandon du processus des réformes inscrites dans l’APG.

D’un autre côté, l’importance de ces réformes dans la résolution des crises politiques à répétition dans notre pays est reconnue par tous. C’est pourquoi le Chef de l’Etat qui a lui-même réaffirmé sa qualité de garant de l’application exhaustive des dispositions de l’APG a promis à plusieurs reprises au Peuple la mise en œuvre de ces réformes. Leur caractère impérieux s’est encore clairement traduit par leur inclusion dans le programme de gouvernement AHUMEY ZUNU 2 approuvé par le parlement après les élections législatives de juillet 2014.

Il est évident qu’au regard de tous ces éléments, le processus des réformes prévu par l’APG ne saurait être ni abandonné ni inclus dans un autre processus aussi judicieux soit-il.

Enfin, les propos du chef de l’Etat ont laissé transparaître un certain défaitisme vis-à-vis du processus actuel de réformes. Une telle attitude de la part du garant du bon aboutissement de ces réformes n’augure pas de lendemains meilleurs pour le processus. Bâtir le Togo estime que le chef de l’Etat ne doit pas se contenter de prendre acte de « l’échec prévisible » des discussions en cours au niveau de l’Assemblée nationale. Au contraire, il doit clairement agir sur le processus en amenant les députés de son parti à faire avancer le processus. Sa crédibilité en dépend.

II- SUR LE BLOCAGE ACTUEL DU PROCESSUS D’ETUDE ET D’ADOPTION DE LA PROPOSITION DE LOI

Bâtir le Togo s’étonne que l’opposition qui a elle-même déposé la proposition de loi sur les réformes soit la même partie à relever que cette réforme ne doit pas se discuter devant la Commission des lois Constitutionnelles alors même qu’il en a toujours été ainsi, et que le nom de ladite commission (commission des lois constitutionnelles et de la législation de l’administration générale) traduit clairement son objet. De plus, le projet de loi déposé par le gouvernement et rejeté par la majorité parlementaire en juin 2014 avait été discuté dans le cadre de ladite commission sans aucune objection de la part de la même opposition. Il est donc étonnant et même incompréhensible que l’opposition qui a porté la volonté et les espoirs de tout un peuple en déposant cette proposition de loi constitutionnelle, soit la même partie qui trouve la procédure permettant de bloquer l’adoption de ce texte et qui l’offre à la majorité parlementaire qui a, dès le départ et pendant des années, clairement manifesté son opposition à l’adoption des dites réformes. En tout état de cause, il paraît impossible de croire que cette façon d’entraver volontairement la procédure d’adoption de sa propre proposition de loi soit faite de bonne foi et sans intention de porter un coup fatal à l’intérêt clairement exprimé du Peuple togolais qui est d’adopter les réformes en question et de les mettre en œuvre avant les prochaines élections présidentielles. A cette heure grave pour la République, aucun double jeu ne peut plus être permis et chacun doit se prononcer clairement et devant l’histoire pour ou contre les intérêts du Peuple togolais.

Bâtir le Togo demande par conséquent à l’ANC de mettre fin au processus de blocage de l’étude de la proposition de loi et d’aider à faire accélérer la procédure. Cette attitude, qui seule répond à la volonté et à l’intérêt de notre Peuple, aura l’avantage d’enlever aux ennemis de l’intérêt général tout alibi permettant de jeter lesdites réformes aux orties. Il est par conséquent nécessaire et indispensable que les parlementaires de l’opposition en général et de l’ANC en particulier prennent leur responsabilité et qu’ils acceptent pour la première fois dans l’histoire de notre pays de constituer « une union sacrée pour l’intérêt et le bien être du Peuple togolais ». Toute posture contraire équivaudrait à une trahison claire des intérêts et attentes du Peuple.

Une page importante de l’histoire togolaise s’écrit aujourd’hui. Les nombreux morts et blessés pour la cause démocratique nous interpellent. C’est en leur nom et au nom de la souffrance du Peuple togolais qui n’a que trop duré que :

Premièrement, Bâtir le Togo se félicite de la décision claire de la Cour constitutionnelle qui a affirmé que la Commission des lois constitutionnelles est bel et bien compétente pour connaitre des discussions sur les réformes constitutionnelles et institutionnelles ;

Deuxièmement, Bâtir le Togo tient à relever que :

– La procédure de réformes institutionnelles en profondeur proposée par le chef de l’Etat sur la base de la recommandation n°8 de la CVJR ne peut et ne doit pas être confondue avec celle devant mener à l’adoption des réformes prévues par l’APG et dont la discussion est actuellement en cours ;

– Les deux procédures ne sauraient se confondre ou se passer dans le même cadre et devant la même entité, l’APG ayant d’ailleurs clairement indiqué que les réformes qu’il propose doivent se faire dans le cadre de la législature, c’est-à-dire devant l’Assemblée nationale ;

Les réformes prévues par l’APG et actuellement en cours de discussion devront être adoptées et mises en œuvre avant les élections présidentielles de 2015 ;

– Toute tentative de confondre les deux processus ou de les inclure dans le même mécanisme s’analyserait en un refus clair des réformes constitutionnelles et institutionnelles et donc de l’application de l’APG dont la page ne saurait être tournée avant d’avoir été complètement lue et mise en œuvre ;

– Le changement de système ou de régime politiques et le passage de la 4ème à une 5ème république auquel pourrait donner lieu la procédure de réformes institutionnelles proposée par le Chef de l’Etat ne saurait servir comme un cheval de Troie pour tenter de contourner la limitation des mandats en remettant les compteurs à zéro en vue d’une pérennisation au pouvoir ;

– Sous ces diverses réserves, Bâtir le Togo adhère entièrement au processus d’adaptation de nos constitution et institutions aux réalités sociologiques de notre pays exigées par la recommandation n° 8 de la CVJR et proposé par le chef de l’Etat ;

Troisièmement, Bâtir le Togo demande :

1- au chef de l’Etat :

– de prendre toutes ses responsabilités en faveur d’une adoption rapide et d’une mise en œuvre effective avant les élections présidentielles, des réformes actuelles prévues par l’APG et d’amener son parti à en faire de même ;

– de ne pas substituer la procédure prévue par la recommandation n°8 de la CVJR sur l’adaptation de nos institutions à nos réalités sociologiques à celles des réformes préconisées par l’APG et qui doivent satisfaire les contingences immédiates ;

2- A la majorité parlementaire :

– de privilégier l’intérêt du Peuple togolais et de tout mettre en œuvre pour que les réformes constitutionnelles et institutionnelles prévues par l’APG soient définitivement adoptées et mises en œuvre avant les prochaines élections présidentielles ;

– d’éviter de trouver ou de se servir de quelque alibi que ce soit (fusse-t-il offert par l’opposition) pour tourner le dos à ces réformes ;

3- Aux diverses franges de l’opposition, d’éviter la duplicité, les calculs politiciens et le jeu des intérêts personnels et partisans faits sur le dos du Peuple togolais pour conduire à bon port le processus qui permettra l’adoption des réformes avant les élections présidentielles ;

Quatrièmement, Bâtir le Togo demande à la représentation nationale et à chacun des députés d’accepter, malgré la période de vacance parlementaire, de consentir les sacrifices nécessaires pour que des sessions extraordinaires se tiennent afin de finaliser le travail d’étude et d’adoption des réformes dans les meilleurs délais ;

Cinquièmement, Bâtir le Togo appelle le Peuple togolais à rester vigilant pour barrer la route à toute tentative de travestissement ou d’abandon par le régime du processus de réformes actuellement en cours ainsi qu’à toute tentative de l’opposition d’agir de connivence avec le pouvoir en place pour bloquer l’adoption de la proposition de loi qu’elle a elle-même déposée ou de la faire rejeter par le parlement ;

Fait à Lomé, le 2 janvier 2015

Pour Bâtir le Togo

Le Président
 

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